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Où va la CFDT ?

Publie le jeudi 6 novembre 2003 par Open-Publishing

Répondant dans ces colonnes à ceux qui dénonçaient le "recentrage" opéré
depuis 1978, l’ancien secrétaire général de la CFDT Edmond Maire ironisait
sur les "nostalgies" de ceux qui "prétendent regretter la CFDT de leur
jeunesse" (Le Monde du 18 juin).

Il soulignait dans le "recentrage [sur les missions fondamentales du
syndicalisme] de l’autonomie et de la négociation"la continuité avec les
origines de la centrale et faisait l’éloge du "réalisme" nécessaire pour
"prendre la mesure du possible" dans le partage des richesses.
Nous ne discuterons pas ici des divers degrés de "continuité" et de
"rupture" qui jalonnent le parcours de la CFDT et de la "minorité" au sein
de la CFTC. Nous aborderons simplement deux thèmes revendiqués par la
direction confédérale : "le réalisme du possible", qui éclaire la nature de
son "réformisme moderne", et son rapport au mouvement social, qui éclaire sa
conception de "l’autonomie du social".

La réforme des retraites illustre bien l’appréciation confédérale de "la
mesure du possible". L’équilibre financier y est principalement recherché
par l’allongement de la durée de cotisation et la confirmation des critères
de calcul des retraites issus de la réforme Balladur, conduisant à une
baisse des pensions de l’ordre de 20 % à 30 %. Les quelques mesures en
faveur des plus défavorisés (smicards et carrières longues) sont financées
par des régressions sensibles pour le plus grand nombre. Comment pourrait-il
en être autrement en l’absence de financements supplémentaires ? Ce
renoncement à exiger que soit affectée à un nombre croissant de retraités
une part croissante du revenu national est la marque du "réformisme moderne"
revendiqué par François Chérèque.

Depuis vingt ans, la répartition des richesses dans notre pays a vu la part
des salaires reculer de 10 points au bénéfice des profits. La "fracture
sociale" et ses conséquences politiques ont été le prix à payer de cette
"victoire" des actionnaires et des rentiers face à des salariés placés sur
la défensive.

La direction de la CFDT considère pourtant que l’on ne peut pas modifier
sensiblement cette répartition des revenus. Dans la logique de ce
"réformisme moderne", il n’y a plus de marge pour faire progresser
graduellement les droits sociaux du plus grand nombre par une plus juste
répartition des richesses produites. Les seules possibilités se résument
désormais à redistribuer suivant ce "nouvel impératif" entre salariés du
public et du privé, entre actifs et retraités ; et non plus entre revenus
du capital et revenus du travail.

L’essentiel est désormais, au nom de la lutte contre l’exclusion, la mise en
place de minces et fragiles filets de sécurité. Les droits sociaux se voient
ainsi remplacés par des mesures d’inspiration caritative.

Considérer comme intangible, dans le cadre du capitalisme globalisé,
l’actuel partage des richesses, c’est se condamner à ne mener, au mieux,
qu’une politique syndicale d’atténuation des politiques libérales, au pis, à
inscrire l’action syndicale dans l’acceptation des reculs sociaux que -
selon le patronat et les idéologues libéraux - les salariés doivent
consentir pour se couler dans le nouvel ordre mondial. D’où des positions
confédérales qui accompagnent la régression des droits des salariés et des
chômeurs, la libéralisation des services publics, le désengagement de
l’Etat, etc.

D’où, aussi, cette horreur des mouvements qui prétendent résister à cette
entreprise de démantèlement social. Le dernier magazine confédéral adressé
aux adhérents contient une violente attaque contre le mouvement
altermondialiste, et la CFDT se tient à l’écart de la préparation du Forum
social européen.

On se souvient des prises de position de Nicole Notat à l’égard du mouvement
des chômeurs en 1997, et de celles exprimées sur la marche des chômeurs
organisée par AC ! en 1994, les occupations de logements vacants par le DAL
en 1995 ou les manifestations de sans-papiers.

De telles réactions n’eurent pas toujours cours. En 1984, Edmond Maire
écrivait dans La CFDT en question : "Les nouveaux mouvements sociaux ont eu
pour nous l’immense intérêt de nous obliger à ouvrir les yeux sur des
aspirations qui, si fortes soient-elles, ne sont pas spontanément reprises
par une collectivité syndicale.[Ils] ont montré la possibilité de types de
regroupements, de mobilisation sociale sur des thèmes que nous prenons
encore mal en compte. Ainsi stimulés, nous avons l’ambition de participer à
ces combats sans prétendre nous substituer à de tels mouvements, qui doivent
poursuivre leur action propre."Le recentrage allait pourtant bon train.
Mais qu’ont de commun la référence au rôle du mouvement social et
l’articulation avec l’action syndicale qu’il décrivait alors et la vision
d’aujourd’hui de la direction de la CFDT, qui ne voit que manipulation et
complot dans les mouvements qui agitent la société depuis une douzaine
d’années ?

Si la coupure à l’égard des mouvements sociaux semble désormais profonde et
systématique, le même chemin est emprunté à l’égard des conflits du monde du
travail. Les seuls qui trouvent grâce aux yeux de la direction confédérale
sont ceux qui voient s’opposer des salariés à une catégorie du patronat
jugée particulièrement rétrograde (routiers, Maryflo). La grève redevient ce
qu’elle fut du temps de la CFTC d’avant-guerre, l’ultima ratio, face au
patron qui exagère.

Pour le reste, les conflits, et notamment ceux qui émanent du secteur
public, sont vécus à regret quand ils ne sont pas purement et simplement
condamnés. Le sommet de cette coupure avec les conflits du travail fut
atteint en novembre-décembre 1995. Pour la première fois de son histoire,
la direction confédérale n’a pas accompagné l’expression du profond malaise
social qui se faisait jour dans le monde du travail. Elle a alors adopté une
démarche de défense globale du plan Juppé contre le mouvement social. Tirant
les leçons de cet épisode lors d’un Conseil national confédéral en janvier
1997, Nicole Notat faisait de l’attitude adoptée fin 1995 "le passage à
l’acte d’une stratégie revendicative réfléchie de longue date".
Que signifie dans ces conditions la revendication d’"autonomie du social" si
elle ne s’appuie pas sur les dynamiques qui traversent la société ?
L’ambition de faire des travailleurs les acteurs de leur propre
émancipation, réaffirmée jusqu’au milieu des années 1980, n’a plus cours.
Désormais les mobilisations viennent menacer la vocation de porte-parole
global de la société que prétend incarner la direction de la confédération.
Une telle attitude ne peut manquer de glisser vers une conception
avant-gardiste de son rôle social. "Avec la CFDT, soyez révolutionnaires,
lance Nicole Notat à Charléty en mai... 1998, fabriquez le possible, le
possible qui change le présent et façonne l’avenir." Mais qui décide ce qui
est possible et ce qui ne l’est pas ? Le bureau national disposant de la
conscience des priorités et de la juste mesure du possible, connaissant seul
les vrais enjeux et sachant seul où se trouve l’intérêt général ! Le sommet
fut atteint avec l’annonce solitaire du 15 mai !

Le couple libéralisme économique-centralisme politique caractérise la
stratégie et le fonctionnement confédéral d’aujourd’hui.

Au bout de ce parcours, faute de s’appuyer sur les aspirations et dynamiques
sociales, comment le "réformisme moderne" pourrait-il éviter d’apparaître
comme le médiateur social de la "contre-réforme" libérale en cours ? Le
"libéral-syndicalisme" ne peut pas être l’avenir du syndicalisme. Ce n’est
pas là affaire de nostalgie, mais de conviction.

Hervé Alexandre et Claude Debons sont repectivement secrétaire général
adjoint et secrétaire général (démissionnaires) de la Fédération générale
des transports et de l’équipement FGTE-CFDT.