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Rendre visible la France invisible...

Publie le samedi 23 décembre 2006 par Open-Publishing
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Attention, objet intellectuel non identifié, Misère du monde version 2006, dessinant en creux les zones d’ombre de notre société. Le point de vue de Céline Roux sur La France invisible, ouvrage publié sous la direction de Stéphane Beaud, Joseph Confavreux et Jade Lindgaard, aux Editions La Découverte, Paris, 2006.

Nécessaire retour à la réalité adressé à nos futurs présidentiables, ces quelque sept cents pages mêlent témoignages, éclairages théoriques, plumes sociologique et journalistique. Une réflexion transversale, qui entend sortir les scientifiques de leur tour d’ivoire, tandis qu’elle extirpe un certain journalisme du factuel, celui-là même qui braque ses projecteurs quand le mal est déjà fait et qui obéit moins à la règle de l’information qu’à celle du sensationnalisme, faisant sombrer dans l’oubli licenciés et autres discriminés, par peur de lasser une opinion trop versatile.

Le parti pris du subjectif

La première partie de l’ouvrage, « Récits, enquêtes, portraits », prend la forme d’un dictionnaire des « invisibles », balayant, par chapitre, un thème avec témoignage suivi d’un éclairage théorique (par ordre d’apparition : Accidentés et intoxiqués au travail, banlieusards, délocalisés, démotivés, discriminés, disparus, etc.). D’emblée, parcourir ces pages provoque un malaise, du même ordre que celui suscité par certains programmes télévisés, sorte de surenchère au plus discriminé (comment vivre en étant gai, et handicapé ?), distillant subrepticement la sensation de n’être qu’un lecteur voyeur, passif, se repaissant du malheur d’autrui.

Mais très vite, l’opinion s’inverse et ce parti pris du subjectif, du témoignage à la première personne sert un propos plus vaste qu’il n’y paraît. En donnant la parole à ces Français trop banals, inclassables et déclassés, plus habitués à serrer les dents qu’à lever le poing, l’ouvrage fait mouche, émeut, car humanise des situations souvent trop abstraites et rend compte avec force de cette violence symbolique. On apprend par exemple que les ouvriers licenciés chez Levi’s développent plus de cancers et enregistrent un taux de suicide plus élevé que la moyenne.

En filigrane, émergent les grands paradoxes de notre société, tel celui de l’obsolescence du modèle républicain face à la diversité française : « Le problème tient à l’impossibilité très française de concevoir qu’Arabe ou Noir puisse être autre chose qu’une insulte ou une revendication identitaire contradictoire avec la citoyenneté. Le malaise avec les catégories ethniques tient tout autant à leur potentiel péjoratif pour ceux qui seraient désignés par elles que par leur capacité à révéler les divisions internes à la société française » nous apprend Patrick Simon, sociodémographe à l’Ined.

Au-delà de la dénonciation

La seconde partie de l’ouvrage, « Connaissances et représentations du monde social » donne de l’ampleur à la première et fait office de mea culpa des acteurs sociaux, politiques et économiques. Les auteurs cherchent ici à comprendre les causes, conséquences et responsables de cette situation. Sur le banc des accusés : les sciences sociales déconnectées du réel (article très pertinent sur la sociologie et ses angles morts) ; les hommes politiques qui font du « social en chambre » à grands coups d’expertises édulcorées par l’agenda politique ; les statistiques figées dans des catégories obsolètes. Sans oublier le discours médiatique qui préfère parfois surfer sur un phénomène vendeur mais à la validité contestable, au détriment d’une réalité moins « sexy » mais statistiquement éprouvée (bourgeois bohème versus travailleurs pauvres). Responsable mais pas coupable, chacun a un rôle dans cette entreprise de dénigrement massif.

Contre la déploration « décliniste », l’inquiétude sécuritaire, la rage verbale incantatoire ou le refoulement souriant », La France invisible invite à repenser la place du citoyen non plus comme simple objet de politiques, de stratégies et de discours, mais aussi comme usager critique et responsable des institutions, des médias, des statistiques, des syndicats. Le but ? « Reformuler des sentiments (d’exclusion de mépris, de discriminations, etc.) en discours et actions politiques ».

Au final, un mélange des genres certes partisan et subjectif, mais qui a pour mérite de pointer du doigt des situations méconnues et de débusquer les grands tabous de notre société.

Salutaire.

http://laurentfabius2007.over-blog.com

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