Presse à merde ! (Le Monde)

Marie-George Buffet, communiste sans le dire

Pour préserver son identité, Marie-George Buffet a décidé de ne plus la montrer. C’est comme si elle jouait à cache-cache avec elle-même. Exit le rouge sang du Parti communiste : c’est sur fond orange, orné d’un fin bandeau arc-en-ciel, que la candidate prend la parole en meeting depuis son entrée en campagne, au Zénith le 23 janvier. Il ne s’agit pas d’un aménagement cosmétique. La secrétaire nationale du PCF est contrainte de mettre de côté les marqueurs idéologiques, sans rien renier sur le fond.

PARCOURS

1949 Naissance à Sceaux (Hauts-de-Seine).

1969 Adhère au PCF.

1987 Entre au Comité central du PCF.

1997 Devient ministre de la jeunesse et des sports.

2001 Secrétaire nationale du PCF, elle succède à Robert Hue.

2002 Réélue députée de Seine-Saint-Denis.

Bien que communiste convaincue, Marie-George Buffet a chassé le mot de son vocabulaire. Point de "communisme", ni sur son site Internet ni dans ses discours de campagne. Début janvier, elle a pris congé de la direction du PCF. Désormais, elle se dit candidate de "la gauche populaire et antilibérale"... sauf qu’il y a trois trotskistes et un paysan du Larzac sur le même créneau.

"Elle a compris ce qu’il ne fallait pas être, mais pas ce qu’il fallait être, résume Alain Krivine, figure historique de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Son discours est moins dogmatique, moins affirmatif. Mais elle a échangé sa vieille langue de bois contre une nouvelle, malgré ses accents radicaux."

La voilà prisonnière d’une sorte de zone grise, indéfinie politiquement, due à l’échec d’une candidature unique de "la gauche de la gauche", antilibérale, apparue dans l’euphorie de la victoire du non au référendum de 2005 sur le projet de Constitution européenne. Affaire de calcul : pour le PCF, cette coalition n’avait de sens que s’il en prenait la tête. En cédant la place, Marie-George Buffet aurait peut-être signé l’acte de décès de son parti. Ce dernier s’est alors engagé dans une mutation. Ou dans sa propre euthanasie. Du communisme, Marie-George Buffet a gardé l’appareil bureaucratique et la gestion des courants. La ferveur populaire a disparu.

Certains cadres du parti guettent son échec, voire se tournent vers José Bové. "Le PCF aujourd’hui, c’est à peu près 100 000 personnes, une population militante divisée et vieillissante, avec un îlot dans le Pas-de-Calais et un désert au milieu, explique l’historien Marc Lazar. Chacun fait ce qu’il veut. Marie-George Buffet, elle, essaie tant bien que mal d’assurer l’unité."

Le noyau des militants endurcis, aux tempes blanchies, votera toujours pour le parti. Mais les colères d’une certaine jeunesse s’expriment plus avec la LCR. Problèmes à sa gauche, dilemme à sa droite : Marie-George Buffet doit trouver la bonne distance par rapport au PS. Pas question de rompre avec les socialistes, même s’ils sont trop complaisants envers la logique libérale. La candidate est bien un produit du PCF, qui souffre d’une schizophrénie constante depuis plus de vingt-cinq ans. Il prétend changer le monde et s’assoit sur cette ambition à la vue du moindre portefeuille ministériel. Les communistes n’ont de radical que l’écorce. Au fond, ce sont d’aimables partenaires de gouvernement.

Les législatives seront l’occasion de conclure de nouvelles alliances. Marie-George Buffet s’avance dans la campagne avec d’autres handicaps. Elle est la première femme parvenue à la tête du parti, mais personne ne s’en émeut. Elle-même, contrairement à Ségolène Royal, ne joue pas de cette différence. Cheveux à la garçonne, fines lunettes, elle arbore un visage de grand-mère sympa, un rien timide, guère charismatique, avec pour toute coquetterie un simple collier. Elle serait presque du genre à s’excuser si elle devait monter sur une barricade, enrobée dans un de ses costumes larges et sombres, l’allure un peu voûtée.

Et puis, audace incroyable, elle ne veut pas jouer le jeu des médias. Ministre, elle avait refusé de poser en famille pour Paris Match. Invitée le 15 février dans l’émission "A vous de juger" sur France 2, elle n’a pas voulu fournir à la production des photos de famille pour évoquer son enfance. "La vie privée, c’est la vie privée", a-t-elle expliqué, dénonçant le mélange des genres.

Née à Sceaux (Hauts-de-Seine) au sein d’une famille modeste, nombreuse et catholique - six frères et soeurs -, Marie-George est la fille d’un garagiste émigré de Pologne. Ni son grand-père ni son père n’ont jamais parlé polonais devant les enfants. "C’était l’intégration forcée ; enfin, je veux dire, c’était une rupture complète avec le pays d’origine", explique-t-elle dans une vidéo diffusée sur son site Internet.

Jeune étudiante en histoire, Marie-George Buffet intègre les rangs communistes en 1969. C’est, à ses yeux, la meilleure voie pour combattre les inégalités. La réalité lugubre de l’URSS, les crimes staliniens ne l’interpellent pas. L’Archipel du goulag, d’Alexandre Soljenitsyne, a pourtant paru en France en 1973. "Je croyais sincèrement que le communisme, à l’Est, avait très largement amélioré la situation des peuples", explique-t-elle dans Un peu de courage !, un livre d’entretiens, publié en 2004.

Femme d’appareil, Marie-George Buffet était inconnue du grand public quand elle est devenue ministre de la jeunesse et des sports en 1997, dans le gouvernement de Lionel Jospin. D’abord peu intéressée par les problèmes de dopage, qui relevaient à ses yeux du monde professionnel, elle a découvert l’ampleur du phénomène auprès des amateurs, y compris des gamins sortant de l’adolescence. Elle s’est alors investie, malgré les pressions. "Des députés de gauche voyaient d’un mauvais oeil qu’on touche à leur joujou, le Tour de France, qui passait dans leurs circonscriptions", sourit un des anciens conseillers de Mme Buffet. Cette expérience des responsabilités a changé sa vision du pouvoir : pas forcément compromettant, il permet de sortir de "la pureté originelle de la contestation" qui est, selon l’expression de Julien Dray, porte-parole de Ségolène Royal, l’apanage de l’extrême gauche.

Marie-George Buffet est une femme déterminée, voire "brutale", souligne un ancien conseiller, et "qui n’a pas toujours pris des gants pour se débarrasser de certains de ses proches". Cette brutalité, Robert Hue en a fait les frais. Après le résultat électoral désastreux du PCF (3,37 %), au premier tour de l’élection présidentielle en 2002, elle n’a pas hésité à mettre en cause son ancien protecteur sur l’orientation du Parti.

Fallait-il déstaliniser ? Pour Marie- George Buffet, ce processus pouvait remettre en question l’existence même du PCF. Plafonnant aujourd’hui à environ 3 % dans les sondages, elle est le dernier maillon de la longue histoire du PCF. Est-ce la lutte finale ?

Ioulia Kapoustina, journaliste russe

– [-http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-823448,36-893995,0.html]