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La gauche solidaire des chercheurs

Publie le mardi 17 février 2004 par Open-Publishing

Une déclaration commune pour la défense de "la recherche et l’innovation" a
été signée, lundi 16 février, à l’appel du PCF, par le PS, le Parti radical
de gauche (PRG), les Alternatifs (écologistes de gauche), le Mouvement
républicain et citoyen (MRC, chevénementistes) et l’Association pour une
gauche républicaine (AGR, chevénementistes dissidents). Déplorant que,
"depuis plusieurs années, les différents gouvernements n’ont pas fait de la
recherche une véritable priorité nationale", et que "la politique actuelle
aggrave considérablement les difficultés", les signataires "s’engagent (...)
à être de toutes les mobilisations pour contraindre le gouvernement à
d’importants reculs".

Jean-Pierre Raffarin entretient avec les milieux intellectuel s des
relations ambivalentes

Il affirme s’être toujours méfié des intellectuels. Surtout en politique.
Pour cela, peut-être, et sans doute parce qu’il se pose volontiers en héraut
de la "France d’en bas", le premier ministre pourrait facilement passer pour
leur adversaire. "Autant j’attache de l’importance à la pensée, à la
démarche spirituelle j’ai du respect pour les religions par exemple ,
autant l’idéologie politique me paraît toujours une simplification
manipulatrice", nuançait-il dans son livre d’entretiens (La France de mai,
2003, Grasset). Cibles de ses critiques, les idéologies globalisantes du
XXe siècle, "perversions" qui ont abouti, selon lui, à une "déshumanisation"
et à la négation de l’individu. Le jugement vaut pour le marxisme, mais
aussi pour l’idéologie libérale qu’avait épousée la droite française dans
les années 1980.

Jean-Pierre Raffarin ne néglige pas pour autant la pensée politique. "Je
crois que, si nous avons aujourd’hui des difficultés sur le terrain
politique, c’est parce que la droite, pendant très longtemps, a abandonné le
terrain des idées", expliquait-il, le 19 janvier, au cours d’un débat
organisé par Le Monde (nos éditions du 22 janvier). Refusant le partage des
rôles entre conservateurs gestionnaire et progressistes inspirés par les
intellectuels et les artistes, le premier ministre rêve de décomplexer la
droite, que Lionel Jospin qualifiait encore d’"esclavagiste et
antidreyfusarde" à la tribune de l’Assemblée, le 14 janvier 1998.

Derrière un pragmatisme affiché, M. Raffarin s’attache donc à redonner une
colonne vertébrale à son camp dans le domaine des idées. Dès 1999, c’est
dans cet esprit qu’il avait fondé le club Dialogue et Initiative, avec
Jacques Barrot, Michel Barnier et Dominique Perben, pour préparer le socle
idéologique de la reconquête chiraquienne. "La droite est en train de
refonder une pensée, mais certainement pas un système idéologique",
décryptait-il dans La France de mai, livre dont le titre fait référence à la
victoire de M. Chirac en 2002 mais qui exprime aussi le désir d’une revanche
sur l’autre mois de mai, celui de 1968, dont la gauche se serait approprié
l’héritage. M. Raffarin y salue même "la fin du mouvement politique
soixante-huitard lors de l’élection présidentielle -de 2002-".

NOMMER DES PHILOSOPHES

Dans cette tâche, M. Raffarin se construit un "humanisme moderne". Il évoque
souvent ses lectures et ses contacts avec des sociologues ou des philosophes
comme Edgar Morin, Marcel Gauchet, Jean Baudrillard ou Luc Ferry. La
nomination de ce dernier au ministère de l’éducation nationale a été voulue
comme un geste fort et symbolique, à un moment où une large part de
l’intelligentsia française, déçue par les expériences socialistes, cherchait
de nouveaux repères. En 2003, le premier ministre a aussi choisi le
philosophe Alain Etchegoyen pour en faire le nouveau commissaire général au
Plan.

Mais le ralliement des intellectuels à la droite n’a sans doute pas été à la
hauteur de ses espérances. Il s’en est ostensiblement agacé, à l’automne
2003, alors que s’animait le débat public sur le "déclin de la France",
initié par le livre de Nicolas Baverez (La France qui tombe, Perrin).
Répondant au magazine américain Time, M. Raffarin fustigeait alors le
"déclinisme" des intellectuels français, qu’il jugeait trop éloignés de la
réalité : " -Ils- sont comme le bouchon d’une bouteille de champagne,
jugeant sa qualité du haut de la bouteille, déplorait-il. Or, il faut faire
sauter le bouchon pour goûter le champagne" (Le Monde du 9 octobre 2003). Le
2 octobre, il avait déjà critiqué "cette pensée congelée, qui, tous les
vingt ans, est ressortie par des gens qui sont supposés être de grands
intellectuels" pensée qui conduit, selon lui, à la démobilisation. L’appel
aujourd’hui lancé par Les Inrockuptibles "contre la guerre à l’intelligence"
qu’il est accusé de mener risque fort de conforter cette conviction.

LE MONDE