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Insecticides : les notes confidentielles du ministère révélées par José Bové

Publie le samedi 28 février 2004 par Open-Publishing

Des militants de la Confédération paysanne ont découvert, lors d’une occupation mouvementée, jeudi 26 février, du ministère de l’agriculture, un dossier sur le Régent, soupçonné de tuer les abeilles. Pour le syndicaliste, "les considérations financières l’ont emporté sur les impératifs sanitaires".

L’initiative voulait marquer les esprits. Des manifestants de la Confédération paysanne ont investi, jeudi 26 février, à 14 h 30, le bureau du directeur général de l’alimentation, au ministère de l’agriculture, à Paris. Ils entendaient protester contre la décision du ministre, Hervé Gaymard, d’autoriser les agriculteurs et les semenciers à écouler en 2004 leurs stocks de Régent, un enrobage pesticide dont la molécule active, le fipronil, est soupçonnée de tuer les abeilles.

José Bové, porte-parole du syndicat paysan, a participé à l’occupation.

Le préfet Thierry Klinger, directeur général de l’alimentation, n’était pas dans son bureau au moment de l’intrusion : il finissait de déjeuner dans le bistrot d’en face. M. Klinger a alors proposé aux manifestants d’ouvrir une discussion dans une salle adjacente mais s’est vu opposer un refus : les protestataires ne souhaitaient parler qu’au ministre ou à un de ses conseillers.

"Ce sont des mœurs qui n’ont rien à voir avec la légalité française,a affirmé M. Klinger, bloqué dans le hall. Je ne comprends pas ces gens qui bravent la loi pour réclamer la légalité." Sur le fond du dossier, le directeur général de l’alimentation a expliqué : "Les apiculteurs disent : "le Régent, le Régent, le Régent" comme, dans Molière, les médecins disent : "le poumon, le poumon, le poumon". Ils refusent d’admettre que d’autres problèmes existent qui peuvent expliquer les mortalités d’abeilles."

Dans le bureau du directeur, au sixième étage de la rue de Vaugirard (15e arrondissement) se trouvaient une bonne trentaine de manifestants. Des apiculteurs de la Confédération paysanne - "Des intermittents de l’apiculture plutôt, plaisantait l’un d’eux. Un jour, tu as des ruches, un jour tu n’en as plus" - mais également des éleveurs et des céréaliers solidaires, venus de différentes régions. Participaient également à l’opération deux députés (Verts) de Paris, Yves Cochet, ancien ministre de l’environnement, et Martine Billard. Gilles Lemaire, secrétaire général du parti écologiste, était également du nombre.

SACS DE COUCHAGE

Plusieurs personnes avaient amené des sacs de couchage, prêts à supporter un siège. "Nous ne quitterons pas ce bureau tant que le ministre ne reviendra pas sur sa décision", affirmaient-ils. Sur les bureaux trônaient trois ruches transportées depuis les Yvelines. Etaient également posé un répulsif pour fourmis et un sac de semences de maïs traités au Régent.

"On ne peut pas bâtir une agriculture qui provoque la disparition d’une partie des siens. Or c’est exactement ce que provoque le Régent avec les apiculteurs, explique Jean-Jacques Bailly, céréalier en Haute-Marne. On met les agriculteurs dans la position d’être demain dénoncés comme pollueurs et assassins. On est en train de se faire hara-kiri." "Moi, je fais du tournesol et je n’utilise pas de Régent, affirme Francis Huchot, céréalier dans l’Yonne. Il y a d’autres solutions qui permettent d’obtenir des rendements égaux. Ces produits-là bénéficient plus aux firmes qui les produisent qu’aux agriculteurs."

Les syndicalistes ont trouvé - "sur le bureau" du directeur, affirme José Bové - un dossier sur le Régent, contenant plusieurs documents confidentiels. Une lecture à haute voix en a été faite dans un brouhaha de réprobation et des photocopies ont commencé à circuler. José Bové, avec un verre de marcillac, a attendu vainement un appel du ministre.

PHOTOCOPIES

A 16 h 57, une cinquantaine de CRS ont donné l’assaut. Ils ont d’abord essayé d’entrer par la porte, contre laquelle s’étaient arc-boutés les militants de la Confédération paysanne. A 17 h 10, deux CRS postés sur la terrasse ont brisé une des baies vitrées, projetant des éclats de verre dans toute la pièce. L’irruption des forces de l’ordre a mis fin à l’épreuve de force. Les manifestants, une quarantaine, se sont assis et n’ont plus opposé qu’une résistance passive. Au chahut a succédé un grand silence seulement perturbé par le bruit du verre broyé sous les pas. Quelques abeilles échappées des ruches et engourdies ont été écrasées.

Sans brutalité, les forces de l’ordre ont transporté un à un les protestataires. José Bové s’était enchaîné au bureau, il a fallu le dégager avec une pince coupante avant de l’emmener. A 17 h 26, l’évacuation était achevée. Le dernier à quitter le bureau, le journaliste du Monde, a pu constater le désordre occasionné tant par les manifestants que par l’intervention de la force publique. Il a pu s’assurer à cette occasion que le coffre-fort était fermé.

Des officiers de police judiciaire et M. Klinger se sont alors isolés dans le bureau afin de procéder au constat, tandis que les manifestants étaient évacués. Cinq minutes plus tard, ils sont sortis en déclarant : "Il y a eu effraction et vol, la police judiciaire est saisie." Il a été affirmé que la porte du coffre-fort avait été retrouvée entrebâillée.

Tandis que les manifestants étaient conduits dans deux fourgons, les journalistes étaient retenus dans le hall. Ils ont subi une palpation, opérée avec civilité sur le journaliste du Monde par les matricules 463 318 et 484 559, qui ne dénichèrent rien. Des photocopies ont en revanche été retrouvées sur deux confrères. Des journalistes ont alors été conduits au commissariat du 15e arrondissement, tout proche. Ils y ont été entendus comme témoins, de manière brève et courtoise, par un agent de police judiciaire. Ils ont pu quitter les locaux de la police vers 21 h 30, retrouvant sur le trottoir les manifestants qui avaient été également relâchés.

"J’ai déclaré au commissaire divisionnaire qui m’interrogeait que je n’avais rien à déclarer", affirmait José Bové, qui devait s’envoler pour Bamako (Mali) vendredi. Il a pris acte de la plainte pour dégradation, annoncée par le ministère de l’agriculture. Avant d’allumer sa pipe et de lancer à la cantonade : "Bon, où est-ce qu’on peut boire un coup maintenant ?"

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