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LES OUBLIES DE NOS MEILLEURES ANNEES

Publie le vendredi 6 février 2004 par Open-Publishing

Critique

Il y a une partie de cette meilleure jeunesse, qui a été la génération de 68
et de 77, qui manque dans le scénario du film de Marco Tullio Giordana. Giordana,
(cliquer
ici pour plus d’information
) excellent réalisateur de cinéma engagé. C’est
la jeunesse militante protagoniste de la plus belle production de Giordana réalisée
jusqu’ici, "Les
cent pas
".

Ce sont les milliers de Peppino Impastato éparpillés dans l’Italie de la révolte
estudiantine et ouvrière, de l’utopie et de la fantaisie au pouvoir, de l’automne
chaud et du Statut des Travailleurs que la stratégie de la tension et des massacres
devait stopper. Certains n’étaient plus tout jeunes : Giuseppe Pinelli, apprenti
suicidaire, ou Pietro Valpreda, danseur poseur de bombes, le 12 décembre 1969 étaient
déjà d’un âge avancé.

C’était au contraire de jeunes vies, celles des Franceschi et des Zibecchi, des
Lorusso et des Rossi et de nombre de jeunes antagonistes qui pendant une décennie
d’espoirs, d’engagement, de joie de vivre, de cohérence laissèrent leurs printemps
sur le macadam des rues italiennes. Par chance ils ne moururent pas tous tués
par les Forces du soi- disant Ordre et par les compagnons du désordre. Même si
la mort politique et idéale survint également à cause de l’impossibilité d’exécution
des projets, du naufrage des programmes, de la disparition des organisations,
des choix perdants de certains qui se déversèrent sur des milliers d’autres têtes,
rêveuses à leur façon, peut-être, mais actives.

Actifs, comme Impastato qui dénonçait les abus de la pègre et la connivence avec
la grande politique, qui revendiquaient le droit au travail, dans toutes les
formes de protestation et d’auto organisation des classes faibles pour s’opposer à la
vie chère, au manque de logements, de services publics aux coûts acceptables.
C’était une jeunesse qui ne pratiquait pas la lutte armée comme Giulia, la brigadiste
du film, mais qui faisait peur précisément à cause d’une conviction différente,
celle de sacrifier son propre ego au profit d’un engagement collectif. C’est
pourquoi elle fut combattue, exclue, défaite non seulement par le capital, mais
par ces pseudo réformistes qui à gauche ont tant soutenu le système et qui en
ont reçu en échange autant d’espace.

En vivant la saison intense des idéaux, une partie non visible de la meilleure
jeunesse a renoncé et n’a pas eu - comme le bourgeois interprété par Fabrizio
Gifuni - de chances pour entamer de brillantes carrières qui, au moins pour les
compétences, auraient été à sa portée et a été contrainte par la suite à une
existence sous dimensionnée. A cette jeunesse, Giordana ne rend pas l’honneur
des armes pour le credo et l’engagement dépensés mais, bien au contraire, cette
jeunesse dans le film semble carrément ne pas exister. En effet, après les "anges
de la boue" dans l’inondation de Florence et une tranche des affrontements dans
les rues en 68, il n’y a dans la trame du film qu’une élucubration de lutte armée
et rien de plus.

Et pourtant à l’époque, même avec tant d’erreurs, une partie de la meilleure
jeunesse fit aussi autre chose. Il y eut bien vivants, dans les nombreux cycles
de lutte qui unirent des hommes et des femmes, des ouvriers et des chômeurs,
des jeunes et des cinquantenaires, les mouvements de l’âme les plus limpides,
humains, solidaires. D’une manière moins emphatique par rapport aux secours mutuels
prolétaires de l’Italie de Giolitti ou aux poussées à la reconstruction du deuxième
après-guerre, mais significative. Après avoir tout effacé par crainte des changements
et avec l’alibi de la révolte armée, le reste de la vie nationale a été surtout
du caméléonisme et du favoritisme démocrate-chrétien, de l’ hédonisme craxien
et donc de l’opportunisme, des égoïsmes, des vols, des dettes, des pots-de-vin,
des attaques à la position tierce de l’état (qui d’ailleurs chez nous est déjà mince).

Ce n’est pas que nous demandions à Giordana une oeuvre de propagande telle que
certains mauvais films de l’époque. Mais il est vraiment surprenant qu’un homme
de cinéma attentif et anticonformiste, dans une œuvre qui avait la prétention
d’ évoquer la partie la plus noble du Pays dans une période de grand tourment,
ait négligé un pan significatif de cette meilleure jeunesse qui le passionne
tant.

Enrico Campofreda

du site : http://www.lankelot.com

Traduit de l’italien par M.C. et G.R.

06.02.2004
Collectif Bellaciao