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« Nous souffrons d’un mal incurable : l’espoir »

Publie le dimanche 14 mars 2004 par Open-Publishing
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( Mahmoud Darwish )

L’arrivée de la délégation du Parlement international des écrivains à Ramallah suscite une forte émotion, en particulier pour le poète Mahmoud Darwish, placé au cœur de ce voyage. Le 25 mars 2002, lors des rencontres organisées par les écrivains palestiniens au Centre culturel Khalil Sakakini, celui-ci prononce un discours hommage à l’attention de ces « maîtres des mots », dont les préoccupations ne sont pas seulement littéraires mais aussi morales. Une manière symbolique d’inscrire la Palestine dans la culture mondiale.

C’est pour moi un grand plaisir et un honneur de vous accueillir sur cette terre en son printemps sanglant, une terre qui a la nostalgie de son vieux nom : terre d’amour et de paix.

Votre visite courageuse pendant ce siège monstrueux est une façon de rompre le siège. Votre présence ici brise notre sentiment d’isolement. Avec vous, nous nous rendons compte que la conscience internationale, dont vous êtes les honorables représentants, vit encore, qu’elle est capable de protester et de prendre le parti de la justice. Vous nous avez donné l’assurance que les écrivains ont encore un rôle important à jouer dans la lutte pour la liberté et le combat contre le racisme.

La responsabilité envers la destinée humaine ne peut limiter son _expression au texte littéraire. Dans des situations d’urgence et de calamité humaine, l’écrivain se met en quête d’un rôle moral à jouer dans d’autres formes d’action publique, un rôle qui renforce son intégrité littéraire, qui mobilise la conscience publique autour de valeurs morales élevées, dont la plus importante est la liberté. C’est ainsi que nous lisons le noble message que vous nous adressez aujourd’hui : un message de solidarité et de sympathie.

Je sais que les maîtres des mots n’ont nul besoin de rhétorique devant l’éloquence du sang. C’est pourquoi nos mots seront aussi simples que nos droits : nous sommes nés sur cette terre, et de cette terre. Nous n’avons pas connu d’autre mère, pas connu d’autre langue maternelle que la sienne. Et lorsque nous avons compris qu’elle porte trop d’histoire et trop de prophètes, nous avons su que le pluralisme est un espace qui embrasse largement et non une cellule de prison, que personne n’a de monopole sur une terre, sur Dieu, sur la mémoire. Nous savons aussi que l’histoire ne peut se targuer ni d’équité, ni d’élégance. Notre tâche pourtant, en tant qu’humains, est d’humaniser cette histoire dont nous sommes simultanément les victimes et le produit.

Il n’est rien de plus manifeste que la vérité palestinienne et la légitimité palestinienne : ce pays est le nôtre, et cette petite partie est une partie de notre terre natale, une terre natale réelle et point mythique. Cette occupation est une occupation étrangère qui ne peut échapper à l’acception universelle du mot occupation, quel que soit le nombre de titres de droits divins qu’elle invoque ; Dieu n’est la propriété personnelle de personne.

Nous avons accepté les solutions politiques fondées sur un partage de la vie sur cette terre, dans le cadre de deux Etats pour deux peuples. Nous ne réclamons que notre droit à une vie normale, à l’intérieur des frontières d’un Etat indépendant, sur la terre occupée depuis 1967, dont Jérusalem Est, notre droit à une solution équitable du problème des réfugiés, à la fin de l’installation de colonies. C’est la seule voix réaliste vers la paix qui mettra un terme au cercle vicieux du bain de sang.

L’état de nos affaires est d’une criante évidence, il ne s’agit pas d’une lutte entre deux existences, comme aimerait le montrer le gouvernement israélien : eux ou nous. La question est d’en finir avec une occupation. La résistance à l’occupation n’est pas seulement un droit. C’est un devoir humain et national qui nous fait passer de l’esclavage à la liberté. Le chemin le plus court pour éviter d’autres désastres et accéder à la paix est de libérer les Palestiniens de l’occupation, et de libérer la société israélienne de l’illusion d’un contrôle exercé sur un autre peuple.

L’occupation ne se contente pas de nous priver des conditions élémentaires de la liberté, elle va jusqu’à nous priver de l’essentiel même d’une vie humaine digne, en déclarant la guerre permanente à nos corps et à nos rêves, aux personnes, aux maisons, aux arbres, en commettant des crimes de guerre. Elle ne nous promet rien de mieux que l’apartheid et la capacité du glaive à vaincre l’âme.

Mais nous souffrons d’un mal incurable qui s’appelle l’espoir. Espoir de libération et d’indépendance. Espoir d’une vie normale où nous ne serons ni héros, ni victimes. Espoir de voir nos enfants aller sans danger à l’école. Espoir pour une femme enceinte de donner naissance à un bébé vivant, dans un hôpital, et pas à un enfant mort devant un poste de contrôle militaire. Espoir que nos poètes verront la beauté de la couleur rouge dans les roses plutôt que dans le sang. Espoir que cette terre retrouvera son nom original : terre d’amour et de paix. Merci pour porter avec nous le fardeau de cet espoir.

Traduit de l’anglais par Françoise Cartano.

Ecrivains des Frontières

Un voyage en Palestine(s)

Un film documentaire de Samir Abdallah et José Reynès

AU CINEMA ESPACE SAINT-MICHEL

PROGRAMME DU 10 AU 16 MARS 2004

6 séances par jour
14h - 15h40 - 17h20 - 19h - 20h35 - 22h10

7, Place saint-Michel 75005 Paris - M° Saint-Michel - 01 44 07 20 49 ( à partir de 13h )

« Sous Israël, chaque jour la Palestine est engloutie. Cela ressemble de moins en moins à un pays.
C’est en train de devenir une métaphore. Puisse l’art lui donner un sens ».

Samir Abdallah et José Reynès

Pour en savoir plus consultez le site du film : www.ecrivainsdesfrontieres.org

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