Accueil > La banane en crise

La banane en crise

Publie le samedi 30 décembre 2006 par Open-Publishing
3 commentaires

Source : http://www.laterre.fr/article.php3?...

Le futur de la banane française se joue en ce moment, avec la réforme du marché européen. Avec lui se joue aussi l’avenir de la Martinique et de la Guadeloupe, pour qui la banane demeur un poumon économique et territorial vital.

Les Antilles françaises se font du mauvais sang. Car pour la banane, l’échéance approche : au 1er janvier prochain, la réforme de l’organisation commune du marché (OCM) européen de la banane va devenir réalité. Or avec cette réforme, l’Union européenne entérine l’affaiblissement progressif de la production européenne de bananes. Déjà, après 13 ans de ce régime, la banane antillaise est exsangue. Les petits et moyens producteurs ne survivent qu’à grand peine à côté d’une poignée de géants - « géants » qui eux-mêmes ne pèsent pas grand-chose auprès des trois multinationales américaines (Chiquita, Del Monte et Dole), qui inondent le marché mondial de leurs « bananes-dollar » produites en Amérique centrale.

On ne sait pas toujours très bien que l’UE est un producteur non négligeable de bananes : quelque 750 000 tonnes, sur les 4 millions de tonnes qu’engloutissent les Européens chaque année, sont produites par la France (Guadeloupe et surtout Martinique), l’Espagne (Canaries) et le Portugal (Madère et Açores). Aux Antilles françaises, dont la plus grande part de l’activité est accrochée à la filière agroalimentaire, la banane constitue le véritable moteur économique. « Elle occupe un tiers de la surface agricole », explique Georges Venkatapen, le secrétaire général du CODEMA-MODEF (Comité de défense des métiers agricoles, affilié au MODEF), « et représente 62 % de la valeur de la production agricole ». Mais surtout, la banane constitue un indispensable poumon économique pour un territoire comme la Martinique, dont l’approvisionnement dépend étroitement des importations. Y compris sur le plan agroalimentaire, puisque la production locale couvre tout juste un cinquième de la consommation. Or sans la banane, culture d’exportation, les bateaux qui approvisionnent l’île repartiraient le plus souvent à vide : le coût du fret exploserait, et avec lui le coût de la vie. Réaction en chaîne : la banane est une production de main d’œuvre ; et sans les 14 000 emplois directs et indirects qu’elle génère, la Martinique et la Guadeloupe auraient vite fait de se trouver livrées à la misère qui ravage déjà de nombreuses îles antillaises.

Pendant des années, les Antilles françaises ont bénéficié d’un accès privilégié au marché intérieur, grâce à une politique de contingentement des importations qui leur réservait les deux tiers du marché français - le tiers restant étant attribué, là aussi en fonction d’accords préférentiels, aux pays de la zone ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique), principalement des pays africains comme le Cameroun ou la Côte-d’Ivoire. Mais en 1993 l’entrée en vigueur de l’OCM banane, prélude à la libéralisation du marché, a bouleversé cet équilibre. Une politique européenne de quotas a été mise en place : 750 000 tonnes par an pour les bananes européennes, autant pour les bananes ACP... et 2,5 millions de tonnes pour les bananes-dollar. Ce dernier quota s’assortissait tout de même d’un droit de douane assez dissuasif de 700 euros la tonne en cas de dépassement. Dans le même temps, les bananes de la zone euro bénéficiaient d’un système de compensation si le prix de vente était inférieur au prix de revient. Pendant cette période, les producteurs européens ont pris des directions différentes : pendant qu’aux Canaries, on développait en même temps une politique de qualité et des efforts de marketing en direction du marché espagnol, en Martinique les grands planteurs tentaient plutôt de copier les méthodes de la banane-dollar : industrialisation des techniques de production, réduction des coûts de main-d’œuvre... Les conséquences ont été désastreuses. « Après dix ans de ce régime totalement inadapté aux caractéristiques de l’agriculture martiniquaise », raconte Georges Venkatapen, « les exploitations sont endettées, les déficits s’accumulent, et toute la filière est en danger. Le nombre d’exploitations a été divisé par trois, on a perdu entre 4 000 et 5 000 emplois sur les trois dernières années, mais même ceux qui ont profité de cette période pour grossir ne sont pas assurés de leur avenir. » Une autre conséquence a été l’épuisement des sols, du fait de la monoculture, et l’usage massif d’intrants parfois toxiques, comme le chlordécone. Cet antiparasitaire, interdit en 1993, a contaminé de façon irrémédiable de nombreux sols, devenus du coup impropres à de nombreuses autres cultures.

Dans ce contexte, la nouvelle réforme est lourde de dangers. Elle supprime les quotas et instaure un tarif douanier unique, qui devrait s’établir à 176 euros la tonne - le Parlement européen doit se prononcer sur cette question dans les jours qui viennent. Insuffisant, pour les producteurs européens, qui auraient souhaité que son montant soit fixé à 295 euros - tandis que l’Equateur, grand producteur de banane-dollar (ce pays fournit plus du quart des importations européennes, alors que les bananes européennes couvrent tout juste 16 % du marché intérieur), a d’ores et déjà attaqué le système devant l’OMC, le jugeant trop pénalisant. Cela n’empêche pas Georges Venkatapen de voir une lueur d’espoir dans le maintien de la compensation pour les producteurs européens, sous forme d’aide directe découplée de la production : à la différence de l‘ancien système, où les planteurs travaillaient à l’aveugle, le montant de cette aide sera en effet connu à l’avance. Mais la menace d’un recul de la production demeure, surtout face aux capacités de dumping des multinationales de la banane-dollar. Elles trouvent dans la grande distribution un allié de poids, qui préfère importer des tonnes de bananes-dollar plutôt que de récompenser les efforts de qualité, reconnus, accomplis par les producteurs antillais. Car si la catastrophe annoncée se produisait, la France n’y perdrait pas seulement le bon goût de la banane : elle laisserait deux départements d’outremer à l’abandon, et les clichés touristiques n’y pourraient pas grand-chose.

par Olivier Chartrain

Messages