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ANTILIBERALISME OU... ANTICAPITALISME ?

Publie le samedi 26 mai 2007 par Open-Publishing
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 ou... « Comment ne pas prendre des vessies roses pour des lanternes rouges »

 Par ALAIN BIHR

Au cours de ces dernières années, on a vu émerger et rapidement se renforcer, en France comme dans d’autres pays capitalistes développés, un ensemble de mouvements sociaux, politiques et culturels, dont le commun dénominateur a été la critique, en actes et en paroles, des politiques néo-libérales suivies par les gouvernements, de gauche comme de droite, depuis maintenant près de vingt ans.

Parmi ces mouvements, par ailleurs très divers par leurs terrains d’interventions et leurs formes d’action, on peut compter, en allant des plus informels ou plus organisés :

 les mobilisations de chômeurs, dans le cadre de "marches contre le chômage" ou d’actions "coup de poing" lors des fêtes de fin d’année (notamment en 1997 et 1998) ;

 le développement d’organisations tels que AC !, le DAL, Droits devant, etc., luttant pour l’obtention ou le respect de droits sociaux (droits à l’emploi, au logement, à la protection sociale, etc.) ;

 les mouvements de grève de novembre-décembre 1995 contre les projets et tentatives de réforme de l’assurance-maladie et de certains régimes spéciaux d’assurance-vieillesse, mouvements largement contrôlés par les quelques grandes organisations syndicales (CGT, FSU et "Groupe des 10" notamment) ;

 des mouvements et organisations avançant des revendications quant à la nécessaire régulation et quant au contrôle démocratique de la mondialisation économique : naissance d’ATTAC (autour du projet de taxe Tobin et plus largement de taxation des transactions financières), mobilisation contre l’AMI (projet de libéralisation de l’investissement dans le cadre de l’OMC), mobilisations périodiques à l’occasion de la réunion des dirigeants des principaux Etats et des organismes du capital financier transnational (FMI, Banque mondiale), dans le cadre du G7 (ou du G8), de l’OCDE, du sommet de Davos, etc., dont certaines (notamment celle de Seattle fin novembre 1999 et celle de Millau fin juillet 2000) ont connu un beau succès.

Cette liste, non exhaustive (on pourrait y ajouter les mobilisations contre Mac Donald’s, pour l’abolition de la dette du Tiers Monde, pour la promotion d’un commerce équitable, etc.), donne une idée de l’étendue et de l’extrême diversité de ces mouvements.

En fait, un ensemble de mouvements qui ne forment pas encore, de loin, un mouvement d’ensemble, unifié autour de quelques finalités et objectifs communs, encore moins autour de quelques organisations phares.

Et pourtant, ce qui permet de leur trouver un air de famille, c’est incontestablement l’antilibéralisme qui leur fournit au moins un point de convergence. Que faut-il penser de cet ensemble de mouvements ? Quel espoir peut-on fonder sur eux ? Quelles sont inversement leurs limites et les critiques qu’on peut leur adresser ? Telles sont les principales questions que cet article se propose d’aborder.

Retour sur le libéralisme classique

Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de procéder à un petit détour théorique et historique, en rappelant le contenu et la signification de libéralisme en tant que mouvement politique et idéologique.
La pensée libérale émerge en Europe occidentale au cours des XVIIe et surtout XVIIIe siècles, dans le contexte de la transition du féodalisme au capitalisme. Elle est élaborée et diffusée par des intellectuels, des groupes, des mouvements liés, de près ou de loin, à la bourgeoisie, qui est alors la classe qui, dans toute l’Europe occidentale, est en train de supplanter l’ancienne aristocratie féodale comme classe dominante, sur le plan économique d’abord, sur le plan politique ensuite. Elle constitue l’idéologie dont cette classe se sert tout à la fois pour lutter contre l’ancien ordre féodal et pour justifier les nouveaux rapports économiques, juridiques, politiques qu’elle est en train d’introduire et de développer. Une fois parvenue au pouvoir, établie comme classe dominante, la bourgeoisie se servira du libéralisme pendant tout le XIXe siècle comme idéologie justifiant les rapports sur lesquels se fonde sa domination, en particulier contre les idéologies socialistes portées par le mouvement ouvrier naissant.

Le libéralisme est donc typiquement une pensée bourgeoise, elle exprime la vision du monde propre à cette classe sociale dans sa phase de conquête du pouvoir et la première phase (historique) de son exercice. En tant que tel, il s’articule autour de trois idées-forces et valeurs-phares.
La première est, comme la dénomination même du libéralisme l’indique, la liberté, essentiellement en fait la liberté individuelle. Liberté dont le libéralisme décline les différentes formes : liberté économique (assimilée au libre développement des échanges marchands) ; liberté politique (assimilée à la constitution de ce qu’on appelle d’habitude un Etat de droit) ; liberté de conscience enfin (liberté en matière de choix moraux, religieux, philosophiques, etc.).

La deuxième idée et valeur clé du libéralisme est l’individu, mais compris d’une manière individualiste, comme un être existant en lui-même et par lui-même, indépendamment de et antérieurement à tout rapport social, à toute vie en société, et dont les intérêts particuliers ne sauraient être fondamentalement différents de l’intérêt général du corps social qui n’en est que l’addition. Cette conception individualiste de l’individualité s’articule d’ailleurs étroitement sur et avec l’exaltation de la liberté individuelle. En effet, tel que le conçoit l’individualisme, l’individu est l’homme libéré de tous les liens et de toutes les contraintes, hormis celles qui naissent de l’obligation de respecter la liberté de ses semblables, des autres individus parmi lesquels il vit.

D’où la troisième idée et valeur clé du libéralisme : l’égalité juridique, l’égalité de droit entre tous les individus, l’égalité des individus face au droit et à la loi, égalité qui doit précisément lui garantir les conditions d’exercice de sa liberté. En effet, tout privilège (tout avantage garanti par le droit ou la loi) est tenu comme directement contraire à la liberté individuelle et doit être aboli à ce titre. Mais le libéralisme se désintéresse évidemment de l’égalité réelle des individus, celle de leurs conditions matérielles et sociales d’existence.

Liberté, individualité (individualisme), égalité, telle est la devise de la pensée libérale. Elle l’était déjà lors de sa formulation, au cours du XVIIIe siècle. Elle l’est encore de nos jours.

Cette pensée, hégémonique tout au long du XIXe siècle au sein des principaux pays capitalistes développés d’Europe occidentale et d’Amérique du nord, va entrer en crise à partir de la fin de ce même siècle, dans un contexte marqué successivement par la transformation du capitalisme concurrentiel en capitalisme monopolistique ; par la montée des rivalités entre nations impérialistes ; par le déclenchement de la Première Guerre mondiale et l’effondrement de la culture humaniste classique qui s’ensuivit ; par la faillite des politiques économiques libérales dans les années 1930, incapables de juguler la crise structurelle dans laquelle s’est enfoncé alors le capitalisme monopolistique ; enfin par sa faillite aussi bien idéologique que politique face aux fascismes comme face au stalinisme.

Dans le contexte de l’après-guerre, le libéralisme semble avoir définitivement vécu. Le cadre institutionnel dans lequel le capitalisme occidental se sort de sa crise structurelle et engage la période des "trente glorieuses" années de croissance fordiste tourne délibérément le dos à certains principes libéraux. Il procède en effet de la conviction que le libre marché n’est pas auto-régulateur ; que la somme des initiatives individuelles (celles des entrepreneurs capitalistes) ne saurait assurer par elle-même les conditions d’une croissance économique continue et encore moins l’intérêt général du corps social, qu’elle demande à ces fins à être encadrée par tout un dispositif de conventions collectives, de réglementations juridico-administratives, de régulations étatiques ; et que l’égalité juridique formelle se doit de se prolonger et de s’approfondir par des dispositifs garantissant sinon une parfaite égalité réelle, du moins un ensemble de droits sociaux universels limitant et réduisant la dérive spontanément inégalitaire à laquelle conduisent les marchés. Ces principes sont alors clairement énoncés par une pensée qui s’inspire pour partie de la tradition social-démocrate (et, à travers elle, d’un marxisme abâtardi en économisme) ; et pour partie aussi des travaux de John Maynard Keynes. Dans ce cadre, le libéralisme ne se survit plus que sur le plan politique dans l’Etat de droit qui trouve une nouvelle légitimité dans l’édification de l’Etat-providence et dans le "socialisme réellement existant" qui lui sert de repoussoir ; ainsi que sur le plan éthique, dans le développement de l’individualisme consumériste, au delà même de la sphère de la consommation marchande, qui tend alors à se subordonner l’ensemble de la vie quotidienne dans le cadre de la soi-disant "société de consommation".

L’offensive néo-libérale

La crise dans laquelle est entrée le modèle fordiste de développement du capitalisme au cours des années 1970 va fournir au libéralisme l’occasion d’effectuer un inattendu retour au premier plan de la scène politique et idéologique. C’est en effet sous sa bannière que, à partir de la fin de cette même décennie, va se mener l’offensive de la classe dominante destinée à "faire payer" la crise aux travailleurs ; offensive relayée, sur le plan politique, à la suite de Thatcher au Royaume Uni et Reagan aux Etats-Unis, par la quasi totalité des gouvernements occidentaux et, sur le plan idéologique, par la grande masse des médias et, sous diverses formes, par la plus grande partie des intellectuels (journalistes, universitaires, essayistes, etc.). En lui prêtant son langage, ses thèmes et ses thèses, ses concepts, le libéralisme aura apporté sa contribution à la cohérence et, par conséquent, au succès de cette offensive.
Celle-ci se sera fixé essentiellement trois objectifs, dont l’inspiration libérale est à chaque fois manifeste. En premier lieu, le démantèlement du rapport salarial fordiste, dont la réglementation est accusée de fausser la concurrence sur le marché du travail dont résulterait à la fois le chômage et la dégradation de la valorisation du capital (la chute du taux de profit)

Sont ici particulièrement visés :

 la réglementation légale ou conventionnelle des conditions d’embauche, d’emploi et de licenciement de la main-d’oeuvre salariée, qui doit être laissée à la totale initiative capitaliste ;

 l’existence de seuils minimaux (salaire minimal) légaux ou conventionnels, les salaires devant pouvoir fluctuer à la baisse jusqu’à retrouver le point d’équilibre entre offre et demande de travail, censé faire disparaître le chômage ; l’indexation des salaires sur les prix et sur la productivité, pivot de la régulation fordiste et élément majeur des politiques keynésiennes, les salaires ne devant progresser au mieux qu’au rythme de la croissance économique générale ;

 le principe de la négociation collective et centralisée des conditions d’usage et d’emploi de la force de travail, auquel les libéraux proposent de substituer une individualisation la plus poussée possible du rapport salarial ; enfin, l’existence de systèmes publics de protection sociale, auxquels les libéraux proposent de substituer des systèmes volontaires d’assurance privée.

A travers la déréglementation systématique du rapport salarial, l’objectif, non avoué parce que non avouable, est d’obtenir une baisse du coût salarial global et, surtout, de placer collectivement les travailleurs dans une situation où le rapport de forces ne peut que leur être défavorable, condition de leur exploitation accrue.

La seconde cible de l’offensive néo-libérale aura été "l’Etat interventionniste". Entendons la gestion de l’économie capitaliste par l’Etat, dont la période fordiste a fourni une première forme historique. A la régulation de l’économie par l’Etat qui, selon les libéraux, ne peut qu’aggraver les déséquilibres de tous ordres, ils proposent de substituer sa régulation par le marché qui seule assurerait "l’allocation optimale des ressources".

Ce sont ainsi tous les aspects de la gestion étatique qui se sont trouvés remis en cause. Notamment :

 l’Etat entrepreneur (le capital d’Etat), par le démantèlement des secteurs publics, dont les éléments non rentables doivent être purement et simplement liquidés et les éléments rentables vendus (bradés) au capital privé ;

 l’Etat-providence, par le démantèlement, brutal ou rampant, des mécanismes institutionnels de protection sociale ; par l’abandon des politiques sociales sectorielles ; l’ensemble devant être remis entre les mains du capital privé ou de la "société civile" (entendons les réseaux d’entraide associatifs ou mutualistes), quant ce n’est pas tout simplement à la famille (la "famille-providence", en fait les femmes, étant censée prendre le relais de l’Etat-providence défaillant) ;

 l’Etat régulateur par la dérèglementation de tous les marchés, en particulier du marché du travail, comme nous l’avons vu plus haut ; mais aussi du marché du capital (des marchés monétaires et financiers, dans le cadre de l’accélération de la transnationalisation de l’économie qui aura marqué les deux dernières décennies ; enfin, l’Etat est récusé dans son rôle de régénérateur des capitaux : c’est l’abandon de toute politique industrielle sectorielle et de ses moyens (subvension, prêts bonifiés, tarifs publics avantageux, etc).
Se superposant en partie aux deux précédentes, il est cependant possible de discerner une troisième cible de l’offensive néo-libérale, les "débiteurs". Car le néo-libéralisme, ce n’est pas seulement une agression du capital contre le travail, mais c’est aussi la revanche des créanciers sur les débiteurs. C’est en ce sens qu’il exprime fondamentalement les intérêts du capital financier, y compris contre ceux du capital industriel, un capital financier à la pointe du mouvement de dérèglement, dérégulation et mondialisation.

Il s’agit ici de mettre fin à la dérive propre à cette "économie de surendettement" sur laquelle avait fini par déboucher le fordisme et la première phase de gestion de sa crise. La cible apparente est donc l’inflation, qu’il s’agit de réduire autant que possible. La cible réelle, quant à elle, est triple.

Sont ici simultanément visés :

 Les "canards boîteux" : entendons tous le capitaux qui ne sont plus rentables, qui ont survécu grâce aux facilités de crédit propres aux politiques keynésiennes, et qu’il s’agit maintenant d’éliminer par un vaste mouvement de destruction et de restructuration du capital en fonction. Bref, il s’agit d’apurer les comptes entre capitalistes eux-mêmes, en mettant fin aux engagements inefficients de capital, essentiellement à travers la hausse des taux d’intérêts réels qui auront atteint des records historiques au cours des années 1980 et jusqu’au milieu de la présente décennie. En faisant, une fois de plus, payer les conséquences des "pots cassés" aux travailleurs ; car ce sont eux qui se trouvent en définitive jeter sur le pavé lorsqu’on ferme des entreprises jugés non rentables.

 L’Etat encore, dont il s’agit de réduire le "train de vie", en procédant à des coupes claires dans les dépenses publiques, mais aussi du coup en faisant baisser les fameux prélèvements obligatoires, du moins ceux qui portent sur le capital et ses revenus (profits et intérêts), quitte à alourdir ceux assis sur le travail.

 Enfin, les pays du ci-devant Tiers Monde, plus particulièrement ceux que les banques occidentales elles-mêmes avaient incité à s’endetter au cours des années 1970 pour s’industrialiser (Mexique, Brésil, dragons asiatiques, etc.). D’où les politiques dites d’"ajustement structurel" imposées par le FMI et la Banque Mondiale , à partir du début des années 1980 à ceux de ces pays demandant le rééchelonnement de leurs dettes. Politiques impliquant la suppression des subventions publiques aux produits de première nécessité ; des couples claires dans les budgets des Etats, conduisant au démantèlement des systèmes sanitaires et scolaires ; la libéralisation du commerce extérieur, ruinant les producteurs locaux ; avec les conséquences dramatiques qui s’en sont suivies pour les populations de ces pays et qui sont aujourd’hui connues de tous. Ce bref tableau de l’offensive néo-libérale ne serait pas complet si l’on ne soulignait pas expressément deux autres de ses aspects, trop brièvement mentionnés précédemment, sans lesquels le retour en force de l’idéologique libérale ne saurait s’expliquer.

L’offensive néo-libérale a en effet accompagné et justifié :

 d’une part, la mondialisation des rapports capitalistes de production, la mondialisation des échanges de marchandises et plus encore de capitaux, impliquant le décloisement des marchés nationaux et le démantèlement des régulation et réglementations nationales de ces marchés opérées jusqu’alors par les Etats ;

 d’autre part, la montée en puissance et l’autonomisation relative du capital financier transnationalisé (la "géofinance"), à la faveur de l’éclatement du système monétaire international instauré à la fin de la Seconde Guerre mondiale (accords de Bretton Woods), faisant du dollar l’étalon monétaire international ; de la désintermédiation financière : du recours grandissant des entreprises, notamment multinationales, aux marchés financiers et non plus aux banques pour se financer ; de la montée des taux d’intérêt réels due notamment au creusement des déficits publics ; etc. Mais aussi, il faut le souligner, à la faveur de la déréglementation et dérégulation précédente.

Nécessité et insuffisance de l’antilibéralisme

Le rappel auquel il vient d’être procédé des différents axes de l’offensive libérale suffit pour évoquer la part prise par le néo-libéralisme dans la catastrophe sociale (mais aussi écologique, politique et symbolique) sur laquelle a débouché un quart de siècle de crise du capitalisme(1). Certes, tous les objectifs de cette offensive n’ont pas été atteints ou ne l’ont été que partiellement. Il n’empêche que la montée du chômage de masse, le développement des formes de travail précaire, la stagnation voire la baisse des salaires réels de certaines catégories de travailleurs, les dégradations des différentes formes de couverture des risques sociaux, la plongée de pans entiers des populations du Tiers Monde dans la misère la plus noire mais aussi la réapparition de poches de misère et l’aggravation de la pauvreté jusque dans les pays capitalistes développés, faisant contraste avec le rétablissement des profits des entreprises, l’envolée des revenus patrimoniaux, notamment financiers, la subordination grandissante de la gestion des entreprises aux impératifs et aux intérêts du capital financier, de même que l’affaiblissement global du pouvoir régulateur des Etats en matière économique et sociale, tout cela procède bien, plus ou moins directement, des principes et des recommandations édictés par les idéologues et les politiques néo-libéraux.

Par conséquent, dans la mesure où l’offensive capitaliste contre les travailleurs, au sein des Etats capitalistes développés comme au sein du Tiers Monde, s’est menée sous le couvert de la bannière libéral et a emprunté au libéralisme ses objectifs, ses mots d’ordre, ses slogans, l’antilibéralisme a été et reste une nécessité. S’opposer au libéralisme en le dénoncant pour ce qu’il est, c’est-à-dire fondamentalement une politique de classe, favorable aux intérêts de la classe dominante en général et de sa fraction financière en particulier, en critiquant ses principes théoriques et en le combattant dans ses conséquences pratiques, est et reste un élément important de toute défense intransigeante des acquis antérieurs des travailleurs, tels qu’ils ont été fixés et figés dans les compromis institutionnels que le libéralisme entend démanteler.

Pour m’en tenir à un exemple, on ne répétera jamais assez, démonstration à l’appui, combien le projet de démantèlement des systèmes publics d’assurance-vieillesse fondés sur la répartition (donc l’institution d’une solidarité inter-professionnelle et inter-générationnelle) au profit de système privés de capitalisation (fondés sur le rendement de placements immobiliers et financiers) est une escroquerie du point de vue des travailleurs, dont les pensions de retraite sont ainsi revues à la baisse et deviennent fondamentalement aléatoires ; tandis qu’il correspond pleinement aux aspirations du capital financier de mettre la main sur les milliers de milliards de francs qui chaque année se trouvent collectés par les caisses d’assurance-vieillesse au sein des pays capitalistes développés.

Mais pareille critique du néo-libéralisme, pour nécessaire qu’elle soit, reste insuffisante. Pour deux raisons essentiellement.
La première vient d’être implicitement évoquée. Limitée à elle-même, la critique du néo-libéralisme procède d’une position défensive, d’une position de repli sur les compromis institutionnalisés de la période fordiste que l’offensive néo-libérale se propose précisément de démanteler, pour remettre en cause les acquis des travailleurs qu’ils ont permis d’imposer et d’arracher à la classe dominante. Or la simple défense de ces compromis et de ces acquis est insuffisante. D’une part, parce qu’il ne s’agit pas d’en faire un horizon indépassable auquel devrait s’en tenir une fois pour toute la lutte de classe des travailleurs : résultat d’un rapport de forces historiquement déterminé, ces compromis et ces acquis en ont aussi enregistré les limites. D’autre part et surtout, parce que la défense nécessaire de ces compromis et de ces acquis doit aujourd’hui s’effectuer dans un nouveau contexte (celui de la transnationalisation) qui oblige de toute façon à aller au-delà d’eux, à envisager un horizon plus large, et à avancer en conséquence des propositions offensives. Par exemple, impossible de défendre aujourd’hui les différents systèmes publics nationaux de protection sociale sans réglementer la circulation des capitaux et, notamment, celle des capitaux flottants opérant sur les marchés monétaires et financiers à des fins essentiellement spéculatives. Une partie de la mouvance antilibérale l’a d’ailleurs très bien compris qui, par l’intermédiaire du mouvement ATTAC, s’est fait le partisan d’une taxation des transactions financières du type de la taxe Tobin. Autrement dit, dans la guerre (lutte) des classes comme dans la guerre tout court, la meilleure défense reste l’attaque.

A cette première raison de l’insuffisance d’une position simplement antilibérale s’en adjoint une seconde, plus essentielle, qui tient à son ambiguïté foncière. En effet, dans la mesure où le capitalisme avance aujourd’hui sous la bannière et le masque du libéralisme, l’antilibéralisme peut aisément passer et se faire passer pour anticapitalisme. Et ce d’autant plus que, pour des raisons qu’il serait trop long d’examiner ici, le pôle anticapitaliste s’est singulièrement affaibli au cours de ces mêmes dernières décennies qui ont vu se développer l’offensive libérale et sa réaction antilibérale. Or, ni dans ses principes ni dans ses conséquences pratiques, l’antilibéralisme n’est identifiable à l’anticapitalisme.

Ce dernier terme définit en principe une position qui vise un dépassement révolutionnaire du capitalisme, impliquant tout à la fois l’abolition de l’appropriation privative des moyens de production au profit de leur socialisation, de même que l’abolition de toute régulation marchande de l’activité économique et sociale supplantée par une planification démocratique de la production, enfin l’abolition de la division entre travail manuel et travail intellectuel dans le cadre de l’autogestion des unités de production. Laissons ici de côté la question de savoir si pareil projet est plus et autre chose qu’une simple utopie, la visée d’une société idéale (le communisme) dont rien n’assure qu’elle parviendra un jour à réunir les conditions tant subjectives qu’objectives de sa réalisation. En tant que projet, il définit bien un au-delà du capitalisme.

L’antilibéralisme, au contraire, vise plus modestement une politique générale, en l’occurrence un mode de gestion du capitalisme en crise, engagé dans une phase de rupture avec un mode de développement antérieur qui s’est épuisé (le fordisme) et à la recherche d’un nouveau mode de développement.

 DE ALAIN BIHR - relayé par RBBR - http://wwwlavie.over-blog.com

Messages

  • Dans le même ordre d’idée un extrait de :
    LA PEAU DU CAPITALISME

    http://www.passant-ordinaire.com/revue/44-510.asp

    Le libéralisme est la représentation qu’a la bourgeoisie du système social – le capitalisme – dont elle tire profit et pouvoir et dont l’essence est l’exploitation de la force de travail salariée. Les traits principaux de cette vision du monde sont : la propriété privée est légitime car c’est un droit naturel ; le capital est fécond et la rémunération qu’il reçoit est justifiée.1 Il résulte de ce bric à brac idéologique et bien peu scientifique un projet normatif pour la société : la régulation de celle-ci est assurée par le marché qui n’a que faire d’une action et d’un droit collectifs ni d’une régulation non marchande ; d’où la formidable entreprise en cours depuis vingt ans de privatisations, de limitations des services publics et de la protection sociale, notamment des retraites, de restrictions du droit du travail et d’appropriation de toutes les connaissances humaines. Le mouvement social est alors placé devant un choix crucial : faut-il revendiquer une meilleure régulation collective du capitalisme ou faut-il utiliser celle-là pour aller plus loin en remettant en cause le système lui-même ?

    • Les communsites pensent que le système capitaliste doit être dépassé ...à terme ...sauf que ça ne se fera pas du jour au lendemain ...mais par "étapes transitoires" donc par réformes successives ...qu’il convient de mener par les luttes et politiquement ...

      Des fractions de communisme existent déjà ds la société Française , c’est le cas de la sécu (système de soin indépassable ) , des services publics ...par ex

      Marjo

    • Ce n’est pas parce que la visée n’est pas exactement la même que l’ensemble des forces progressistes ne peuvent pas travailler ensemble ici et maintenant ...

      Marjo

    • Il faut distinguer les luttes sur des revendications claires qui peuvent se faire dans l’unité entre les "forces de progrès" (l’altermondialisation pour un monde meilleur) et les forces de transformations sociales globales (l’altermondialisme pour un autre monde) et le fait de passer des compromis politiques et institutionnels durables avec des forces social-libérales "de progrès" (le PS) qui entérinent massivement des régressions sociales profondes pour de très maigres "conquêtes sociales".
      Cette distinction n’est pas faite, me semble-t-il, par une fraction du PCF toujours prêt à aller "à la soupe" avec le PS. Certains qui ont signé l’appel dit Ramuleau en juillet 2003 en ont pris conscience.
      Au plan théorique, on peut se demander sérieusement si la notion de "dépassement du capitalisme" ne permet pas à certains communistes de conserver une "visée" communiste lointaine à laquelle ils tiennent tout en s’inscrivant factuellement dans l’acceptation de l’ordre existant, un existant amélioré aux marges par de maigres "conquêtes sociales" mises en avant lorsqu’elles existent mais sur fond de profondes régressions sociales que l’on se cache.
      Christian Delarue

    • Je ne crois pas que la sécu, les services publics, la retraite à 60 ans, les congés payés , les 35 heures , le droit du travail soient de "maigres avancées sociales" ....mais des avancées sociales fondamentales ...toutefois, l’expérience de gouvernement avec le PS ds les conditions telles s’est faite ses 20 dernières années vaut pour expérience à ne pas renouveler ...
      Mais exclure, de fait, le PS n’est pas non plus la solution en l’état actuel des forces ...la réalité politique de la France ,c’est que l’on ne peut balayer d’un revers de manche les qques 25 % d’électeurs qui se sont portés sur SR au 1er tour des présidentielles ...
      il ne s’agit pas d’aller à la "soupe" dont personnellement je me contrefiche vu que je n’ai rien à défendre de personnel là-dedans, il s’agit de réfléchir à une stratégie des plus efficace pour faire passer nos idées en tenant compte de la réalité politique du pays .

      Marjo

    • Le dépassement de la société capitaliste ne peut se faire d’un claquement de main par la volonté d’une seule minorité active mais nécessite sans doute des conditions politico économico historiques qui n’existent pas actuellement...

      Marjo

    • " Ce n’est pas parce que la visée n’est pas exactement la même que l’ensemble des forces progressistes ne peuvent pas travailler ensemble ici et maintenant ...
      Marjo "

      Bien dit, Marjo . C’est notre seule issue .

  • antiliberal ou anticapital , chaque pays a une autre definition, ce qui importe c´est de combattre les 2. si on est chez attac , on combat le liberal pour un autre monde, cela n´empeche pasetre dans un parti (au contraire il faut, die linke) pour etre anti-capitaliste et vouloir une autre societe , par exemple un socialisme democratique. Pour moi qui suis chez attac, cela est trop peu car vouloir un autre monde !? il n´y a que 2 systemes le capitalisme ou le socialisme , ET CE N´EST PAS PARCE QUE CERTAINS N´ONT PAS FAIT UN BON SOCIALISME QU´IL NE FAUT PAS ESSAYER D´EN FAIRE UN NOUVEAU ET MEILLEUR AVEC LES GENS (pas avec ceux qui ont trop , eux ils ne veulent partager !) mais je suis encarte cela permet de freiner le capitalisme, salut j f dieux

    • Il faut se lire correctement :
      "Je ne crois pas que la sécu, les services publics, la retraite à 60 ans, les congés payés , les 35 heures , le droit du travail soient de "maigres avancées sociales" ....mais des avancées sociales fondamentales .." Je suis d’accord mais le PS ne défends pas ces institutions il les attaque. Tout cela ne ressemble déjà plus à ce que ce devrait être car complétement pervertis par des logiques de marchandisation.
      Autre chose, de nombreuses personnes ont voté SR au premier tour sans pour autant approuver son programme. En tout cas j’en connais à ATTAC. Il ne faut pas confondre la direction du PS et ses militants et les électeurs.
      CD

    • "le PS ne défends pas ces institutions là , ils les attaque" ...C’est plus compliqué je pense ...le PS a pris part aux grandes réformes, ce qui ne l’empêche pas de les dénaturer après, notament par la signature des traités Européens ...la politique du PS dépend du rapport de force à l’intérieur du pays et de la gauche ...la question Européenne me paraît fondamentale et elle a montré justement toute les ambigütés de ce parti.
      Moi aussi je connais des personnes qui ont voté SR ,par peur ,au 1er tour , n’empêche , actuellemnt, on ne peut pas se passer de cette force .La première chose à faire est d’inverser le rapport de force à gauche , c’est ce que MGB voulait faire et je pense que cela eut été possible sans la division et les querelles .

      Marjo

    • MARJO bonjour et merci pour ton implication dans la discussion sur ce sujet.

      À l’heure où je t’écris, l’ESPOIR au Vénezuela EST DEVENU *CERTITUDE* !!

      CHAVEZ A ÉTÉ JUSQU’AU BOUT DE SES CONVICTIONS POLITIQUES ET -dans ce cas précis- RÉVOLUTIONNAIREs.

      En France, qu’a-t-il manqué à MG BUFFET impliquée dans la tentative anti-libérale ?

      A MANQUÉ -de la part des anti-libéraux- : LA CLAIRVOYANCE POLITIQUE DE *L’ESSENTIEL* !

      Or l’essentiel est et sera toujours *L’UNION DES VOLONTÉS ANTICAPITALISTES d’un pays... d’un continent... du monde entier* !

      Cet échec, EN FRANCE, est le résultat du BAS-NIVEAU THÉORIQUE ET PRATIQUE des hommes et femmes de notre pays qui vivent mal -au fond d’eux et dans leur rapport au monde- l’offensive tous azimuths des forces ultralibérales... déchaînées après la mort du soviétisme... et "aiguillonées-à-mort" par LA BRUTALITÉ HYSTÉRIQUE DES PLUS INTÉGRISTES DE L’ORDRE CAPITALISTE AU NIVEAU MONDIAL : je parle bien évidemment DES MILIEUX ULTRACAPITALISTES regroupés AUTOUR DE BUSH ET... DE SA $-HAINE-DE-CLASSE-ILLIMITÉE-$ !

      *LA PRISE DE CONSCIENCE DE TOUS LES ANTILIBÉRAUX DE CE MONDE ET... AU DELÀ D’EUX-MÊMES... DE TOUTES CELLES ET CEUX QUI DANS LE MONDE ONT O-B-J-E-C-T-I-V-E-M-E-N-T INTÉRÊT AU DÉMANTÈLEMENT DE $-LA PROPRIÉTÉ PRIVÉ DES MOYENS DE PRODUCTION, D’ECHANGE, ET DE COMMUNICATION-$*... VOILÀ BIEN *NOTRE CHANT* ET... NOTRE CHAMPS DE BATAILLE !!

      À BON-ENTENDEUR ET ENTENDERESSE... *MON SALUT FRATERNEL* !

      RBBR - http://wwwlavie.over-blog.com