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Le pouvoir d’un roi d’Angleterre

Publie le mardi 24 juillet 2007 par Open-Publishing

de Amira Hass

A la fin de la semaine, 256 familles fêteront la sortie de prison de leurs chers proches et des mères éprouvent déjà un soulagement de ce que la chasse à l’homme visant leurs fils recherchés a pris fin.

On éprouve aussi ce soulagement dans les villes où vivent les hommes recherchés : ceux-ci - en particulier ceux du Fatah - se sont enorgueillis de leurs armes dans le cadre des jeux internes de pouvoir. Ce n’est pas l’occupation israélienne qu’ils mettaient en danger mais leurs proches. Jusqu’à quel point ces gestes [d’Israël] renforceront Mahmoud Abbas, il est possible de l’évaluer non pas aux éloges adressés par George Bush à Ehoud Olmert, mais à la manière dont ils sont reçus dans la société palestinienne.

L’opération de relations publiques intensive dont ont bénéficié les « gestes » [d’Israël] renforce chez les Palestiniens la conscience qu’Israël s’offre à bon marché la capacité de poursuivre sa politique d’occupation. La terre qu’il a volé à tout Palestinien, Israël n’a pas l’intention de la rendre. Le réseau de barrages et de routes séparées qui détruit le cadre social des Palestiniens ne sera pas aboli et, au checkpoint, le soldat hargneux ne cessera pas de faire du moindre déplacement une torture. Les Palestiniens ont suffisamment d’expérience pour savoir que tous les sourires échangés par Abbas et Olmert n’arrêteront pas les bulldozers qui continuent de les emprisonner dans des enclaves coincées entre des blocs de colonies qui ne cessent d’enfler. Les déclarations de Saeb Erekat sur l’attachement à « un Etat dans les frontières de 67 » ne parviennent pas à persuader le public qu’un gouvernement OLP et Fatah parviendra à faire ce qu’il n’a pas fait depuis 1994 : combattre le projet israélien d’occupation et de colonisation.

La notion d’ « amnistie » dont on a emballé l’accord mettant fin à la chasse aux hommes recherchés montre à quel point Israël est arc-bouté à sa position de pouvoir. D’après la loi, le Président a autorité pour amnistier des « criminels ». D’après la loi, un « criminel » est quelqu’un qui a été jugé et condamné. Il est vrai que, lorsque l’opinion majoritaire au sein de la Cour Suprême avait décrété que le Président d’Israël avait le pouvoir d’amnistier comme le roi d’Angleterre et le président des Etats-Unis, le Président Haïm Herzog avait amnistié de hauts responsables des Services de la Sécurité générale (Shabak) avant qu’ils ne soient jugés pour le meurtre des kidnappeurs de l’autobus 300. Mais ici, c’est la Sécurité générale et l’armée sur le terrain qui amnistient. La légèreté avec laquelle la notion d’ « amnistie » est passée dans les médias est encore une preuve de la carte blanche que les Israéliens laissent à l’armée et à ses soldats pour agir comme procureur, juge et exécuteur des arrêts de mort. Quoi d’étonnant à ce que leur soit accordé le pouvoir d’un roi d’Angleterre, d’amnistier avant jugement ?

Pour ce qui est des prisonniers qui devraient être libérés au titre de « geste », leur sort était arrêté avant même qu’ils ne soient jugés dans ce grand show qu’on appelle le « tribunal militaire israélien ». Un show, parce que cette même structure militaire qui occupe et détruit et opprime une population civile, est aussi celle qui décrète que résister à l’occupation (y compris par des manifestations populaires ou par des jets de pierres) constitue un crime. Ses juges sont voués à la défense des intérêts de l’occupant et du colon. Ce geste de libération est par conséquent une minuscule réparation à un vice essentiel au plan légal.

Les Palestiniens ne peuvent pas oublier que des milliers d’officiers et de soldats israéliens qui ont tué des enfants et des femmes, brisé des mains et des pieds, protégé avec leurs armes le vol de terres, circulent librement. Si Olmert avait voulu sincèrement renforcer Abbas, il aurait au moins dû répondre à la demande que les représentants du Fatah n’ont cessé de répéter depuis des années : faites montre d’une certaine égalité, libérez tous ceux qui sont emprisonnés à vie pour leur activité contre l’occupation, remontant à une période antérieure à la signature de l’accord d’Oslo. Libérez ceux qui sont en prison depuis 20 ou 30 ans déjà, et ceux qui avaient alors reçu leurs ordres des plus hauts responsables parmi les « sujets modérés » d’aujourd’hui. La non libération de ces prisonniers après 1994 compte parmi les facteurs importants dans l’affaiblissement de la position de l’Autorité palestinienne et du Fatah.

Mais les « gestes » [d’Israël] s’inscrivent dans le cadre d’une conception israélienne seigneuriale qui consiste à jeter quelques miettes à Abbas, dans l’attente de l’obéissance et du « bon comportement » de ce féal sujet. Quand tel est le dessein, on a aussi la recette assurée pour affaiblir Abbas.

Haaretz, 18 juillet 2007

www.haaretz.co.il/hasite/spages/883032.html

Version anglaise : Power like the king of England

www.haaretz.com/hasen/spages/883350.html

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)

http://www.france-palestine.org/article6603.html