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Des trotskistes/Bons militants/Tout, tout, tout !/And the winner is.../ L’impact de l’internet

Publie le vendredi 17 novembre 2006 par Open-Publishing
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Tiens, j’ai envie cette semaine de vous parler des trotskistes. Deux livres reçus ces jours-ci m’y invitent, dont je dirai quelques mots plus loin. M’y invitent aussi l’actualité de la précampagne présidentielle et l’appel de José Bové, au meeting du Mans, à Olivier Besancenot (« Il manque quelqu’un à cette tribune... »). La LCR, en la personne du jeune postier, va-t-elle finir par prendre sa place dans la photo de groupe (où elle est déjà, en fait, puisque le minoritaire Christian Piquet y figure ; mais ce n’est pas pareil), et la gauche de gauche arrivera-t-elle à se mettre d’accord sur un candidat unique ? C’est un des enjeux essentiels de la course à l’Élysée, version 2007. La fermeté du vote communiste pour tenter d’imposer Marie-George Buffet n’est pas de bon augure, même si toutes les portes ne sont pas encore fermées...

Mais revenons à nos trotskistes.

C’est tout de même une particularité française assez étonnante que de présenter trois candidats révolutionnaires à une élection présidentielle et qu’ils parviennent à eux trois à rafler plus de 10 % des voix ! Ce fut le cas en 2002 (Arlette Laguiller : 5,7 ; Olivier Besancenot : 4,3 ; Daniel Glückstein : 0,5). Surtout que le champ électoral n’est pas spécialement leur terrain de lutte privilégié. D’où vient donc cette audience atypique dans notre vieille Europe, et ce malgré leurs divisions affichées, fruit d’une longue histoire pleine de bruit et de fureur ?

Tentons de comprendre.

Une précision d’abord : je n’ai jamais appartenu à une organisation trotskiste, mais j’ai côtoyé nombre de leurs militants ou ex-militants.

La difficulté du reste, pour qui se mêle de journalisme et/ou de politique, serait de n’en point croiser sur sa route, tant ils irriguent partis, syndicats, associations et médias : j’en connais même au Figaro ! C’est sans doute là une des raisons majeures de leur relative influence. Même quand ils ne sont plus « encartés », les trotskistes (beaucoup d’entre eux) conservent des liens amicaux, des complicités, des références qui relèvent de ce que l’un des leurs (Plenel, sauf erreur) a appelé « un trotskisme culturel ». Pour les médias et les associations militantes, c’est surtout vrai des anciens de la LCR, LO s’investissant davantage dans le monde ouvrier et les « lambertistes » (ex-PCI, devenu PT) pratiquant avec constance l’entrisme au PS (exemple le plus marquant : Jospin) et dans les syndicats (FO, Unef, arnacho-syndicalisme). Si beaucoup d’entre eux ont pris leurs distances avec leur matrice originelle, ceux qui ont persévéré dans la politique ou la presse sont restés plus fidèles à la gauche que, par exemple, nombre d’anciens maos (eux aussi très investis dans les médias) devenus carrément des supporters du libéralisme le plus débridé, voire des néoconservateurs affirmés. C’est ainsi que tous les courants du PS, sans exception, comptent dans leurs cadres des fils de Léon Davidovitch Bronstein et que les trois prétendants à l’investiture ont l’un ou plusieurs d’entre eux dans leur garde rapprochée : Julien Dray pour Ségolène, Henri Weber pour Fabius (tous deux ex-LCR) ou Jean-Christophe Cambadélis (ex-lambertiste) pour Strauss-Kahn.

C’est en raison de cette (relative : on vieillit, on s’embourgeoise, on se sénatorise...) fidélité au camp de la gauche que je préfère de loin les trotskistes aux maos ­ pour prendre les deux courants phares de Mai 68, qui formaient du reste chacun une tendance dans le PSU de ces années-là, où j’ai moi-même milité jusqu’en 1974.

BONS MILITANTS

Le capital de sympathie que conservent les trotskistes dans la frange la plus progressiste de l’électorat tient donc aussi à cette constance dans leurs engagements, à l’implication de leurs militants dans les luttes sociales ; comme, encore, à la grande figure historique de leur père fondateur, à sa lucidité précoce, son opposition sans faille à la dérive stalinienne du régime issu de la révolution d’Octobre et à sa fin tragique sous le piolet de Mercader.

À l’inverse, ils irritent aussi beaucoup de monde pour des tas de raisons : l’entrisme, bien sûr, vite suspecté de noyautage ; le goût du secret, qui va avec, les « blazes » dont ils s’affublent, une certaine paranoïa souvent jugée excessive (à leur décharge : quand on a subi des décennies de persécutions et de calomnies ­ dont l’étiquette d’« hitléro-troskisme » d’un usage encore relativement récent au PCF ­, ça ne rend pas très enclin à l’ouverture et la transparence...), sans parler de leurs querelles internes byzantines pour le commun des mortels : mettez deux trotskistes ensemble, au bout de cinq minutes ils vont s’empailler sur la vraie nature de l’URSS : capitalisme d’État ou État ouvrier dégénéré ?

En résumé : de vrais bons militants de l’internationalisme anticapitaliste. Bien formés, durs à la tâche, payant (y compris financièrement : c’est pas chez eux qu’on adhère à deux balles sur l’Internet !) leur engagement au prix fort. Mais un poil fatigants quand même !

TOUT, TOUT, TOUT !

J’en arrive à ces deux bouquins, qui vous seront sans doute de lecture instructive.

­ Le premier, d’un très vieux militant (octogénaire) resté jeune dans sa tête (il adhère au PCI en 1943 et ne rendra sa carte de la LCR qu’en 1988, tout en continuant d’écrire dans ses revues). Son nom n’est pas inconnu aux lecteurs de Politis : Michel Lequenne fut un collaborateur régulier de nos pages culturelles voici quelques années. Critique, historien d’art, proche aussi du mouvement surréaliste, Michel s’est également passionné pour Christophe Colomb et la découverte de l’Amérique, et a consacré plusieurs livres à ce sujet d’étude. Son livre donc, le Trotskisme, une histoire sans fard (1) est celui d’un historien engagé (et combien ! Il fut un temps l’un des principaux dirigeants de la IVe Internationale), mais d’un historien aujourd’hui distancié. Il connaît le mouvement comme sa poche et ses principaux protagonistes mieux que des voisins de palier : son premier responsable de « rayon » fut un certain... Lambert, dont il note qu’il lui est apparu « peu sérieux » ! Chacun de ses huit chapitres, qui content par le menu la naissance et les nombreux avatars du mouvement, ses épreuves ­ les années les plus dures furent celles de l’Occupation et de la Résistance, où les trotskistes étaient pris entre l’enclume vichyste et le marteau stalinien : ce sont eux qui eurent, proportionnellement, le plus de déportés et de fusillés ­, est suivi par quelques pages d’un « contrepoint de l’auteur », où Lequenne passe au « je » et donne son point de vue personnel sur la séquence qui précède. Impossible à résumer, bien sûr, foisonnant, manque pas une engueulade, une scission, une rupture ou un rapprochement ; où l’on comprend que, dans cette longue histoire, les querelles d’hommes ou de pouvoir comptent moins que les débats théoriques, où les trotskistes excellent ! En tout cas, passionnant.

­ Et bien intéressant aussi le témoignage d’Alain Krivine, pour qui la foi dans la révolution est toujours vivante, à soixante-cinq balais. Ça te passera avec l’âge (2), lui a-t-on souvent dit : eh bien, ça ne lui a pas passé ! L’histoire commence avec l’engagement d’un gamin dans les Jeunesses communistes, suit avec l’exclusion d’un jeune homme de l’Union des étudiants de même métal (en 1956), puis la création des JCR, d’où naîtra la LCR après la grande brûlure de 1968 et la dissolution qui la sanctionna. La suite, on la connaît dans les grandes lignes : quelques périodes de clandestinité, quelques séjours en taule, le soldat-citoyen candidat à la présidentielle de 1969, et toujours l’infatigable porte-parole pendant tant d’années du mouvement trotskiste le plus ouvert sur l’extérieur, le plus attentif aux évolutions de la société, le plus créatif aussi ; et par le biais de Rouge, qui fut un temps quotidien, une vraie couveuse pour apprentis journalistes aujourd’hui essaimés dans quasiment toute la presse ! Une sacrée aventure collective, riche d’individualités marquantes, qu’Alain raconte avec verve et humour, et un excellent contrepoint au livre plus austère de Lequenne.

Tout, tout, tout, vous saurez tout sur les trotskistes !

AND THE WINNER IS...

Je ne sais pas qui est le gagnant (ou la gagnante...) des primaires socialistes, ni si tout s’est joué dès le premier tour ou pas. Vous qui me lisez, vous le savez peut-être déjà.

Ce qu’on peut dire, en revanche, c’est que cette consultation interne aura fait parler d’elle, et du PS. Couverture médiatique maximum, qui aura mis en lumière les trois candidats de façon exceptionnelle (et d’une certaine façon, ils en sortent tous les trois gagnants, tant est longue, en politique, la route qui mène vers les sommets...). Il en est, à droite, qui aimeraient bien être soumis au même traitement. Ce qu’on peut dire aussi, c’est que les coups bas n’ont pas manqué : notamment, et après une vieille interview de Bourdieu où il jugeait Ségolène « de droite », cette dernière affaire de cassette vidéo sur une réunion interne des socialistes du Maine-et-Loire, balancée sur le Net et dans les jambes de Ségolène Royal. Balancée par qui ? Un certain... Jules Ferry ! Le témoignage de Serge Bardy, premier secrétaire de cette fédération, ne laisse guère planer le doute sur le cybercorbeau, qui désigne « un élu angevin proche de DSK qui a demandé cette vidéo, il y a deux semaines, auprès de celui qui l’a réalisée pour le compte de la fédération (3) ». L’élu en question, un sénateur dont la réputation n’avait guère franchi jusqu’alors les fossés du château du Roi René, nie farouchement être l’auteur du forfait ; et son chef de file n’est au courant de rien, condamne ces méthodes et n’a pas vu cette bande.

Dominique Strauss-Kahn a décidément des problèmes avec les vidéocassettes !

L’IMPACT DE L’INTERNET

Ce qu’on peut noter aussi, et qui va peut-être contribuer à bouleverser la donne électorale, c’est la place de plus en plus marquante prise par l’Internet dans le débat politique. On sait qu’elle fut loin d’être négligeable dans le débat du référendum : avec la présidentielle, elle devient essentielle.

La fameuse cassette sur l’école (tronquée, mais on peut la voir en intégralité sur Désirs d’avenir), par exemple, s’est propagée à toute vitesse, a été vue par des centaines de milliers d’internautes en deux jours, a fait l’objet des reprises de toute la presse et de centaines de commentaires sur les listes de discussion et divers blogs (voir à ce sujet : Nuesblog et Le Monde-Citoyen (4)). L’autre grande nouveauté étant la diffusion, soit sur les chaînes spécialisées (LCP, avec les débats des primaires socialistes, ou la transmission intégrale du meeting de la gauche antilibérale), soit sur le Net (Bayrou, par exemple, sur le « Politic’show » de Nuesblog), et souvent sur les deux, d’une parole politique exprimée dans la longueur ­ pas un clip façon pub centré sur deux ou trois « petites phrases », comme dans les JT des chaînes classiques. Soulignant l’intérêt de ces formes nouvelles de diffusion du discours politique et la réhabilitation de ce discours qu’elles permettent, le chercheur André Gunthert (5) note ceci : « Assurément, ces formats pas plus que ces contextes de diffusion ne sont destinés à toucher la plus large part de l’électorat. Mais, parce qu’ils s’adressent à sa partie la plus politisée, ils n’en pèseront pas moins de façon déterminante sur la suite de la campagne. » Et il conclut : « Au final, on ne peut éviter de s’interroger : comment est-il possible que ce qu’on a vu sur le web ou sur la TNT n’ait pas été diffusé par une grande chaîne publique ? Les responsables des programmes vont-ils prendre conscience de ce hiatus et proposer d’autres formats ? Comment la droite gouvernementale va-t-elle combler ce qui apparaît désormais comme un déficit d’exposition qualitative ? Comment l’existence de ces temporalités disparates va-t-elle pouvoir être prise en compte, mesurée et comparée durant la campagne officielle ? La réponse à ces questions montrera comment les nouveaux médias contribuent à faire bouger le paysage du principal rendez-vous électoral français. Qui a dit qu’on allait s’ennuyer ? »

Autant de questions bien intéressantes. Et qui signalent un changement d’époque.

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