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Catane, la rhétorique au coin de la rue

Publie le mercredi 7 février 2007 par Open-Publishing

de Stefano Jorio traduit de l’italien par karl&rosa

Il était une fois un pays enfantin et féroce, mais si bon, passionné de scandales et de sport. Son opinion s’échauffa en 1980, quand elle découvrit que derrière le foot il y avait un système illicite qui fut appelé Calcioscommesse [le système des paris illégaux autour des matchs de foot, NdT].

L’opinion s’échauffa une deuxième fois en 1986, quand elle découvrit un autre système illicite qui fut appelé Deuxième Calcioscommesse. Ensuite, en 2006, il y eut le séisme judiciaire qui fut appelé Calciopoli [le système de truquage des matchs de foot, NdT].

Ensuite, un tas de violences, la zone du stade Olimpico de Rome dévastée pendant les affrontements entre des tifosi et la police, ensuite des chœurs racistes, ensuite ce pays pensa être digne de respect parce qu’il avait gagné le championnat du monde, ensuite, pour la même raison, certains proposèrent d’acquitter les responsables de Calciopoli, ensuite un footballeur frappa de la tête un adversaire et devint célèbre même s’ils étaient plusieurs à l’avoir déjà fait, ensuite un soir, à Catane, un policier mourut parce qu’on lui balança une bombe.

Synthèse contre synthèse. Pourquoi, dans le ballet des déclarations qui ont suivi la tragédie de Catane, encore une fois, a-t-on parlé de délinquance, de répression, de dérives inacceptables et de mesures drastiques ? En ignorant la monstrueuse complexité sociopolitique de la question foot : les énormes intérêts économiques liés aux droits télé. Les sponsors. La ploutocratie, les privilèges de naissance, le capitalisme pourri de Parmalat greffés et normalisés sur la routine dominicale de la nation. Les feux des projecteurs pour les aigles de l’industrie, du bâtiment, de la finance - qui dépensent, et ce n’est pas un hasard, des sommes disproportionnées pour la présidence d’une société et les objectifs des caméras.

Le panem et circenses, l’orgueil absurde identitaire et nationaliste (le Milan, Forza Italia) d’une population dépourvue des droits civils communs aux pays européens. L’imaginaire martial de tifosi violents et traditionnellement de gauche. « Je suis fier d’être Italien », déclara il y a quelque temps le président de la République, pendant une rencontre officielle avec quelques athlètes médaillés aux Jeux Olympiques d’Athènes. « J’ai honte d’être Italien » a dit le président de l’association des footballeurs après la mort de Filippo Raciti. En Italie, l’indice de la fierté cahote sur les nouvelles du sport. Ni une distribution des richesses qui nous cantonne parmi les derniers en Europe ni une sentence de la Cour de Cassation selon laquelle le viol d’une gamine qui n’était déjà plus vierge est moins grave ne nous font honte.

L’intolérable, pour le sénateur Bianco, ce n’est pas le massacre des salariés qui meurent au travail comme des mouches, ni la violence grandissante contre les femmes, mais la violence dans les stades. « Des dégénérescences qui offensent la conscience civile du pays » ce ne sont pas, pour le président Napolitano, les délires du pape à propos des unions gay : mais encore les violences dans les stades. L’Italie s’indigne, proteste et s’émeut toujours et seulement au sujet des occasions du calendrier du foot.

Et le foot mobilise plus qu’autre chose la rhétorique grossière de l’Italie petite bourgeoise. De prudentes analyses de politique internationale sont proposées si dans leur carrière les femmes italiennes se trouvent à la 45ème place dans une classification de 58 pays. On construit des chefs d’œuvre de langue de bois à propos des violations des droits de l’homme en Chine (et entre temps les multinationales signent des accords avec son gouvernement).

Mais le policier mort à Catane a « ensanglanté le sport italien ». Comment se fait-il que les femmes tuées par leurs maris n’ensanglantent pas la famille ? Il y aura bien une raison. La planète est un espace péripatétique disponible pour les promenades philosophiques des opinion makers : mais gare si c’est la routine somnolente du calcio qui est altérée, sa captivante confirmation hebdomadaire que le monde des bons sentiments, de la saine fierté d’appartenance, du cœur et de l’amour est le meilleur des mondes possibles.

Que sont-ils devenus, les procès de Calciopoli, qui semblaient avoir amené le calcio à l’échec et les tifosi au dégoût ? On n’en a plus parlé. Et les discussions sur le coup de tête de Zidane à Materazzi ? Qu’est-il devenu, le chœur indigné suite aux violences du derby Rome -Lazio d’il y a trois ans ? Il est ici, il est revenu : il attendait le policier mort de Catane. Les championnats de 1ère et de 2ème division sont suspendus « pour un temps indéterminé » : qui est le temps nécessaire pour un rapide rinçage du cœur, après quoi on pourra faire comme s’il ne s’était rien passé.

Mais il faut qu’entre temps le chœur continue à monter, comme dans un crescendo de mélodrame : des mesures drastiques ! Répression ! Autrement, on ne rejoue pas. Nous sommes incrédules, humiliés, offensés !

La Süddeutsche Zeitung relate une déclaration de la FIGC [Fédération Italienne de Football, NdT] : « On ne peut pas continuer ainsi. Ce que nous voyons n’a rien à voir avec le foot. » Il se trompe. Le policier mort de Catane est une partie intégrante de l’imaginaire que sous-tend le monde du foot. Ce n’est pas un accident tragique, mais un élément du système. S’indigner ex post est hypocrite et obtus.

http://www.liberazione.it/giornale/070206/default.asp