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LE SERVICE PUBLIC A L’EPREUVE DU MARCHE

Publie le lundi 12 avril 2004 par Open-Publishing
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de Patrick MIGNARD

Le service public « fond », aujourd’hui, « comme neige au soleil ». Attaqué de toutes parts par les gestionnaires du système marchand, il est en passe de succomber à la marchandisation généralisée . Victime de la loi du marché et des discours trompeurs et mensongers sur l’efficacité et la rentabilité, les « usagers » vont devenir des « clients »… désormais il ne faudra plus « avoir besoin de… », mais « pouvoir et/ou devoir payer ».

Le service public fait partie de notre culture politico-économique. Héritier des heures marquantes du Front Populaire et surtout de la Libération, il constitue un des repères essentiels du cadre de notre vie quotidienne. Sa remise en question, sujet tabou pendant des décennies, nous atteint tant sur le plan pratique que sur le plan moral et civique. On a l’impression de perdre quelque chose d’important sinon d’essentiel, on a l’impression de perdre de ce qui fait de la justice de l’équité et de l’égalité, bref, une partie de ce qui fonde les valeurs de ce que l’on appelle la République.

QU’EST-CE QUE LE SERVICE PUBLIC ?

Il n’existe pas de définition stricte, et à fortiori juridique de ce concept. Certains l’ont même qualifié de « nébuleuse juridique » autrement dit on peut y mettre à peu prés n’importe quoi. Ce flou n’est cependant pas le fruit du hasard. En effet, ce terme fait référence à deux notions lourdes de signification : la collectivité et l’impératif du service à rendre. Ce qui signifie que le service public peut se résumer à « l’impératif de rendre un service à la collectivité », et « au nom de la collectivité ».

Que voilà donc une bien étrange chose dans un monde où il est de plus en plus question que de marché, de rentabilité, de profit et de solvabilité du consommateur !

Quelle différence y a-t-il entre une production de service dans le cadre d’un service public, et une production hors de ce cadre ?

Dans le cadre strictement marchand, la production est exclusivement motivée par la demande solvable (ne consomme que celui qui peut payer), c’est à dire adapter (rentabilisation) et réaliser la production uniquement en vue de la réalisation d’un profit (pour rémunérer le capital et réaliser les investissements d’adaptation de la production aux conditions du marché). C’est le fondement même du système marchand. On parlera de « client » de l’entreprise.

Produire avec une « contrainte de service public » (notez le terme « contrainte » qui en dit long….) privilégie d’abord la production en vue de la satisfaction d’un besoin. La production est considérée comme un impératif, devant se faire même si les conditions financières ne sont pas réalisées. Autrement dit même si la production n’est pas rentable. On parlera d’« usager » du service public.

« Client » et « usager » sont donc deux termes qui ont chacun un sens bien particulier, et ce n’est pas un hasard si l’on abandonne peu à peu le terme d’ « usager » au profit (si j’ose dire) de « client ».

Il y a donc bien une différence fondamentale entre la « philosophie » de la production marchande et celle du service public. Mais alors, pourquoi donc faire apparaître cette notion de service public concernant certains secteurs d’activité ?

La réponse est à la fois économique et historique . Certains secteurs de l’activité économique (énergie, transports, communication) sont apparus à la fois comme stratégiques et pas forcément rentables à court terme… c’est le cas du chemin de fer dans les années 30 et du charbon et de l’électricité dans les années d’après la Libération. L’Etat, garant du fonctionnement du système a trouvé tout à fait rationnel de nationaliser ( par exemple en totalité EDF en 1946, ou en partie SNCF en 1937 puis en totalité en 1983) et d’en faire à la fois un élément de stratégie globale pour le système et de satisfaction des besoins pour l’ensemble de la population. Mais à joué également, et souvent parallèlement, un autre facteur : la volonté politique et même idéologique de ne pas mettre des secteurs essentiels de l’économie entre les mains du privé. Ce n’est pas un hasard si l’on assiste à l’éclosion du service public à des moments clef de notre histoire (Front Populaire, Libération). Attention tout de même à ne pas confondre entreprise « publique » ou « nationalisée » et entreprise de « service public ». Une entreprise peut-être publique sans avoir ce que l’on appelle la « contrainte de service public » (par exemple les banques publiques Crédit Lyonnais et BNP, nationalisées, n’avaient pas de contraintes de service public). De même que des entreprises privées peuvent passer des accords avec l’Etat ( des concessions) s’engageant par un « cahier de charges » à assurer un quota de services (les compagnies d’autoroutes)… mais peut-on véritablement parler à ce stade de service public ?. On peut donc voir que la notion de service public a été rendue « très élastique » par le système marchand. Et comme chacun sait… un élastique peut casser. … surtout si l’on tire trop dessus.

POURQUOI LE SERVICE PUBLIC EST-IL EN DANGER ?

Pour une raison qui découle tout simplement de ce qui vient d’être dit : le service public dans son principe « transgresse » le principe de fonctionnement du système marchand. Tant que la notion de service public a servi le système marchand, dans son développement, pour surmonter des crises ou pour satisfaire la plus grande masse afin de s’assurer la paix sociale, il a été accepté. Aujourd’hui, ces entreprises devenant rentables, ou en voie de l’être, il n’a plus, en tant que tel, d’intérêt pour le capital, sur le plan économique : pourquoi laisser de côté des secteurs qui peuvent s’avérer financièrement juteux, et sur le plan idéologique : ça donne de mauvaises habitudes aux « usagers » qui exigent un service constant et de qualité, et ce, indépendamment de contraintes gestionnaires. De plus, joue aujourd’hui en sa défaveur un choix politique et idéologique : le choix libéral qui fait que seul le marché peut réguler les fonctions de production des richesses et leur distribution. Le service public est donc déclaré hors jeu.

Porter atteinte au service public n’est cependant pas simple, et plus particulièrement en France, parce qu’il a été intégré dans notre « culture sociale », il est vécu, à juste titre, comme un « acquis » (voir l’article « ACQUIS SOCIAUX : RIEN N’EST JAMAIS ACQUIS ») ; il est vécu comme un élément essentiel de la justice sociale. Il faut donc le déconsidérer aux yeux de l’immense majorité des citoyens-nes. Pour cela plusieurs méthodes ont été développées par les gestionnaires du système :

 On déclare la main sur le cœur que l’on ne touchera pas au service public…c’est la Gauche qui a tenu ce discours, c’est même Juppé qui, en 95, avait même parlé d’un « service public à la française » ( ????)… et voulait même le citer dans le préambule de la Constitution… ce qui n’engage a rien (voyez le « droit au travail » qui y est)

 On ne dit rien mais on ouvre doucement le capital des entreprises de service public au capital privé en disant qu’il s’agit simplement d’une « question technique » (ben voyons !)… c’est la Gauche qui a utilisé le plus hypocritement cette méthode (on comprend pourquoi)…argumentation reprise aujourd’hui par le ministre de l’économie.

 La méthode la plus radicale et imparable : l’alibi de l’Europe. Alibi qui d’ailleurs n’est pas faux et qui consiste à dire : la France a ratifié démocratiquement le traité de Maastrich en 92, or ce traité stipule explicitement qu’il doit y avoir (non pas la suppression des services publics) mais l’ « ouverture à la concurrence » et au marché de tous les secteurs de la production de biens et de services, ce qui de manière détournée est la condamnation à mort du service public (demandez aux anglais !!!).

UNE DEFENSE DIFFICILE

La spécificité du service public implique que sa défense revête un caractère plus politique (au sens noble)… disons le mot « éthique », que simplement technique. C’est plus une conception du « rapport production-consommation » que l’on défend qu’une simple revendication sectorielle, voire corporatiste comme essaye de le faire croire ses adversaires. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, les forces politiques qui disent, parfois démagogiquement, défendre le service public, font exactement le contraire… quand elles sont au pouvoir. Le problème c’est que les grands syndicats de salariés s’en tiennent à des discours sans conséquence ou, ce qui est catastrophique, à une défense purement catégorielle, voire statutaire des agents de ces entreprises. Autrement dit le service public est actuellement seul devant ses détracteurs qui petit à petit le mettent en pièce.

Sa défense pose, ou repose, la question, de la structuration politique du mouvement social et ce aussi bien du point de vue de la défense des acquis, que de la forme des luttes et de la transition à assurer pour qu’une « autre monde soit possible » (voir les articles TRANSITION et DROIT DE GREVE ET SERVICE PUBLIC).

Le service public se réduit au rythme du développement de la mondialisation marchande, et de la rationalité du marché… décrétée comme seule forme de structuration sociale. Cette mise à mort est orchestrée à l’échelle internationale par l’Organisation Mondiale du Commerce qui met en place, avec l’accord de tous les Etats, l’ « Accord Général sur le Commerce et les Services ».

Messages

  • L’AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services) veut mettre à mal nos services publics mais tout n’est pas perdu. Il n’y a qu’à aller dans la rubrique AGCS de ce site (Dossiers/AGCS).
    L’europe n’est pas un alibi, c’est un acteur pur et dur. Mais il n’y a aucune fatalité. On a voté Maastricht mais il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Moi, j’ai changer d’avis. Pas d’europe, en tout cas, pas celle-là.

    Si 60 millions de français disaient "cette erurope là, on en veut pas", et bien Maastricht ou pas, cela changerait la donne. Je me marre bien de voir les Suisses existaient encore de nos jour. Je me marre parce qu’ils n’ont pas voté l’Europe et on prévoyait leur mort. Messieurs les Suisses, vous sentez vous donc morts ? Non ? Tant mieux. Cela prouve bien que l’europe, c’est pas forcément aussi necessaire qu’on nous le dit.