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Marie-George Buffet : "Le vote utile, c’est le vote qui répond à vos attentes."

Publie le jeudi 12 avril 2007 par Open-Publishing

de Denis Recoquillon

Peut-on faire barrage aux plans de licenciements, aux délocalisations d’entreprises, aux fermetures de services publics, à la disparition des exploitations agricoles qui font vivre nos campagnes ?

Comment améliorer la vie quotidienne de ceux qui n’ont que le produit de leur travail pour vivre, assurer des revenus décents aux retraités et un véritable avenir aux jeunes ? La France peut-elle choisir la voie du progrès social à l’heure de la mondialisation des marchés et de la dérive libérale de l’Europe ? A quelles conditions une politique de gauche peut-elle vraiment changer notre vie ?

A quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, Marie-George Buffet, candidate à la présidence de la République, répond à nos questions et s’adresse aux lecteurs de la Terre.

La Terre : Dimanche 22 avril, c’est le 1er tour de l’élection présidentielle. Devant le spectacle de campagnes hyper-médiatiques, l’avalanche des sondages, l’absence de vrais débats pluralistes... les électeurs ont bien du mal à s’y retrouver. Quel est l’enjeu de ce premier tour ?

Marie-George Buffet : Tout est fait pour dérouter les électeurs vers des enjeux qui ne sont pas ceux de l’élection. Au-delà des querelles stériles qui font les choux gras des journaux, cette élection va pourtant décider de ce que seront les vies des Françaises et des Français pour ces cinq prochaines années ; elle va dessiner les formes que prendra la société française demain : est-ce que nous devons aller encore plus loin dans la précarité généralisée, dans la violence et l’exacerbation des inégalités sociales, ou doit-on chercher à sécuriser le travail, à partager au mieux les richesses, afin de donner à chacun et chacune les moyens de s’épanouir en société ? Doit-on continuer cette fuite en avant dans la mondialisation, tolérer ces délocalisations industrielles et cette crise permanente de l’agriculture, ou doit-on arrêter pour répondre aux besoins des hommes avant ceux du commerce ? Doit-on continuer à laisser se dégrader notre environnement ou doit-on inventer un autre développement, respectueux des hommes et des territoires ?

La droite, au pouvoir depuis cinq ans, a fait le choix de la fuite en avant dans ce libéralisme effréné, dans cette course aux profits à l’origine de tant de souffrances dans le pays. Après cinq ans au gouvernement, Nicolas Sarkozy veut aller encore plus loin et casser tout ce que la République a construit et qui gêne encore les grands patrons du Medef. Cet homme est dangereux pour les entreprises parce qu’il est l’ami des milliardaires et des prédateurs financiers qui ne recherchent que les dividendes, quitte à licencier, à délocaliser pour atteindre leur but.

Le rejet de cette politique ne peut-il pas s’égarer dans l’impasse d’un vote « tout sauf Sarkozy » ?

Il est vrai que la droite a deux fers au feu dans cette élection. François Bayrou, en effet, sous ses airs bonhommes, défend le même programme que Nicolas Sarkozy. Lui aussi refuse d’augmenter les salaires, à moins d’augmenter le temps de travail et de transformer les salariés en bêtes de somme. Lui aussi veut nous faire repasser le projet de Traité constitutionnel européen. Tous les deux tiennent un discours de résignation et d’abandon face à la mondialisation capitaliste. Le seul moyen de véritablement battre la droite, et donc de faire prendre un autre chemin à la France, c’est de leur opposer le projet d’une société solidaire, d’une République des droits, de l’égalité et de la fraternité. Si je suis candidate à cette élection, c’est bien pour aider la gauche, dans son ensemble, à porter un tel projet.
« Je me bats pour que la gauche donne le signal d’un nouveau départ. »

Et que dites-vous aux électeurs de gauche qui ont peur d’un nouveau 21 avril ?

Je sais l’inquiétude de beaucoup d’électeurs et d’électrices de gauche de revivre le traumatisme que fut le 21 avril 2002. Mais franchement, je crois que nous sommes dans une situation tout à fait différente. Et surtout, qu’est ce qui a provoqué le 21 avril ? C’est bien que les électeurs de gauche ont sanctionné un gouvernement qui n’avait pas répondu à leurs attentes parce qu’il avait cédé à la pression des idées libérales ! Aussi, le meilleur moyen d’éviter un tel drame, c’est bien de recréer l’espoir d’un véritable changement à gauche. C’est de démontrer qu’une autre politique est possible à gauche. C’est ce que ma candidature veut démontrer : oui, il est possible de vraiment rompre avec ces politiques qui depuis tant d’années, n’ont cessé de dégrader la vie des hommes et des femmes de notre pays.

Vous pensez que la gauche peut gagner ?

Bien sûr qu’alors la gauche peut gagner ! Elle peut gagner notamment en recréant l’espoir d’un véritable changement. Aussi, si l’on veut faire gagner la gauche, autant voter vraiment utile, c’est-à-dire pour ses idées, pour cette gauche populaire et antilibérale que je représente. En effet, après toutes ces années de régression, je me bats pour que la gauche donne le signal d’un nouveau départ. C’est possible ! Notre pays peut retrouver la voie du progrès social ! Mais pour cela, il faut une gauche qui ait le courage de ne plus se soumettre au mur de l’argent. Pour cela, il faut une gauche qui n’accepte plus que l’Europe soit le cheval de Troie de la destruction de nos services publics. Il faut une gauche forte, populaire, fermement décidée à changer la vie des Françaises et des Français et à reprendre le train du progrès social. C’est cette gauche-là que je veux représenter ! Plus ma candidature recevra de suffrages, plus ces idées imprégneront toute la gauche, et plus la gauche sera forte pour battre la droite et enfin réussir au pouvoir. C’est bien cela voter utile !
Photo Pierre Trovel

Quelles sont les grandes lignes de votre projet pour améliorer la vie quotidienne ?

La santé est un droit. Je considère que chacun doit y avoir accès, quels que soient ses revenus ou son lieu de résidence. Je propose une Sécurité sociale enfin universelle qui rembourserait tous les soins à 100 %, en commençant par les enfants et les personnes dépendantes. Pour permettre aux personnes âgées de vivre dignement, on ne peut se contenter d’en appeler à la solidarité individuelle. C’est à l’Etat de jouer son rôle en créant un service public du maintien à domicile pour les soins, les repas, le ménage, les loisirs... Enfin, pour faire face au déficit de médecins, de pharmaciens et de personnels de santé dans les zones rurales, la Caisse nationale d’assurance maladie devrait favoriser leur installation, avec les moyens financiers adéquats. Il me paraît aussi indispensable de stopper les fermetures de services hospitaliers et d’hôpitaux de proximité. Le progrès social, c’est aussi le maintien d’un droit à une retraite pleine et entière à 60 ans avec une revalorisation des pensions et leur indexation sur les salaires.

Je pense tout particulièrement aux femmes, sévèrement touchées par les réformes Balladur et Fillon, et aux retraitées agricoles dont les pensions sont indignes ! C’est encore l’augmentation des petits salaires et tout de suite le SMIC à 1 500 euros, le relèvement des minima sociaux et de l’allocation adulte handicapé. Et dans un pays où plus de trois millions de salariés, en immense majorité des femmes, travaillent à temps partiel ; dans un pays où des millions d’autres sont au chômage ou dans la précarité, et sont même aujourd’hui, aussi, chassés des listes de l’ANPE, je veux créer une sécurité d’emploi ou de formation. Comme la gauche avait inventé après guerre la sécurité sociale ! Mon programme, c’est enfin l’école de la réussite pour tous et toutes, et donc l’engagement à réduire les inégalités scolaires...

Et que proposez-vous pour la ruralité, l’agriculture, l’environnement ?

La France rurale subit de plein fouet les politiques libérales, les salaires y sont plus bas qu’ailleurs. Les délocalisations industrielles y sont plus fréquentes. Et tout est fait pour liquider les services publics et les petites exploitations agricoles.

Aussi, parce que les habitants des territoires ruraux ont les mêmes droits que tous les autres, il me paraît primordial de revenir sur les fermetures de services publics de proximité, afin de garantir l’égal accès, partout sur le territoire, à la Poste, à l’école, à la santé... Tous ces services publics sont en outre source de vie dans les villages. En arrêtant de les fermer et en décidant d’en rouvrir là où les besoins s’expriment, on donnera aussi un signal pour le retour des petits commerces, des cabinets médicaux...

Pour l’agriculture, il faut maintenir un maximum d’exploitations familiales partout sur le territoire. Il faut donc permettre aux paysans de vivre de leur travail. Pour cela, l’essentiel est pour moi de garantir des prix rémunérateurs du travail paysan. Cela suppose, à l’OMC, de remettre en cause le mandat de négociation du commissaire Mandelson, qui cherche aujourd’hui à baisser encore les tarifs douaniers. Cela suppose de réformer profondément la PAC pour en faire l’outil garantissant la souveraineté alimentaire et protégeant la petite exploitation. Cela suppose enfin de protéger les agriculteurs face à la grande distribution ou l’industrie agroalimentaire, par exemple en appliquant des coefficients multiplicateurs réduisant les marges de tous ces grands groupes. Tout cela, évidemment, en cherchant au mieux à préserver l’environnement, et donc en incitant les paysans à développer des pratiques culturales productives mais écologiques.
« Le gouvernement de la France peut faire voter les lois et les budgets qui contribueront à rendre la vie meilleure. »

A l’heure de la mondialisation, la France a-t-elle encore les moyens d’une grande politique économique et sociale ?

Pour nous décourager, on veut nous faire croire que la France n’a pas les moyens financiers du progrès social ni les pouvoirs nécessaires pour maîtriser son destin. On nous dit même que la politique ne peut rien. Mais c’est faux. Le gouvernement de la France peut faire voter les lois et les budgets qui contribueront à rendre la vie meilleure. Il peut s’opposer aux dérives libérales et bureaucratiques de la Commission européenne. Il peut démocratiser les institutions de notre pays. C’est pour cela que je me bats !

Vous pensez que ce sont les conditions de réussite d’une autre politique à gauche ?

Je le pense. Il faut d’abord répartir autrement les richesses... Et pour cela, faire tomber le mur de l’argent. Imaginez qu’à elles seules, les 40 plus grandes entreprises françaises affichaient 98 milliards d’euros de profit en 2006. Et l’ensemble des entreprises a disposé en 2005 de 564 milliards d’euros de ressources nouvelles. C’est deux fois le budget de l’Etat ! Mais qu’en ont-elles fait ? 70 % de cet argent est allé dans la finance ! Il n’a servi ni la croissance économique, ni l’emploi, ni la consommation des ménages. C’est à cet immense gâchis qu’il faut mettre fin tout de suite ! Pour cela, je propose une grande réforme fiscale, qui rétablirait d’abord un minimum de justice et donnerait enfin à l’Etat les sommes dont il a besoin pour l’école, la santé, les services publics, l’aménagement du territoire. Il faut accroître l’impôt des plus riches au lieu de taxer toujours plus la grande majorité de la population, à coup de TVA et de TIPP. Dans le même esprit, il faut taxer fortement les profits financiers des entreprises tout en favorisant celles, notamment les PME, qui font le choix de l’emploi et de l’investissement.

L’Europe libérale et la monarchie présidentielle ne sont-elles pas d’autres « bastilles » à prendre ?

Absolument. Nous sommes des millions à avoir voté Non à la Constitution libérale de l’Union européenne. Je m’engage à faire respecter ce vote majoritaire des Français et je demande que la France retire sa signature du projet de traité constitutionnel. Et d’ici 2009, date des prochaines élections européennes, la France doit agir pour qu’un véritable débat s’ouvre dans les 27 états de l’Union européenne, à partir des Parlements nationaux et du Parlement européen.

En France, il faut en finir avec la monarchie présidentielle qui étouffe la voix des citoyens et de leurs élus pour rendre le pouvoir au peuple. C’est bien pour cela que je milite pour une 6e République qui réduirait les pouvoirs présidentiels, instaurerait la proportionnelle et garantirait de nouveaux droits aux citoyens...

J’ajoute qu’il y a autre chose à dire sur la République, sur la Nation, que de proposer à chacun d’acheter un drapeau tricolore... La République qu’attendent nos concitoyens, c’est celle d’un renforcement des droits sociaux, de nouvelles garanties démocratiques. La République qui protége les plus faibles et les plus démunis, garantit des droits pour tous et les fait respecter par les puissants. C’est cela être fidèle aux valeurs de la France et de la gauche que les hommes et les femmes de notre pays ont dans le cœur. Celles et ceux qui se sont battus en 2005 pour contrer l’Europe libérale, celles et ceux qui ont mis en échec le CPE, celles et ceux qui luttent pour maintenir des services publics, pour sauver des emplois, comme celles et ceux qui s’engagent auprès des enfants pour qu’ils ne soient pas chassés des écoles, ont besoin de cette gauche là pour construire une France plus libre, plus fraternelle, plus égalitaire.

Des millions d’électeurs hésitent encore sur leur vote au 1er tour. Que leur dites-vous ?

Ne cédez pas à la pression des médias ! En vous appelant au vote qu’ils disent utile, c’est-à-dire le vote pour Ségolène Royal, ils ne veulent pas aider la gauche mais au contraire pousser des millions de Françaises et de Français à taire leur volonté de changement. Ils veulent affaiblir la capacité de toute la gauche à proposer un véritable programme de rupture... ils veulent juste que rien ne change.

Je le dis solennellement : votez pour vous, votez pour les propositions qui sont les vôtres. Une vraie politique de changement, qui répondrait enfin à vos attentes, peut être menée. C’est possible. Plus il y aura de voix à se porter sur mon nom le 22 avril, plus cette exigence de changement sera forte, plus vous pourrez vous faire entendre. Et plus un gouvernement de gauche aura enfin les moyens de concrétiser vos rêves. C’est tout ce que je souhaite. C’est tout ce que vous souhaitez !

http://www.laterre.fr/article.php3?id_article=357