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Le peuple des digues

Publie le mercredi 17 mars 2004 par Open-Publishing



Aujourd’hui (14.03.2004) on célèbre partout dans le monde la journée internationale
contre
les grands ouvrages pour rappeler qu’ou bien le développement est soutenable
aussi pour les êtres humains, ou bien ce n’est pas du développement.


De Sabina Morandi

Quand ils se rencontrèrent la première fois à Curtiba, au Brésil, ils n’étaient
que les témoins épuisés d’un drame que le monde ignorait. Six ans après, le mouvement
pour l’autodétermination des communautés menacées par la construction des digues,
comme elles se définissent, est arrivé à établir des alliances importantes avec
les écologistes du Nord et à gagner la solidarité de personnages connus tels
qu’ Arundhati Roy ou le prix Nobel pour la paix Aung San Suu Kyi. La ténacité a
récompensé les communautés locales, surtout des indigènes et des paysans, contraintes à se
mobiliser pour éviter d’être déportées : environ 80 millions de personnes, éparpillées
parmi les 62 pays dans lesquels sont prévues les grandes digues. Le deuxième
Forum du mouvement contre les digues a eu lieu à Rasi Salai, en Thaïlande, premier
endroit de la planète où la population est arrivée à l’emporter sur la digue
et à se réapproprier son fleuve. Là, peu avant le World Social Forum de Bombay,
environ 300 représentants des communautés menacées par les digues se sont rencontrés
avec deux objectifs précis : enregistrer les succès obtenus et faire adopter leur
bataille par le mouvement international.

On doit certainement compter parmi les succès le processus de révision amorcé par
la Banque Mondiale par l’institution de la Commission sur les digues chargée
de rédiger un rapport sur la question. Même s’ils sont ampoulés, les résultats
du rapport ont contraint la banque à diffuser des recommandations strictes
en substance, des conditions pour obtenir les financements. Grâce à la Commission
et aux campagnes internationales, la banque a dû battre en retraite en ce qui
concerne quelques-uns des pires projets comme les digues chinoises et indiennes
ce qui n’a toutefois pas empêché les gouvernements respectifs de continuer.
Et le moment est donc venu, a-t-on rappelé à Rasi Salai, de s’occuper des deux
autres grands acteurs qui sont derrière le business des digues : les gouvernements
qui utilisent les ouvrages pharaoniques pour faire progresser les projets de
privatisation de l’eau et le lobby des constructeurs, parmi lesquels l’Italie
se vante d’avoir de dignes représentants.

Quant au deuxième objectif, celui de faire adopter par le mouvement international
une bataille qui, malgré son ampleur géographique et numérique , est foncièrement
locale, les délégués de Rasi Salai peuvent se dire satisfaits. Bombay a fait
sienne la résistance contre le modèle de centralisation du contrôle des eaux
représenté par les digues qui entre directement et parfois aussi, militairement
en conflit avec la gestion collective et basée sur les habitudes des communautés
locales. Grâce à la force de propulsion de Medha Padka, leader charismatique
du mouvement contre les digues dans la vallée indienne du Narmada, un lieu d’où ont été déjà déplacés
des millions de personnes, la résistance de ces populations refoulées est entrée
officiellement dans le cadre des revendications résumées dans le document final
des mouvements sociaux du World Social Forum 2004.

Une journée particulière

Un autre monde n’est pas possible tant que des gens seront chargés sur des camions
pour faire place au ciment. Au fond, la journée internationale contre les digues
du 14 mars sert à rappeler que, ou bien le développement est soutenable pour
les êtres humains aussi, ou bien ce n’est pas du développement. Si le 14 mars
2003, le front anti digue se fit entendre en Espagne, en Afrique du Sud et au
Brésil, cette année, les rendez-vous se sont élargis à tous les continents.

Au Ghana, les communautés du bassin de la Volta organisent une marche dans la
ville de Akosombo pour arrêter la construction de la digue. Au Sénégal, la Coordination
du bassin du fleuve a lancé la mobilisation contre " le développement destructeur" à pied
d’oeuvre dans tout le continent noir. En Afrique du Sud, pays sur lequel pèsent
les gigantesques projets du Lesotho, la journée internationale a été précédée
par une semaine de rencontres, de séminaires et de projections à la KwaZulu-Natal
University.

La mobilisation sera massive aussi en Argentine où l’on essaie d’empêcher la
construction de la digue Yacyretà et la reprise des travaux de Corpus, tous deux
sur le fleuve Paraná, et où la construction du complexe du Garabi est au programme, à la
frontière avec l’Uruguay. En Colombie, 10 000 personnes sont décidées à converger
vers le fleuve Sinu pour protester contre la digue Urra. Au Costa Rica, au contraire,
on a choisi d’organiser une rencontre entre les communautés menacées par le projet
Chaparral au Salvador. Il faut trouver le moyen d’empêcher que 1500 familles,
environ 18 000 personnes, soient contraintes à abandonner leur maison. Au Mexique,
les Paysans en lutte contre la digue de La Parota, projet qui prévoit l’inondation
de 17 300 hectares de terres agricoles et de 22 hectares de terres urbaines,
avec le déplacement forcé d’environ 25 000 habitants, se sont unis à l’Alliance
mexicaine pour l’autodétermination des peuples. Les deux réseaux vont se retrouver à Acapulco
devant les bureaux de la Commission fédérale de l’électricité qui a rédigé le
projet. Aux Etats-Unis, l’association écologiste Friends of the River et les
tribus de la Hoopa Valley californienne se mobilisent pour relancer le Trinity
River Record of Decision, un plan détaillé pour la récupération des fumées qui
est en train de suivre son chemin administratif.

Evidemment, l’Asie ne pouvait pas manquer. En Inde, la journée internationale
a commencé samedi avec les célébrations de Sangam, où se rencontrent les fleuves
Cauvery et Arkavathy , et avec un forum organisé dans le district de Ukhrul pour
discuter du projet pharaonique du Mapithel-Thoubal. Les organisateurs attendent
au moins 200 représentants des communautés tribales qui profiteront de l’occasion
pour discuter de stratégies de lutte et de résistance. Au Pakistan aussi, la
mobilisation est massive : la Sungi Development Foundation pousse pour que soit
mis en œuvre le plan national de réinstallation des communautés chassées par
les digues tandis que les activistes de Action Aid Pakistan, avec Left Bank Outfall
Drain et avec l’Organisation nationale des endommagés par les programmes d’irrigation
feront un jour de grève de la faim devant les bureaux de la Banque Mondiale et
de l’Asian Development Bank. Pendant tout le week-end, des conférences et des
séminaires se relaieront aussi bien pour faire le point sur les projets régionaux
que pour établir un réseau d’alliances entre les communautés à cheval sur la
frontière brûlante entre l’Inde et le Pakistan.

Aux Philippines, les chantiers sont nombreux et les organisations aussi. La Cordillera
People’s Alliance a donné rendez-vous devant le siège du département pour les
ressources naturelles de Baglio, tandis qu’à Manille, devant l’Asian Development
Bank, se retrouveront les communautés menacées par la digue de Laiban avec les
citoyens qui protestent contre les projets de privatisation de l’eau potable.
Enfin, toujours aux Philippines, une caravane traversera le pays pour célébrer
l’unification de deux groupes qui luttent contre la digue de San Roque : les communautés
indigènes Tignay Dagiti et le Mouvement des paysans pour la libération du fleuve
Agno.

Sources : Campagne pour la réforme de la Banque Mondiale et International River
Network. On peut voir des images de l’inondation des villages du Narmada sur http://www.narmada.org/images/satyagraha2003/index.html

Liberazione
Traduit de l’italien par Karl et Rosa

17.03.2004
Collectif Bellaciao