Accueil > ADN et assurance

ADN et assurance

Publie le lundi 10 décembre 2007 par Open-Publishing
5 commentaires

de Jean-Yves DENIS

Il y a certains secteurs à l’abris de la crise.

Les banquiers et les assureurs font parti de ces gens qui n’ont pas trop de soucis d’argent en ce moment.

Un banquier, c’est quelqu’un qui stocke le salaire des pauvres pour prêter aux riches.

Un assureur, c’est plus subtil, c’est quelqu’un dont le travail consiste à ne jamais faire ce pour quoi il est normalement payé, c’est à dire rembourser un dommage subi.

L’assurance est basé sur la technique des statistiques, et cette branche pratique des mathématiques est une chose passionnante.

Je sais que rien que d’entendre le mot mathématique, la plupart d’entre vous fermeront la fenêtre et passeront à autre chose.

Dommage, car les maths, c’est chiant, certes oui, mais c’est la base du capitalisme banquier.

Je m’explique.

Les assureurs ont un problème simple.
Il doivent recevoir des primes, et ne presque jamais rembourser.
En terme de math, cela s’appelle "optimisation".
En terme capitaliste, cela s’appelle "profitabilité" ou "rentabilité".

Comment faire ?

Les calculs de probabilités sont prévus pour calculer les risques sur la base de données provenant d’expériences passées.
Par exemple, un automobiliste a une chance sur N de se planter contre un platane s’il est âgé de plus de 60 ans, et qu’il habite tel département.

Pour cela, un assureur a besoin de statistiques, c’est à dire du nombre de type qui se sont plantés sur un platane dans chacun des départements durant les dernières années, avec un classement par age.
Vous remarquerez qu’il s’agit de données non personnelles.

En fonction de cela, l’assureur calcule la prime a faire payer.
Grosse prime pour les départements à fort plantage de platanes, prime plus basse pour les départements à faible taux de platanes ou d’alcoolémie.

Pour cela, il utilise des formules statistiques qui lui garantissent que le montant des remboursements sera toujours, au total, plus faible que le montant des primes extorquées aux assurés.

C’est le B-A BA des assureurs capitalistes qui permet à ces braves gens d’être assuré d’une retraite dorée dans les caraïbes.

Mais cela n’est plus suffisant.
Les capitalistes doivent gagner toujours plus en travaillant toujours moins.

C’est pénible de rembourser certaines fois, alors que le mieux serait de rembourser quasiment jamais.

Alors comment faire ?

Prenons un pauvre.

Non, pas comme ça !!!

Je veux dire, examinons un pauvre sous l’angle d’un produit, d’une chose rapportant de l’argent.

le pauvre, c’est ce tas de viande qui paie une assurance obligatoire par peur d’être ruiné à la moindre injustice de la vie.
Accident de voiture, incendie, inondation, maladie horrible.

Dans la suite de l’article, ayant rapport à l’ADN, je me concentre sur le thème "maladie horrible".

Si vous avez bien suivi le début de l’article, vous avez intégré le fait qu’un banquier, comme un assureur, passe sa vie à stocker l’argent des pauvres pour le prêter à des entrepreneurs riches.

L’un des principaux problèmes des riches est qu’ils ne sont jamais assez riches, et qu’ils réclament donc toujours plus de liquidités.
Les assureurs doivent donc être inventifs et trouver des moyens d’éponger plus encore le pognons des pauvres.
C’est un métier, ils font des études pour cela.

Alors là intervient l’idée.

Les naïfs (synonyme de socialistes, communistes, anarchistes ou progressistes) pensent qu’une assurance doit fonctionner comme une mutuelle pour partager les risques individuels en les faisant supporter par la collectivité.
C’est au départ l’idée d’une mutuelle, basé sur un raisonnement mathématique statistique.
Les pauvres ont beau être laids, malchanceux et maladroits, ils ne peuvent pas être tous maladroits et malchanceux au même moment.
D’où l’idée d’une assurance, tout le monde paie une prime pour venir en aide à un malchanceux, en attendant qu’un jour, la malchance tombe sur nous (mais on espère continuer à payer la prime pour les autres plutôt qu’avoir la "chance" d’être un "sinistré")

Alors cela, c’est bien une idée de gauche.
Le partage des risques sur la totalité de la population, sans flicage individuel des gens.

D’ailleurs, cela fait l’objet de nombreuses railleries ironiques lors des séminaires d’assureurs qui ont lieu dans des hôtels Mercure de Neuilly S/S le vendredi soir.
Ils se gaussent de nous et ils ont bien raison.

Car avec les tests ADN, le raisonnement est radicalement différent.

Il s’agit d’individualiser la notion d’assurance, en gros de rendre responsable un assuré du dommage qu’il subit.

Reprenons un pauvre.

Non, pas le même, soyons humain.

Envoyons lui un formulaire avec un joli entête, du genre "GROS-RICHE COORP, ASSURANCE LDT", qui lui dit, en résumé ;

-------------------------------------------
Cher pauvre.

Savez-vous que si vous acceptez de passer un test ADN, et que celui-ci ne conclut pas que vous êtes atteint d’une grave maladie génétique, votre prime sera diminuée ?
Alors pauvre, pourquoi hésiter, car le risque que votre ADN soit tout pourri est très faible ?
-------------------------------------------

Il ne s’agit pas d’une stupide blague de ma part, mais bien d’une volonté actuelle de grands groupes d’assurance d’outrepasser les lois européennes actuelles sur les tests génétiques.
Et en passant de s’aligner sur ce qui se passe aux USA.

Leur banalisation, factuelle maintenant pour les immigrés, n’est qu’une première étape préparatoire.

Pour faire passer cela, la notion de volontariat sera toujours mise en avant.
Mais très concrètement, on se doute que si les tests ADN se généralisent, ceux qui s’y refuseront auront de gros malus.

A tort ou à raison, un certain nombre de scientifiques pensent que l’ADN humain permet de déterminer les risques de développement de telle ou telle maladie, ou de tel ou tel comportement à risque.

Le but de cet article n’est pas de savoir si cette théorie scientifique est vraie ou non, car seuls des généticiens auront des réponses.

Le but de cet article est de réfléchir aux conséquences de l’usage d’une telle technologie, qu’elle soit valide ou non scientifiquement.

Ici encore, l’aspect statistique est important, car évidemment la possession de tel ou tel gêne n’implique pas forcément le développement d’une maladie ou d’une mort précoce, mais le fait de stocker et d’analyser massivement des fiches ADN, cela donne - à ceux qui voit en cela un progrès - un espoir de pouvoir produire des règles statistiques, permettant de ranger les clients en différentes catégories.

Par exemple :

Catégorie "C" : Risque de problème cardiaque, donc ajouter telle ou telle clause limitatrice sur le contrat d’assurance.

Vous voyez, pas besoin de faire un scénario du style Orwell.
Il ne s’agit que de simple "bon sens", d’utilisation efficace d’une technologie.

Un gros problème pourtant, si le gêne "X" est corrélé avec par exemple un grand nombre de cas d’accidents de la route.
Bébert, qui ne s’est jamais planté avec son camion, apprendra ainsi qu’il devra payé trois fois plus pour son assurance.

C’est injuste socialement, mais c’est justifié par l’application individuelle d’un critère génétique.

Le client pourrait coûter de l’argent à la compagnie, ce qui n’est pas tolérable pour les actionnaires.
Un peu comme la doctrine préventive guerrière de Bush, il s’agit d’une doctrine préventive anti-pauvre contre les individus qui terrorisent les profits boursiers avec leurs aléas de vie.

Le mieux est de récolter un maximum d’ADN pourri, d’ADN pauvre, pour justifier des taxes individuelles supplémentaires.

La clientèle des assureurs n’est pas à proprement dire un cheptel, mais disons un produit d’un genre particulier.
Dans les usines, on supprime les objets manufacturés qui ont un défaut.

Les assureurs contemporains ne font que reproduire cette technique, supprimer le produit défectueux, pour ne garder que le bon produit rentable.

Pour la compagnie d’assurance, ce n’est pas grave si la science s’est trompée et que la corrélation est approximative.
Elle sera gagnante de toute façon, car la sur-prime punitive ne sera appliquée qu’à de petits groupes d’individus.
Et globalement, les "super-normaux", ceux qui payent raisonnablement peu, seront majoritaires et ne contesteront pas.

Bébert, au nom de l’individualisation de la société, sera victime de la globalisation technologique au service du capital.

S’il ne se plante pas contre un arbre, et qu’il a travaillé plus toute sa vie pour finalement mourir plus pauvre, cela ne se verra pas dans les statistiques globales de la compagnie d’assurance.

L’ADN, ici, aura le même effet que pour l’immigration (telle que vue par le ministre Hortefeux) , un filtre.
La mutuelle se sera transformée en machine à filtrer les "anormaux", sans que cela ne se remarque trop.

Big Brother ne nous regarde plus, il n’a plus besoin.

Il possède notre ADN.

---------------------------

Les liens qui m’ont inspiré cet article :

Et il ne s’agit que d’une sélection très limitée sur ce thème ...

http://www.lesechos.fr/info/analyses/4644568.htm

http://www.unesco.org/courier/2001_03/fr/doss7.htm

http://www.domainepublic.ch/files/articles/html/2741.shtml

 http://www.clubic.com/forum/et-a-pa...

http://www.huyghe.fr/actu_481.htm

http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=15712575

Messages

  • on savait déja que les assureurs et les banquiers etaient des voleurs mais là , ça fait froid dans le dos.

  • Malgré le scénario (ou grâce à lui) relevant pour l’instant de l’anticipation quasi-Orwellienne, c’est un article intéressant, plutôt didactique dirais-je même.

    G.B.

  • Cet article est très intéressant et me fait penser à l’interview d’un assureur qui trouve normal de sélectionner les candidats à l’assurance sur critères médicaux et de ne couvrir les risques que de gens bien portants afin de maximiser ses profits.

    A la question "et les gens malades ?" il répondit : "ce n’est pas mon problème"... on est aux antipodes de la Mutuelle du Mouvement Mutualiste issu de 45 (attention aux mutuelles privés qui ne sont que de vraies assurances privées)

  • Jean-Yves, bravo ! Car je crois, par les temps qui courent , que d’apporter un peu d’humour et de dérision pour décrire des choses pas du tout rigolotes permettent parfois de mieux les appréhender.

    Michel Mengneau

  • Idéalement, les assurances sont faites pour ne pas être utilisées.