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Paléontologie coranique ou géopolitique pétrolière ? P. TORT

Publie le mardi 16 octobre 2007 par Open-Publishing
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l’Humanité des débats. 10 février 2007

PALEONTOLOGIE CORANIQUE OU GEOPOLITIQUE PETROLIERE
Par Patrick Tort, directeur de l’Institut Charles-Darwin International

Que cachent les nouvelles offensives créationnistes contre la science d l’évolution ?

Le 2 février 2007, la France apprend qu’un ouvrage de propagande créationniste de grand luxe, un in-folio de 772 pages édité et imprimé à Istanbul, l’Atlas de la création, a été envoyé par voie postale aux établissements d’enseignement du territoire. L’ouvrage est d’un dénommé Harun Yahya (alias Adnan Oktar), prosélyte musulman turc signataire d’un nombre considérable de livres, de cassettes vidéo, de CD, de DVD et auteur d’un site Internet (enregistré aux États-Unis et administré en Turquie) attaquant les fondements de la biologie moderne de l’évolution au nom du dogme de la création divine de chaque forme vivante dans son état définitif.

Psychotique selon les uns, faussaire selon les autres, gourou d’une Science Research Foundation adossée au mouvement islamique réformiste Nurcu et liée à l’Institute for Creation Research américain, condamné pour de multiples forfaits, le signataire de cet ouvrage qui en annonce six autres s’illustre par sa volonté d’opposer la vérité « scientifique » du Coran au darwinisme et au matérialisme. Traduit dans de nombreuses langues avec des moyens financiers exorbitants, l’ouvrage se caractérise par une défense globale des « trois religions divines » : l’islam, le christianisme et le judaïsme.

Ses arguments (ici essentiellement paléontologiques) sont calqués sur ceux des « créationnistes scientifiques » anglo-saxons. Tout y est faux, banal ou travesti (on y voit même un fossile d’insecte manifestement colorisé pour rendre plus parfaite sa ressemblance avec l’insecte vivant), et le choix systématique de taxons dits panchroniques, c’est-à-dire de formes très anciennes ayant très peu évolué, fait évidemment sourire.

L’argument de la complexité qui ne saurait être due au « hasard », le « miracle » des harmonies naturelles, le fixisme réaffirmé à chaque page et illustré par des photographies souvent largement indéchiffrables, une nomenclature ridicule, tout cela fait partie des mystifications ordinaires des « musées de la création » qui fleurissent aux États-Unis. La vieille théologie naturelle y reconduit son règne providentialiste. Rien ne surprend non plus dans la sinistre confusion entretenue autour de la théorie darwinienne - présentée comme une doctrine sanguinaire -, et qui néglige le fait essentiel que dans l’anthropologie de Darwin, la civilisation se définit comme le renversement progressif des rapports de conflit au profit de l’association éthique, solidaire et altruiste.

La source réelle de cette énorme masse financière mise au service d’un déni forcené des vérités scientifiques les plus élémentaires s’éclairera peut-être si l’on se promène sur les sites Internet qui évoquent l’« oeuvre » de cet imposteur : on y verra de nouveau les attentats du 11 septembre 2001 attribués au darwinisme comme philosophie du conflit. L’affiliation scandaleuse de Hitler à Darwin, déjà pratiquée par l’auteur dans d’autres ouvrages juxtaposant leurs portraits sur une même couverture, ainsi que le thème du darwinisme comme source idéologique du terrorisme constituent deux topiques récurrentes de cette intoxication des consciences.

On y lira aussi - parmi des considérations positives sur George Bush, les droits de l’homme et la libre entreprise -, un appel aux États-Unis pour qu’ils soutiennent le principe du règlement des conflits du monde musulman, et entre les nations de l’Islam et l’Occident judéo-chrétien, par une communauté islamique unifiée ouverte aux accords fondamentaux des trois grandes religions monothéistes.

C’est évidemment là un rêve américain pour le Moyen-Orient, rêve qui pourrait être partagé par plusieurs gouvernements arabes, et notamment par celui de l’Arabie saoudite, pays disposant d’immenses capitaux pour favoriser l’expansion d’un islam naturellement compréhensif envers les intérêts du commerce pétrolier. Sans compter qu’une base en Turquie, pays candidat à l’intégration dans l’Union européenne, peut être spécialement utile pour toute action éventuelle de déstabilisation idéologique en Europe.

Les biologistes et paléontologues de tous les pays atteints par cette offensive expliqueront aisément, s’ils l’estiment nécessaire, que les contenus de tels ouvrages n’ont rien à voir avec les faits établis de la science moderne de l’évolution. Mais il leur faut aussi ne pas oublier que cette propagande religieuse est par essence et par destination une propagande politique qui doit être analysée dans sa genèse complexe et combattue politiquement en connaissance de cause.

Et que la paléontologie coranique de Yahya a un fort parfum d’harmonie entre des dollars bien contemporains et des énergies fossiles qu’elle souhaiterait éternelles.

(1) Lauréat de l’Académie des sciences.
www.darwinisme.org

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