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Cuba, Libé : l’art du journalisme

Publie le samedi 14 avril 2007 par Open-Publishing
6 commentaires

Je travaille à Paris, dans un quartier où certaines boutiques ne prennent pas la peine d’afficher les prix en vitrine. Je ne saurais vous dire si les prix sont affichés à l’intérieur car, au jeu de la consommation, je ne joue pas vraiment dans la même ligue. Un exemple ?

Un jour, j’ai eu l’idée de m’asseoir dans un café de ce quartier et de commander un sandwich et une bière. Une fois repu, cigarette fumée et petit rot de satisfaction émis, j’ai esquissé un geste majestueux en direction d’un serveur qui s’empressa de ramper jusqu’à ma table pour me présenter un petit bout de papier recouvert de chiffres. En voyant le montant inscrit au pied de la note, j’ai d’abord cru qu’il venait humblement me présenter son dernier bulletin de salaire, tentant ainsi, par ce geste désespéré, de me convaincre de lui laisser un pourboire. "Initiative totalement contre-productive" me suis-je conclu à moi-même après avoir déchiffré le montant et converti en anciens francs, "car le bougre me démontre ainsi qu’il gagne plutôt bien sa vie". Mais une étrangeté dans les chiffres finit par attirer mon attention : c’était la première fois que je voyais un bulletin de salaire avec de la TVA. Tiens, tiens... Puis, évidemment, j’ai compris que ce que l’on venait de me présenter, comme on présenterait au roi son dernier nouveau né ("c’est un garçon, sire !"), n’était rien de plus, mais rien de moins, que l’addition. Non pas la facture des réparations du porte-avion Charles de Gaulle, oh non, ni le montant des dividendes touchées par un patron de groupe viré pour incompétence, oh non, ni le coût d’une journée de guerre en Irak, non, non et non. C’était juste l’addition pour une putain de bière et un fucking sandwich.

Puis tout s’est embrouillé. Je me souviens d’avoir pensé à simuler une crise cardiaque (facile, j’y étais presque). Je me souviens d’avoir envisagé une prise d’otages pour couvrir ma fuite. Puis j’ai vu le GIGN sur les toits. Le café encerclé. Mes enfants emmenés par la DASS. Au final, le Spartacus de pacotille que j’étais plia l’échine devant l’Empire et marmonna misérablement "vous acceptez les tickets restaurant ?". La loque que j’étais devenue rajouta "j’ai aussi un plan d’épargne logement qui arrive à échéance".

Le garçon de café jaugea la situation d’un oeil expert. Submergé par une bouffée de tendresse pour cette pauvre hure qui s’était échouée sur ses rivages, il eut l’élégance de ne pas remarquer l’absence de pourboire et, suprême délicatesse, abandonna sur la table l’assiette et le verre (vides). Bouffi de reconnaissance, je m’empressai de picorer les dernières miettes abandonnées et lécher les dernières traces de bière, tout en remerciant le ciel de m’avoir fait croiser le chemin d’un être aussi bon. J’étais devenu un Kosovar et lui, mon Bernard Kouchner.

Quelques minutes plus tard, mon bienfaiteur réapparut, tout auréolé d’une sainteté ignorée de toutes les églises et papautés. Je m’apprêtais à lui montrer l’ampleur de ma gratitude - en lui offrant un bain de pieds et ensuite de les oindre avec quelques huiles exotiques - lorsqu’il grogna "vous prenez autre chose ? parce que j’ai besoin de la table, y’a des clients qui attendent".

Bref, dans une des boutiques de ce quartier qui s’affiche, mais pas les prix, il y a des tableaux à vendre. Sur la vitrine on peut lire "tableaux de maîtres". Sous un de ces tableaux, il est précisé "école flamande du 16eme". Certains d’entre vous, rustres comme vous êtes, penseront qu’il s’agit là d’une peinture exécutée collectivement par les maîtres d’une école pour étrangers située quelque part dans le 16eme arrondissement. Ceux-là, je les laisse croupir au fond de leur donjon d’inculture. Quant aux autres, ignorez les appels plaintifs de ces âmes damnés ("y’a rien à la télé ce soir ?") et suivez moi.

Le tableau s’intitule "scène campagnarde" et représente - ça tombe bien - une scène campagnarde. On sent là une certaine volonté de ne pas divaguer dans les méandres contemporainistes, dans ces territoires étranges où la photo d’un tire-bouchon s’intitulera "Ma nuit avec Andy Warhol", là où un gros rond jaune sur un fond vert s’intitulera "autoportrait" (ou quelque chose comme ça), là où des bandes noires sur un fond blanc s’intituleront "bandes noires sur fond blanc" (attention, là, le peintre est ironique).

Ici, rien de tout ça. Ici, on peint une scène campagnarde et le tableau s’intitule gaillardement "scène campagnarde". Sur la toile, dans une pagaille indescriptible, on voit des entrelacs de travaux dans les champs, d’agriculteurs cultivant, de laboureurs labourant, de ferronniers ferronant. Et aussi une grande table, une immense table, remplie de victuailles de toutes sortes, de viandes dorées, de fruits mûrs, de vins onctueux. Autour de la table, des hommes, des femmes, des enfants se donnent la main pour danser une belle petite bourrée pas piquée des hannetons, c’est moi qui vous le dis. Derrière quelques bosquets, on devine ici ou là des couples en train d’assurer leur descendance, cré nom de nom, et ceci pour la plus grande joie des futurs peintres de l’école flamande du 17eme.

Et alors ? Alors rien. Parlons d’autre chose.

Tiens, au hasard, parlons de Jean-Hébert Armengaud, journaliste à Libération. Jean-Hébert est, comme qui dirait, un spécialiste de l’Amérique latine. En tout cas, il est payé pour ça. Par qui ? Là n’est pas le sujet (quoique...).

Jean-Hébert Armengaud a eu son heure de gloire lorsqu’il cru déceler chez le président du Venezuela, Hugo Chavez, des propos antisémites. Du fond de son donjon, Jean-Hébért, qui ne connaît apparemment pas grand chose à l’Amérique latine (parle-t-il au moins l’espagnol ?) s’est cru permis de colporter auprès de la gauche réactionnaire (connue aussi sous le nom de "lecteurs de Libé") l’idée que Chavez était un antisémite. La bêtise fût rapidement démontée par le réseau de journalistes libres et citoyens et la rédaction de Libé tenta, après quelques manipulations supplémentaires, une opération de sauvetage en plein merdier, pour finalement battre en retrait, même pas honteuse. (1)

Moins connu, mais tout aussi croustillant, fut le jour où Jean-Hébert Armengaud mentionna du bout des lèvres le devenir d’un des plus grands terroristes du 20eme (siècle), le dénommé Posada Carriles, ex-homme de main de la CIA, auteur d’innombrables attentats à travers le monde, comptant des dizaines de victimes à son tableau de chasse, dont les passagers d’un avion de ligne cubain en 1976 ainsi que les attentats à Cuba en 1997. Posada Carriles a toujours réussi à échapper à la justice grâce à l’appui sans faille du clan Bush. Eh bien, notre Jean-Hebert Armengaud le qualifia – tenez vous bien – de "EX-terroriste". (2) On n’a jamais su où ni quand se situait, dans l’esprit de J-H Armengaud, le moment précis où ce terroriste notoire bascula du statut de terroriste tout court à celui de "ex" terroriste. Et à ce jour l’énigme demeure car ce dernier n’a jamais daigné répondre à la question que je lui avais posément posée (en français pourtant).

Dans un autre article (c’est comme ça qu’on appelle ce genre d’élucubrations dans le métier) daté du 19 mars 2007 (3), JH nous parle d’un livre. Il s’agit d’un recueil de témoignages auprès d’émigrants cubains (appelés "exilés" dans l’article, comme il se doit) et de Cubains sur l’île.

Morceau choisi : "Le témoignage d’Alejandro, étudiant (à Cuba), résume tout : "Le jour de la déclaration [de la maladie de Fidel Castro], je me souviens qu’ils avaient annoncé dans l’après-midi que Fidel allait parler à 21 heures. Les gens n’étaient pas très contents, car c’était l’heure du feuilleton télévisé. [...] Le lendemain, je me suis demandé angoissé : "Que va-t-il se passer ?" Eh bien, rien ! Tu sors dans la rue, tu vois que les gens discutent, mais à voix basse, de peur d’être entendus. Les gens n’ont pas l’habitude de dire ce qu’ils pensent..."

Bon, admettons.

Morceau choisi : "les Cubains de Cuba ne pourront pas lire ce petit livre salutaire. Seul Fidel décide ce qu’ils ont le droit de lire"

Il faut oser, réellement oser, écrire une telle phrase alors que la plus grande foire du livre de tout le continent américain vient justement de se terminer à ... Cuba. Des centaines d’exposants du monde entier, des milliers de livres présentés, des centaines de milliers d’exemplaires vendus (à des prix "cubains"). Une foire qui démarre à la Havane et qui traverse toute l’île pour finir à Santiago. Un esprit comme celui de JH Armengaud traduirait cela en "tu vois, ils déplacent la foire pour pas que les Cubains la trouvent".

­Morceau choisi : "les auteurs [du livre] eux-mêmes sont blacklistés, interdits de visa, comme de nombreux journalistes français."

Je mets ici au défi - et publiquement - ce Jean-Hébert de mes Armengaud de nous communiquer au plus vite les noms de ces "nombreux journalistes français" qui sont "interdits de visa".

Lui-même ne semble pas faire partie des blacklistés, puisqu’il est souvent précisé dans ses "articles" sur Cuba qu’il est "envoyé spécial". (Bon d’accord, il est écrit "envoyé" mais il n’est pas précisé où...) Fidèle à la tradition des gusanos (*) - déclarés ou officieux - qui consiste à noircir le tableau afin de revaloriser sa propre position de pseudo résistant, JHA veut nous la jouer baroudeur de l’info alors qu’il ne fait que partie de la petite meute qui aboie contre Cuba d’une manière systématique, méthodique et de tous parts.

Et, pour finir, ce petit paltoquet qualifie Ignacio Ramonet, directeur du Monde Diplomatique, de "rond-de-cuir de l’anti-impérialisme". Pourquoi ? Pour avoir osé interviewer Fidel Castro et commis le crime d’avoir publié un livre (4). Interview que JH crèverait d’envie de faire, soi dit en passant. Mais, à ses copains restés à Paris, parions que JH répond "tu parles, jamais Castro n’oserait se laisser interviewer par un type comme moi.". Armenguito, mi amor, Fidel Castro doit effectivement trembler dans son pyjama à l’idée d’être interviewé par un membre d’une telle élite intellectuelle.

A ce niveau d’exercice, le journalisme de pacotille devient un art.

Au mois de septembre 2006, un article récent du New York Times nous apprenait que dix journalistes aux Etats-Unis recevaient des centaines de milliers de dollars (chacun) pour écrire des articles contre Cuba . Pas UN journaliste... ni DEUX... mais DIX. La question qui m’avait brûlé les lèvres à l’époque était celle-ci "et pour dix (journalistes) découverts, combien courent encore ?" (5).

Nous avons apparemment un début de réponse et c’est celle-ci : "au moins un".

* * * *

Devant un tableau de maître d’une école flamande du 16eme représentant une joyeuse scène campagnarde, deux femmes s’arrêtent à mes côtés pour examiner l’oeuvre. Elles portent toutes les deux LE signe ostentatoire de la "réussite" : un sac à main Vuitton, moche comme un 11 septembre (1973). La première commente : "ils n’ont pas l’air de s’ennuyer...". La deuxième conclut : "tu m’étonnes, la vie était plus facile à l’époque, ils n’avaient pas les mêmes soucis que nous".

Putain, ce qu’elle devait être belle la vie à la campagne du 16eme (siècle), se disent les amateurs d’art du 16eme (arrondissement).

On dit que la beauté n’est pas dans l’objet, mais dans l’oeil de celui qui le regarde. La bêtise aussi, non ?

J’sais pas si vous voyez le triste tableau.

Viktor Dedaj
"critique d’art comptant pour rien"
Avril 2007

http://vdedaj.club.fr/spip/article.php3?id_article=711

* * * *

(*) terme (péjoratif, et j’assume) donné aux anticastristes cubains.

(1) "Chavez, antisémitisme et campagne de désinformation : à propos d’un article calomnieux de Libération", par Romain Migus.
http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=3124

(2) "Cuba réclame une figure anticastriste arrêtée aux Etats-Unis", par Jean-Hébert Armengaud, Libération, 19.05.2005 (l’article n’est plus en ligne mais une copie est disponible à http://www.legrandsoir.info/article.php3 ?id_article=2429 )

(3) "Quant les cubaines parlent haut", par Jean-Hébert Armengaud
http://www.liberation.fr/rebonds/241770.FR.php?rss=true

(4) "Fidel Castro, biographie à deux voix", d’Ignacio Ramonet, chez Fayard/Galilée
http://vdedaj.club.fr/spip/article.php3?id_article=655

(5) "Reporters Sans Frontières : l’art de se tirer une balle dans le pied", par Viktor Dedaj
http://vdedaj.club.fr/spip/article.php3?id_article=589

Messages

  • Comment pouvez écrire des choses au fond assez justes avec un ton si méprisant ?
    C’est dommage car cela gache votre argumentation !!!!

    Moi il y a longtemps que j’ai quitté Paris et sa vie chère, il y a dans notre province
    de bonnes choses à de meilleurs prix ! mais vous aimez bien croupir dans notre capitale
    les "intellos", car c’est votre terreau pour exister !

    Et puis faut il parler l’espagnol pour connaitre Cuba ? vous parlez cetainement l’espagnol pour
    employer certains mots qui fleurent bon un racisme de classe !

    Ne suis pas un habitué de votre site, mais cela ne me donne pas envie d’y revenir,
    comme vous dans ce quartier de Paris où vous êtes égaré....comme si vous n’étiez pas au courant des prix pratiqués dans certains secteurs de la ville ! et cet air de demoiselle éffarouchée, "Oh ! mon dieu, c’est horrible ce qui se passe ici....!" on a bien ri autour de moi
    dans nos chaumières !

    Allez ! regardez le monde comme il est, Paris et Cuba, et n’essayez pas de nous faire croire
    qu’ici c’est l’enfer et là bas....
    Bref, vous nous êtes bien sympathique !

    ROMU.

    • romu, vous n’avez pas l’habitude de ce site ?

      et bien, c’est réciproque... si vous voyez du mépris dans l’écriture de viktor, où je vois du style, alors que le mépris suinte de toutes les lignes pondues par la presse parisienne quand elle descend jusqu’au peuple et, plus bas encore, jusqu’aux peuplades sauvages qui grouillent au-delà du périph (de clichy à la havane), alors...

      mais peut-être êtes-vous l’auteur du tableau "bandes noires sur fond blanc" ?

      il est vrai que viktor, alors, a traité avec quelque mépris votre oeuvre...

      sam

    • "racisme de classe" ou comment la bourgeoisie capte l’antiracisme pour conserver ses privilèges. "C’est vrai, je suis riche et j’ai du pouvoir, mais que voulez vous, c’est dans mes gènes" Comme quoi Sarko ne laboure pas un champ complètement stérile ! Tout comme Ségo qui murmure "Bof y a qu’à renoncer" !

      Quand à "l’enfer" cubain, avec 6/1000 de mortalité infantile et 77ans d’espérance de vie (78 en France), ça doit bien valoir d’autres "paradis" américains du Sud mais aussi du Nord !

      CN46400

    • Viktor Dedaj est un grand bonhomme... Je n’en dirais pas autant de ce Parisien expatrié en province ... Les prix y sont plus bas, c’est dire si la province est importante...
      Désolé, je ne peux pas rigoler et écrire en même temps... et puis, la paille dans mes sabots me gêne...
      A +

  • Superbe texte !ou l’écriture et humour,donne toute la saveur à l’exactitude des faits énoncés,comme quoi les choses les plus sérieuses peuvent être dites de façon légère,à nous de les comprendre.

    Roger bretagne

  • C’est tout simplement superbe,MERCI.
    (pour moi et pour les cubains)
    ps.(les vrais)----m de survie