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Disparus congolais du Beach : Paris veut aussi faire un procès

Publie le vendredi 12 janvier 2007 par Open-Publishing

La Cour de cassation relance le volet français de cette affaire datant de 1999.

Par Renaud LECADRE

La Cour de cassation met le pied dans le plat de la Françafrique. Hier, la plus haute juridiction française a relancé le volet hexagonal de l’affaire des disparus du Beach, du nom du port fluvial de Brazzaville où quelque 350 opposants congolais auraient été portés disparus en mai 1999, présumés victimes du régime de Denis Sassou-Nguesso. La justice française s’était initialement saisie des plaintes déposées par des familles de victimes, au motif que plusieurs dignitaires de l’armée congolaise possèdent une résidence secondaire en région parisienne, ce seul détail suffisant à légitimer sa « compétence universelle ». Un juge d’instruction de Meaux (Val-de-Marne) avait même procédé à l’arrestation du chef de la police venu se faire soigner en France, avant que la cour d’appel de Paris n’annule l’ensemble de la procédure, en novembre 2004, pour un vice procédural.

« Actes inhumains ». Les victimes s’étaient pourvues en cassation, sauf qu’entretemps la justice congolaise, prenant de vitesse son homologue française, a organisé en juin 2005 son propre procès du Beach : une quinzaine de hauts responsables policiers et militaires (à l’exception de Sassou, car il ne faut quand même pas pousser) ont été jugés pour « crimes contre l’humanité », « torture » et autres « actes inhumains ». Avec un verdict pour le moins curieux : les accusés ont été relaxés, quand bien même l’Etat congolais était reconnu globalement responsable des disparitions et condamné à verser dix millions de francs CFA (environ 15 000 euros)...

Pour Me Patrick Baudouin, avocat des parties civiles françaises et président d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), la décision de la Cour de cassation, « revenant à la primauté des règles de droit sur les considérations de basse politique, est une victoire pour la justice française, qui ne s’était pas honorée jusque-là » : libération express du chef de la police un samedi à une heure du matin, après intervention express du Quai d’Orsay, puis annulation de l’ensemble des poursuites par la cour d’appel, au motif que le réquisitoire introductif avait été ouvert contre X, et que monsieur X n’était pas connu comme résident français...

Le juge d’instruction s’était lui-même plaint d’ « interventions de nature à compromettre gravement le déroulement serein et indépendant » de son enquête. « La Cour de cassation a éjecté la raison d’Etat qui n’avait eu de cesse de polluer ce dossier », se félicite Me William Bourdon, autre avocat des parties civiles.

« Embûches ». Si la procédure française est relancée, désormais aux mains de la chambre de l’instruction de Versailles, les poursuites éventuelles contre des dignitaires congolais risquent de buter sur l’autorité de la chose jugée, puisque la cour d’assises de Brazzaville a déjà statué avec l’acquittement général. « Nous ne sous-estimons pas les embûches, concède Me Baudouin, mais nous démontrerons que le procès de Brazzaville, monté de toutes pièces,
n’a pas respecté le minimum des standards du procès équitable et impartial. »

Me Jean-Pierre Versini, avocat français ayant assuré la défense de généraux de Sassou, estime au contraire que la justice congolaise « mérite le bénéfice du doute » : « cinq semaines d’audience, retransmises à la télévision, avec une quinzaine d’avocats des parties civiles ». Contrainte de faire le procès du procès de Brazzaville, la justice française saura-t-elle juger, en toute objectivité, qu’elle-même vaut mieux que son homologue africaine ?

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