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Lettre ouverte au Président de la République

Publie le lundi 3 décembre 2007 par Open-Publishing

Je suis une citoyenne italienne de 53 ans et je vous écris pour vous demander d’intervenir de toute urgence au nom de la démocratie du pays que vous représentez et pour la sauvegarder.

Je ne le demande pas pour moi qui, après plus de six ans, ai perdu toute confiance, je le demande pour ma fille, pour les petits enfants que j’espère avoir un jour. Pour tous les jeunes qui vivent en Italie et qui voudraient continuer à y vivre, avec la certitude des droits (avec les devoirs) auxquels tout citoyen s’attend dans un pays démocratique.

Au mois de juillet 2001 ma fille, 21 ans à l’époque, a été massacrée par la police à l’Ecole Diaz de Gênes, pendant le G8, hospitalisée à cause de ses blessures, séquestrée et « desaparecida » dans la caserne de Gênes Bolzaneto pendant deux jours, soumise à nouveau à des insultes et des tortures. Placée sous enquête pendant des années, soupçonnée de délits gravissimes, tels que l’association de malfaiteurs dans le but de la dévastation et de la mise à sac et l’appartenance au groupe des black-bloc, jusqu’à un non-lieu pour elle et pour tous les 93 enquêtés de l’Ecole Diaz. Les juges de Gênes ont démontré que les preuves exhibées (les cocktails Molotov retrouvés dans l’école, les coups de couteau à un agent et nombre d’autres) étaient fausses, fabriquées par les mêmes forces de police pour justifier la « boucherie mexicaine » perpétrée dans l’école.

Je me bats depuis pour obtenir vérité et justice, aussi au nom de tous les citoyens italiens et étrangers qui ces jours-là subirent des violences et des tortures de la part des forces de police, sur les places, à l’école Diaz, dans les casernes de Bolzaneto et de Forte San Giuliano. Je vous écris afin que vous interveniez publiquement, au nom du peuple italien, pour que des excuses soient faites à toutes les victimes de la répression de ces jours-là, personne ne l’a encore fait et plus de six ans se sont déjà écoulés.

J’adresse cette lettre directement à vous et pas au Chef du Gouvernement ou au Gouvernement, parce qu’ils n’ont rien fait jusqu’ici pour promouvoir la Commission d’enquête contenue dans leur programme. Ils ont, au contraire, approuvé des promotions indécentes de nombre de fonctionnaires accusés ou mis sous enquête dans le procès Diaz en cours à Gênes, dont les plus récentes sont celle de l’ancien chef de la police Giovanni De Gennaro (sous enquête pour « encouragement à faux témoignage ») promu chef de cabinet du Ministère de l’Intérieur et celle de Giovanni Luperi, accusé dans le procès Diaz et promu chef du Département analyses de l’ancien SISDE.

Je vous demande d’intervenir afin que soient tout de suite suspendus l’ancien chef de la police Giovanni De Gennerao, Spartaco Mortola, chef en 2001 de la DIGOS génoise et parvenu ensuite au rang de vice préfet de police de Turin, l’ancien préfet de police de Gênes, Francesco Colucci. En effet, d’aprés les dernières nouvelles, il y a le grave soupçon que ces fonctionnaires aient interféré lourdement dans l’enquête et dans le procès en cours pour les évènements de l’Ecole Diaz, en garantissant l’impunité et des promotions pour les responsables. Si l’Italie était un pays normal nous aurions eu de la part du chef de la police Manganelli, du chef du gouvernement Prodi, du ministre de l’Intérieur Amato en prime time et sur les pages des journaux les prises de position et de distance par rapport à ces gens-là. Nous avons, au contraire, le silence, qui me fait peur parce qu’il sous-entend l’ignorance ou la coparticipation, toutes les deux inacceptables.

Je vous écris afin que soient suspendus tous les fonctionnaires et les agents renvoyés devant les assises dans les procès en cours à Gênes à cause des évènements de la Diaz et de Bolzaneto. Si l’Italie était un pays normal, les fonctionnaires accusés auraient fait eux-mêmes un pas en arrière, plutôt que d’occuper des places stratégiques pour la sécurité et la légalité dans notre pays.

Amnesty International, dans ses interventions partout dans le monde, souligne à chaque fois que face à des procès pour des abus commis par les forces de l’ordre et pour éviter que des violences sur des citoyens se répètent, il est indispensable d’agir avec un maximum de rigueur, en éloignant toute hypothèse d’impunité.

Amnesty International considère que certains actes sont nécessaires : la condamnation politique des violences, des condamnations pénales pour les coupables des abus et la suspension des agents sous enquête. Ce sont des passages indispensables pour éviter que ne se crée un climat d’impunité ou que quelques-uns se sentent légitimés à se comporter d’une certaine façon. Il s’agit de mesures nécessaires à protéger la qualité de la démocratie. En Italie, nous sommes en train d’aller en contre tendance : les accusés « excellents », plutôt que d’être suspendus dans l’attente d’une sentence, sont même promus, reçoivent des primes et des éloges, dans le total mépris des plus petites règles d’honnêteté démocratique et institutionnelle.

Ces promotions, avec les écoutes téléphoniques publiées ces jours-ci, sont la preuve qu’au sommet des forces de l’ordre et du gouvernement on n’accorde aucune attention aux droits de citoyenneté et à la crédibilité éthique et démocratique des forces de police.

Enrica Bartesaghi – Présidente du Comité vérité et justice pour Gênes
Italie, 29 novembre 2007
Traduit du français par Karl&Rosa