Accueil > Jo Le Guen, l’aviron et rien d’autre

Jo Le Guen, l’aviron et rien d’autre

Publie le jeudi 21 décembre 2006 par Open-Publishing

de Nicolas Guillermin

Aventure . Actuel troisième de Rames Guyane, la course transatlantique à l’aviron en solitaire, Jo Le Guen est un marin pas comme les autres. Portrait.

Il a toujours ramé pour une cause. En 1995, c’est pour les sauveteurs en mer qu’il traverse l’Atlantique Nord en cent trois jours. Deux ans plus tard, lors d’une course en double où il finit deuxième, il rallie en quarante-neuf jours les Canaries aux Antilles avec un ancien détenu pour qu’on parle de la réinsertion. En 2000, il entreprend la traversée du Pacifique Sud sur son canot Keep it Blue, du nom de l’association qu’il anime, pour sensibiliser l’opinion publique à la préservation des océans, mais la gangrène qui ronge ses pieds a raison de lui et il abandonne à mi-parcours. Cette fois, Jo Le Guen, colosse à la moustache épaisse et au caractère bien trempé, participe à Rames Guyane, course transatlantique à l’aviron en solitaire qui a appareillé de Saint-Louis du Sénégal le 19 novembre pour rejoindre Cayenne en Guyane (lire encadré). Avec pour leitmotiv un questionnement : « L’homme ou le marché ? 2007 : l’heure du choix. »

à la force du poignet

Il a traversé le Sahara, il a vécu de nombreuses années à Bora Bora, en Afrique, au Mexique, mais ce que les gens ont retenu de ce marin engagé, c’est son opiniâtreté. Installé à Lampaul-Plouarzel (Finistère), originaire de l’île de Molène, fils, petit-fils et arrière-petit-fils de marins pêcheurs, Le Guen a traversé une dizaine de fois l’Atlantique à la voile, dont deux fois en solitaire, mais c’est à la rame et à la force du poignet qu’il s’est fait un nom. « J’ai toujours préféré courir pour une cause que pour un sponsor, explique cet homme dans la force de l’âge (cinquante-neuf ans), aux mains larges et rugueuses. Quand Michel Horeau (l’organisateur de la course - NDLR) m’a proposé cette course, je me suis dit : "Je la fais pour quoi ?" Et puis en réfléchissant, ça m’est venu, comme une évidence. »

Il détaille son raisonnement : « L’outil est devenu une fin en soi, et l’homme un élément de cet outil. L’homme ou le marché, c’est une question de société. Qui peut, qui a les moyens de se passer de cette question ? »

Et de répondre : « Pour le marché, plus exactement pour le capitalisme financier, l’homme et la nature ne sont que des éléments du système de production. Cette logique est mortifère (...). Les États ont failli. Ils ont démissionné face à la puissance, la capacité de réaction et d’adaptation des grands groupes privés. Aussi ai-je fait le choix de contribuer à promouvoir une candidature à la prochaine présidentielle, quelle qu’elle soit, qui rassemblera les forces antilibérales. »

Toujours, aller de l’avant

C’est dans son lit, après son amputation des dix orteils, à Punta Arenas (Chili), que Jo Le Guen prend conscience que les « politiques ont baissé les bras ». « Quand je suis sorti de l’hôpital de Brest et de la morphine, cela faisait cinq mois que l’Erika avait fait naufrage. Pour sortir de ce traumatisme, je n’avais qu’un seul choix : aller de l’avant. Immobilisé chez moi, les pieds emmaillotés, j’ai constaté que les victimes n’étaient pas plus respectées depuis le naufrage de l’Amoco Cadiz en 1978. Je me suis intéressé au Fipol (Fonds d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures). » Dès qu’il peut marcher, il part à Londres assister aux réunions du Fipol et joue le rôle d’empêcheur de tourner en rond. Il sortira un documentaire de cinquante-deux minutes, Marées noires : le naufrage des droits de l’homme ? quelques années plus tard expliquant les arcanes du système.

Pour Rames Guyane, il est à l’origine du monotype (tous les bateaux sont identiques - NDLR) de huit mètres, choisi par l’organisation, qui est largement inspiré de l’embarcation qu’il avait imaginée pour affronter le Pacifique Sud. Il aurait pu en tirer une certaine fierté ou une appréhension. C’est plein d’humilité qu’il est reparti à l’assaut des flots : « Traverser l’océan à la rame, cela revient à le traverser à la vitesse d’un marcheur. C’est une relation privilégiée qu’on a avec la mer. »

http://www.humanite.presse.fr/journ...