Accueil > LE FORUM SOCIAL EUROPEEN DE PARIS : Nos impressions

LE FORUM SOCIAL EUROPEEN DE PARIS : Nos impressions

Publie le vendredi 5 décembre 2003 par Open-Publishing
1 commentaire


Bellaciao, la Coordination pour un autre cinema, et les intermittents Nef-Nord 14.11(Villette, Paris)



Nos impressions

Si 2003, année de préparation du II forum social européen,
d’un côté a marqué l’aggravation de la crise du néolibéralisme
et donc le développement ultérieur de la guerre permanente
qui en est la conséquence inévitable, il a été de l’autre
l’année de l’échec du sommet de l’OMC à Cancun. L’OMC est,
avec la BM, le FMI et d’autres institutions de régulation
du marché global, un des centres de décision adémocratique
sur lesquels la critique du mouvement s’est focalisée. La
précarité sociale générée par la globalisation a détruit
toute souveraineté environnementale en soustrayant à la collectivité l’eau,
la terre, l’air, l’énergie. Il en résulte un ravage sans
précédent de la société et de l’environnement auquel la seule
force en mesure d’offrir une alternative potentielle apparaît être
le mouvement des mouvements, la grande nouveauté de ce XXI° siècle.
Le Collectif Bellaciao a collaboré activement à la préparation
du forum : il était présent en la personne d’un de ses représentants,
membre de la Commission Artistique et Culturelle et a participé à ses
travaux dés la phase initiale. Déjà lors de la première réunion
d’organisation il a été clair, qu’entre le forum de Paris
et celui qui l’avait précédé, à Florence, il y avait de sensibles
différences, des différences qui sont devenues de plus en
plus claires tout au long de l’année de préparation de la
manifestation parisienne.

Un forum sous contrôle

Le secrétariat d’organisation, une sorte d’organisme intergroupes,
où chaque composante essayait d’établir sa propre hégémonie, était
le produit d’une négociation visant à assurer à quelques
représentants du PS, du PCF, de la LCR, de ATTAC France,
de la CGT et d’autres réalités associatives, le "contrôle" de
la préparation du forum, selon une logique plus proche de
celle de certains dirigeants des partis communistes des années
trente que de celle des mouvements des années 2000. Le but était
de restreindre le forum et non de l’élargir comme l’indique
le mot, en poursuivant le chemin emprunté à Florence. Tout
décider au sommet, donc, en considérant l’assemblée comme
la caisse de résonance des décisions et non le sujet souverain
de celles-ci. Une pratique opposée à celle qui est propre
au mouvement et qui consiste à ouvrir en grand portes et
fenêtres parce qu’il a tout à gagner de la lumière qui augmente
la possibilité de consensus autour de lui. Une tendance à vouloir
tout décider au sommet, évidente non seulement durant l’année
de préparation du forum mais aussi pendant le forum lui-même,
dans la façon d’organiser le débat : plutôt que de procéder
de bas en haut (ateliers, séminaires et assemblées plénières
comme points d’arrivée et de synthèse de l’analyse accomplie
en amont), on a procédé en envoyant de haut en bas ce qui
avait été décidé dans les plénières, à l’intérieur des séminaires
et des ateliers.

Visibilité et élections

Beaucoup se demandent pourquoi, dans une ville équipée d’importantes
infrastructures, comme Paris, le forum a été dispersé sur
quatre sites dont trois dans l’immense banlieue. Le secrétariat
d’organisation a motivé son choix par la nécessité d’entraîner
justement les jeunes des banlieues : cela serait une belle
chose si cela était vrai. Les frais d’entrée (qui étaient
pour les étudiants de 11 ?) ont éloigné les jeunes déshérités :
les seuls vrais banlieusards présents étaient évidemment
ceux qui s’occupaient du nettoyage. La vérité, c’est qu’en
prévision des prochaines élections régionales les maires
de Saint-Denis, Bobigny et Ivry (chacun d’eux représentant
un courant différent d’un PCF désormais à l’agonie) et le
maire socialiste de Paris (celui qui propose ces jours-ci
la construction en ville de nouveaux gratte-ciel) devaient
essayer de conquérir la sympathie des électeurs. Une tâche
ardue pour une gauche réduite à voter Chirac aux dernières
présidentielles, faute d’une alternative quelconque, jusqu’à hier
très éloignée du mouvement qu’elle traitait avec mépris et
suffisance. Un éloignement que même l’opportunisme actuel
ne réussit pas à effacer complètement si l’on observe que
les deux principaux mouvements qui ont fait surface dans
la société française des dernières années, celui des Sans-papiers
et celui des Intermittents du spectacle, ont eu pas mal de
difficultés à être insérés à plein titre dans le programme
du forum. Encore une contradiction évidente avec le concept
de base du mouvement qui se veut unitaire et radical et qui
ne demande pas à ses composantes d’où elles viennent mais
plutôt ce qu’elles font. Il vaut la peine de préciser, quand
on parle de ressources affectées par le forum aux thèmes
de la culture, que celles-ci n’ont pas dépassé les 60 000 ?,
c’est-à-dire moins de 2% du budget total. Ce n’est pas un
hasard mais un choix précis qui a cantonné la culture au
rôle de Cendrillon. Malgré ces prémisses, le Collectif Bellaciao
est arrivé à créer, avec d’autres structures associatives,
la Coordination pour un Autre Cinéma : une centaine de films
ont été projetés pendant et après le forum et a été réalisé,
en semi-autogestion, l’organisation de quatre journées de
débat et de représentations artistiques au théâtre de la
Nef Nord de La Villette.

Les espaces

L’intention des organisateurs était de se servir, pour les
séminaires de Saint-Denis et d’Ivry, de multiplex, propriétés
de Pathé-Gaumont, c’est-à-dire Vivendi, Suez-Lyonnaise des
Eaux et General Electric, autant dire de multinationales
de la "culture", de l’eau et des armements. Comme le thème
de l’eau était justement un des thèmes principaux, il est
difficile de saisir la cohérence entre un forum consacré à cet
argument et les lieux où il aurait dû se dérouler. Et bien,
il a fallu se battre durement pendant des mois pour obtenir
qu’à Saint-Denis, au moins, on renonce au multiplex, étant
donnée la disponibilité évidente de sites alternatifs ; à Ivry,
tout a été inutile, les séminaires se sont déroulés dans
le multiplex de Pathé parce que, selon les organisateurs,
il n’y avait aucune alternative viable. En tout cas, indépendamment
de l’issue de la bataille politique à l’intérieur de la Commission
Artistique et Culturelle du forum, il est évident que le
secrétariat d’organisation n’a rien trouvé à redire à un
accord avec une multinationale comme Vivendi.

La participation


PL.Republique avec le comité Carlo Giuliani 15.11.2004



Le peuple de Paris et de son immense banlieue était simplement
absent. Exhiber comme une victoire un nombre d’inscriptions
correspondant à celui du FSE précédent et un nombre de participants à la
manifestation finale (quatre kilomètres de parcours dans
une ville indifférente) - 50 000 selon la police et 100 000
selon les organisateurs- soit un 1/10 de ceux de l’année
dernière - 500 000 selon la police et 1 000 000 selon les
organisateurs - si l’on tient compte que Paris avec sa banlieue
représente une agglomération au moins dix fois plus grande
que la ville et la province de Florence et si l’on considère
la contribution des nombreux étrangers, n’est que du triomphalisme
vide. La plupart des Parisiens présents donnaient l’impression
d’être des habitués, des membres des milliers d’associations
typiques de la réalité française, sujets éclairés dans une
sorte de salon de la bourgeoisie blanche sensible depuis
toujours aux problématiques "citoyennes". Le clivage entre
les théories débattues par le forum et le contexte social
environnant est apparu au grand jour quand quelqu’un s’est
emparé du microphone pour signaler que quelques familles
africaines venaient juste d’être expulsées par la municipalité de
Saint-Denis ou quand, avant l’intervention du représentant
du PC autrichien, quelqu’un a informé que le parti de l’orateur
avait expulsé d’un immeuble de sa propriété un squat qui
durait à Vienne depuis 14 ans et qui avait désormais conquis
une place importante dans le paysage artistique et culturel
de la ville.

Le service d’ordre

D’ailleurs, déjà avant d’accéder aux travaux du forum, le
genre d’accueil aux entrées et devant les espaces où se déroulaient
les différents débats rendait tout évident, tout de suite.
Détecteurs de métaux dignes d’un quelconque aéroport et police
privée, épaulée par des rottweiler qui n’avaient rien d’un "autre
monde possible" et qui ne préfiguraient même pas la tentative
d’y faire allusion. Les organisateurs ont loué, et nous avec
eux, la participation de 2500-3000 bénévoles pour les nécessités
logistiques du forum. N’aurait-on pas pu organiser avec ceux-ci
un bon service d’ordre en montrant que, dans l’immédiat,
sinon un autre monde, du moins un autre mode d’accueillir
les participants d’un forum européen est possible, voire
nécessaire pour que le forum même soit crédible ? Les gardes
et les chiens semblaient dire qu’un autre monde est possible
ailleurs, mais non ici, où, au contraire, quand on passe
de la parole à l’action, il n’est même pas possible d’effacer,
ne serait-ce que symboliquement et pour quelques jours, les
emblèmes du pouvoir avec toute leur charge de violence et
de brutalité. Nous nous limiterons à citer trois exemples :

- quand l’Espace Condorcet à la Cité des
Sciences de la Villette s’est rempli de jeunes naturellement
attentifs et intéressés à un argument comme le rapport entre
les partis et les mouvements, les gardes n’ont rien trouvé de
mieux que de fermer l’accès à la Cité des sciences et donc à l’Espace
Condorcet, n’hésitant pas aller jusqu’à lâcher les chiens
contre les centaines de jeunes qui essayaient d’entrer ;

- quand, à la manifestation finale, le cortège
s’est formé, plutôt que de respecter les accords déjà passés
avec le secrétariat d’organisation, la CGT s’est rangée devant
les autres syndicats grâce à l’intervention violente de son
service d’ordre, épaulé par celui de l’UNSA-police ;

- quand les adhérents à la CNT et au Forum
Social libertaire se sont apprêtés, selon les accords, à entrer
dans le cortège, les services d’ordre ci-dessus, renforcés
par celui du PS, se sont interposés en empêchant ces camarades
de participer à une manifestation qui était, par sa nature,
unitaire.

La guerre

Elle a été, avec le libéralisme, un des principaux axes du
forum. Mais ici, nous sommes loin du train stopping ou des
visites aux bases militaires : on a probablement parlé de
toutes les guerres sauf de celles où sont engagées des troupes
françaises. Et pourtant, nous sommes en France et parmi tant
d’autres, les évènements de ces jours-ci en Côte d’Ivoire
seraient à discuter. Là aussi, le rapport entre théorie et
pratique est inexistant. Et comment pourrait-il en être autrement
si l’on considère la belle unanimité de la "gauche" française
autour de thèmes comme la "force de frappe" ? Le Collectif
Bellaciao a tenté à maintes reprises d’aller au-delà du concept
du "contre" sur le thème de la guerre, un vieux concept,
souvent sectaire, qui a toujours besoin de spécifier de quelle
guerre il s’agit (il pourrait toujours s’agir d’une "bonne" guerre),
pour introduire un concept du "pour", pour une paix tout
court. Se battre pour la paix et pas seulement contre la
guerre entraînerait bien d’autres adhésions mais sortirait
des chemins battus par une gauche encore largement dogmatique,
qui rechigne à se renouveler, préférant rester "entre soi" comme
par le passé.

Le Forum Social parisien

Durant toute l’année de préparation du forum, les occasions
pour le mouvement de manifester son opposition ont été nombreuses :
ni le gouvernement Raffarin, ni les USA et ceux qui sont à leur
botte n’ont pas ménagé leur contribution à base de guerres,
de contre-réformes, de lois répressives et régressives. Et
bien, nous, du Collectif Bellaciao, nous n’avons pas vu dans
les rues de Paris une seule banderole où était écrit : Social
Forum. Attac, oui, mais hélas de moins en moins. Voilà un
argument sur lequel réfléchir hors de la rhétorique de tant
de beaux discours pour comprendre les raisons de la modeste
participation des parisiens au forum.

Le nucléaire

Cela
a été et cela reste un thème central du forum, aux liens évidents
avec celui de la guerre, de l’énergie, de l’environnement.
Mais que dire d’une situation comme celle de la France où existent
des dizaines de centrales que même le gouvernement précédent,
celui de la Gauche plurielle, dirigé par Jospin, avec PS,
PCF et Verts, n’a jamais mis en discussion ? C’est un terrain
sur lequel une bonne partie de la composante française du
forum a de grandes difficultés à bouger et auquel manque
une bonne partie de la vielle et de la nouvelle gauche, des
syndicats, des associations ou en tout cas sur lequel les
forces de progrès montrent de grandes incertitudes et ambiguïtés.
Tandis que les verts allemands sont arrivés à obtenir au
moins un programme de sortie du nucléaire au bout de trente
ans, les verts français ne sont même pas arrivés à le demander.
Unique ou presque parmi les pays européens, la France est
en train de travailler au programme EPR pour remplacer les
vieux réacteurs par de nouveaux, naturellement beaucoup plus
propres (mais était-ce bien nécessaire étant donné que les
vieux étaient déjà plus que propres), sans s’inquiéter de
l’élimination des déchets, étant donné que le plutonium résultant
sera utilisé pour fabriquer des bombes atomiques pour son
armée. Ceux qui se battent ici pour éliminer le nucléaire,
civil ou militaire, et nous avec eux, ont une tâche vraiment
difficile, qu’ils sont pourtant déterminés à accomplir. Sur
ce parcours, une étape importante sera celle de la manifestation
européenne à laquelle appelle le réseau "Sortir du nucléaire" et
d’autres, dont le Collectif Bellaciao, contre les vieux et
les nouveaux réacteurs, le 17 janvier 2004, à Paris.

Le financement du forum

La montant total des subventions accordées par l’Etat et
les différentes collectivités locales a atteint, selon les
déclarations des organisateurs, la somme de 3 400 000 ? tandis
que les dépenses s’élèvent à 3 500 000 ?. Nous nous demandons :
pourquoi dépenser 1 100 000 ? pour la location, pendant 4
jours, de la Villette, une somme qui parait énorme et qui, étant
donné que sa propriété est mixte - Etat et collectivités
locales - a été payée aux bailleurs de fonds du forum qui
auraient donc repris d’une main ce qu’ils avaient donné de
l’autre ? Pourquoi faire payer des sommes relativement élevées
pour l’entrée au forum si la préoccupation majeure était
de faciliter l’accès au plus grand nombre ? Pourquoi faire
payer 300 ? la location de minuscules stands (au moins en
ce qui concerne la Villette, leur mobilier était propriété de
la ville de Paris) qui semblaient de grotesques photocopies
d’un improbable supermarché "altermondialiste". Pourquoi,
au-delà de toute autre considération, choisir le biais du
financement par des sujets institutionnels souvent responsables
de ce que le mouvement est en train de dénoncer et non celui
de l’autofinancement ou à défaut, celui d’une proportion
plus équilibrée entre les deux ?

Conclusions

Ces
notes représentent seulement une tentative d’unir notre voix
critique à celles qui ont dénoncé les limites de ce forum
pour les dépasser. Malgré l’empreinte franco-parisienne donnée
au forum par le secrétariat d’organisation, la participation
du mouvement du reste de la France et de l’Europe a été grande
et pleine d’enthousiasme et le forum s’est confirmé être
le lieu privilégié et indispensable où débattre et confronter
les expériences et les élaborations théoriques concernant
les problèmes essentiels de notre époque. Le forum de Paris
a démontré, s’il en était besoin, que la seule perspective
pour tous ceux qui s’opposent à l’état de choses actuel est
la croissance du mouvement, sa capacité à élaborer un projet
sur lequel mobiliser les jeunes (Voir la belle expérience
du GLAD l’espace juvénile qui s’est crée aux
portes de Paris près de la Villette, qui a attrait
milliers de jeunes, qu’à leurs manières indépendantes,
ont participé à FSE) et toutes les forces démocratiques
et de progrès. Nous sommes déterminés à continuer le débat
sur les thèmes, et ils sont nombreux, que le forum a discutés
en les faisant sortir des salles de conférence, en les amenant
dans les rues et sur les places de Paris, en les enrichissant,
plutôt que par d’autres élucubrations savantes, par la créativité des
ouvriers qui défendent les droits conquis dans les décennies
passées et par celle des immigrés, des précaires et des chômeurs,
des jeunes et des étudiants, de ce nouveau prolétariat que
des grèves comme celle de Mc Donald, faubourg Saint-Denis
et le mouvement des professionnels qui travaillent dans le
domaine culturel rendent de plus en plus visibles. Il s’agit
de la partie de la population qui forme la base de la pyramide
sociale, celle qui supporte le poids du sommet, de moins
en moins peuplé mais de plus en plus riche, où la gauche,
la gauche traditionnelle, n’est pas du tout représentée et
où les mouvements qui font référence au forum social, qui
sont en train d’y faire leurs premiers pas peuvent et doivent
se fondre et se confondre pour en tirer les idées justes à discuter.
De ces idées, produit de la pratique sociale, de l’expérimentation
de formes de démocratie directe peut naître un projet politique
qui ne soit pas seulement "contre" mais aussi et surtout "pour" une
série d’objectifs tout à fait autonomes et à la hauteur du
défi des classes et des pays dominants et de leurs alliés,
en liant le thème de la construction démocratique de l’unité européenne à celui
du conflit social et de la construction de nouveaux droits
du travail, de citoyenneté et d’un nouveau système de protection
sociale. Il faut conjuguer la critique du modèle libéral
représenté par le projet de Constitution Européenne que la
Convention a prédisposé avec l’enracinement dans la réalité sociale
pour la construction d’une autre Europe.

Collectif Bellaciao
Paris 05 décembre 2003

Messages