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Comment la finance a-t-elle désormais les moyens d’imposer sa dictature au monde entier ? (video)

Publie le mercredi 5 mars 2008 par Open-Publishing
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Dossier : les subprimes

Nos lecteurs savent que dans son livre, publié l’an dernier aux éditions du Sextant, Mais où va l’argent ? Marie-Louise Duboin rappelle les transformations, souvent obscures, qui a ont abouti à cette négation de la démocratie. Elle en tire un cri d’alarme contre ses dangers.

La crise dite des “subprimes” en est l’illustration.

Et comme cette crise est à l’origine d’un cataclysme, qui, même si on nous affirme le contraire, n’a pas fini d’avoir de lourdes conséquences sur l’économie réelle du monde entier, nous essayons, ci-dessous, d’en montrer les mécanismes, de deux façons : d’abord le plus simplement possible, puis à l’aide d’une vulgarisation imagée :

La crise des subprimes : de quoi s’agit-il ?

par M.-L. DUBOIN

Cette crise des subprimes est d’abord l’illustration de la liberté dont jouit n’importe quelle banque pour ouvrir des crédits comme bon (pour elle, bien sûr,) lui semble, et, en particulier, de la légèreté des banques américaines, qui sont à l’origine de cette crise, en matière de crédits fonciers. Elle est, ensuite, la conséquence de la liberté laissée aux banques de vendre les risques qu’elles ont pris, sous forme d’un “paquet de titres” si bien ficelé que l’acheteur ne peut pas savoir exactement ce qu’il achète. Enfin, elle est la preuve des difficultés qu’ont les banques centrales à maintenir la confiance dans le système bancaire. Et on va en découvrir peu à peu les conséquences dans l’économie réelle.

L’article de Frédéric Lordon, publié par Le Monde Diplomatique en septembre 2007, intitulé judicieusement Quand la finance prend le monde en otage, analyse bien cette progression, qui devrait pourtant interdire définitivement qu’on puisse faire confiance à la finance pour mener le monde.

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Au commencement était, après l’éclatement de la “bulle internet”, l’impératif pour les banques de trouver de nouveaux moyens de faire gonfler leurs capitaux. Leur choix se porta pour cela sur le secteur de l’immobilier. À cette fin, il fallait donner l’impression aux investisseurs que le marché immobilier était en hausse et allait le rester longtemps. Et pour cela, il fallait pousser de plus en plus les ménages américains à emprunter pour acheter leur maison en l’hypothéquant. Il leur fut facile, pour y parvenir, de jouer sur leur rêve de propriété.

Quand le “contingent” des emprunteurs “sains” fut épuisé, les démarcheurs sont allés séduire et convaincre des ménages moins fortunés. Comme le marché immobilier était ainsi maintenu florissant, ils ont pu faire croire aux acquéreurs potentiels, mais dont la solvabilité était douteuse, que s’ils avaient du mal à rembourser, ils pourraient toujours revendre leur maison avec une plus-value plus que suffisante.

Alors les banques sont allées plus loin, juqu’à inciter des ménages qui n’avaient ni emploi, ni autre revenu, ni aucun “actif” en garantie, à leur emprunter quand même pour acheter une maison dont elles ont, évidemment, pris l’hypothèque. Toutes les limites du risque ont ainsi été franchies.

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Mais les banques ont d’autres cordes à leurs arcs, car le risque est leur domaine. Elles ont mis au point le moyen pour elles de tirer aussi profit des risques qu’elles prennent en ouvrant des crédits. Ce truc consiste à refiler ces risques en en faisant des paquets bien ficelés : par un procédé dit de titrisation, elles regroupent plusieurs lignes de crédits en un seul “titre” qu’elles mettent en vente sur le marché des produits dérivés. Et quand des investisseurs achètent leurs titres, les voilà débarrassées de leurs crédits douteux : leurs acheteurs se les partagent !

Les raisons pour lesquelles des investisseurs achètent ces titres sont diverses. Il y a le fait que c’est le métier des “traders” de spéculer sur les risques, et qu’ils sont très nombreux ; à elle seule la Société Générale, par exemple, en a environ 4.000 qui opérent pour elle. Soulignons au passage que ces traders, qui changent constamment, sont comme les joueurs de jeux vidéo : ils ont tellement l’habitude de tirer sur tout ce qui bouge sur leurs écrans qu’on peut craindre qu’ils agissent ensuite de même dans la réalité, sans plus voir la différence avec leur fiction.

Notons au passage qu’à ce stade du montage financier le contact est totalement perdu entre les transactions opérées sur ces marchés et les réalités sous jacentes.

Or les choses se compliquent encore ensuite du fait que ces acheteurs vont eux-mêmes émettre de nouveaux titres, également négociables, et en mélangeant encore les divers crédits immobiliers. Ce mélange de titres n’est pas totalement le fruit du hasard, car certains paquets sont étiquetés plus risqués que d’autres par les agences de notation. Il y a, en gros, trois “tranches” : une relativement plus sûre, notée AAA, une tranche intermédiaire et puis celle que les marchés qualifient du terme anglais d’equity, ou plus franchement de “déchets toxiques”, qui contient les plus risqués des dérivés des titres les plus risqués émis initialement par les banques de l’immobilier. Plus c’est compliqué, plus c’est réservé aux initiés !

Or il y a des acheteurs qui se spécialisent dans les plus gros risques, précisément parce qu’ils sont réputés pouvoir rapporter plus. C’est la spécialité des “fonds pourris” (hedge funds en anglais) de les choisir précisément parce qu’ils sont moins chers à l’achat et que, puisque le marché immobilier est florissant, ils pensent pouvoir les revendre beaucoup plus cher. Ainsi pour eux ces déchets toxiques sont une mine d’or, qui leur font faire des profits faramineux. Et tant que les courtiers immobiliers continuent de recruter de nouveaux emprunteurs, les risques sont oubliés ! Et comme le prêteur immobilier peut se débarrasse de ses risques, il continue à recruter en ouvrant des crédits de plus en plus douteux.

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Une telle construction, tellement illusoire, est évidemment fragile. Il faut très peu pour que le doute s’installe. Par exemple, la plus petite augmentation du taux d’intérêt se traduit par des mensualités qui deviennent insupportables pour beaucoup d’emprunteurs, par la défaillance des plus dépourvus, et par plus de difficulté pour en trouver de nouveaux. Alors les prix de l’immobilier commencent à baisser, les emprunteurs s’aperçoivent que la plus-value qu’ils avaient espérée de la revente de leur bien s’est évanouie, et qu’ils vont même avoir du mal à le vendre.

Il a suffi qu’un, puis deux courtiers immobiliers américains soient ainsi amenés à mettre la clef sous la porte pour que les déchets toxiques se mettent à sentir mauvais. Et qu’on s’interroge sur la façon dont les paquets de titres ont été étiquetés par les agences de notation. Puis qu’on s’aperçoive que ces agences avaient surévalué les notes qu’elles mettent aux paquets de titres proposés par les institutions financières (qui les paient), pour avoir d’autres paquets à noter. Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette…

Alors le petit vent de panique se transforme en tempête sur toute la planète, car tout s’enchaîne vite du fait de la mondialisation et de la suppression de tout frein à la liberté de mouvements des capitaux. Dès qu’un acteur du marché tente de se dégager en vendant ses titres, le doute, puis la crainte, s’installent chez les autres. La liquidité qu’on croyait assurée se fige, puis très vite se gèle, et c’est la dégringolage des cours. L’inquiètude, qui concernait d’abord les titres les plus risqués, contamine aussi les autres tranches, même celles réputées les plus sûres. Alors non seulement tous les opérateurs veulent se débarrasser de leurs titres immobiliers, mais la panique gagne les autres secteurs financiers : la défaillance de l’immobilier entraîne celle de secteurs qui n’ont rien à voir, sinon que des excés tout aussi pendables s’y sont également commis.

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Ainsi les banques, qui avaient cru se débarrasser de leurs crédits immobiliers par le jeu de la titrisation, ont tout de même subi un retour de manivelle. Le risque hypothéquaire qu’elles avaient cru chasser par la porte est revenu par la fenêtre du fait qu’elles ont laissé leurs fonds de gestion se charger de produits dérivés.

Et le doute s’étant introduit sur la solidité de certaines d’entre elles, la méfiance entre les banques s’est installée, de sorte qu’il leur est devenu difficile de se refinancer sur le marché interbancaire et qu’elles ont du demander des liquidités à la Banque centrale. De plus leurs capitaux propres ont été réévalués à la baisse par les agences de notation, alors qu’elles doivent maintenir un taux de couverture (ratio de solvabilité de 8 %) entre leurs capitaux propres et leurs engagements de crédits. Elles ont donc été amenées à réduire leurs ouvertures de crédits, ce qui était pour elles un coup de frein, donc un manque à gagner.

La Banque centrale américaine, la Fed, est venue à leur secours : pour relancer leurs crédits, elle a baissé ses taux directeurs. C’était accepter de réparer les folies du système bancaire, donc l’encourager à en faire d’autres, tout aussi impunément.

Mais ce fut insuffisant. Pour l’économie réelle, alors même que ses acteurs n’ont rien à voir avec les turpitudes de la spéculation financière, une diminution du crédit c’est automatiquement la récession. Alors pour éviter cette catastrophe économique l’administration de G.W. Bush vient de décider de réinjecter la bagatelle d’une centaine de milliards de dollars dans l’économie américaine.

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Que les Banques centrales soutiennent le système bancaire, c’est leur affaire.

Mais que les gouvernements laissent aux banques la faculté d’ouvrir les crédits dans leur propre intérêt, qu’ils s’interdisent à eux-mêmes d’user de cette faculté au service de l’intérêt général, ce sont deux dénis de démocratie. Et le comble est atteint quand ils encouragent leurs abus en les cautionnant, car c’est mettre les États au service des banques.

Continuons donc à exiger le contraire.


UNE TRAGEDIE AMERICAINE OK

Dossier : les subprimes

Les banques et la viande hachée

par Jean-Louis

Faisons maintenant un parallèle avec une crise sanitaire :

Le règne des bulles

1) Le capitalisme financier actuel se fonde sur une création de bulles successives qui sont une augmentation très supérieure à « l’inflation » officielle des prix de certains trucs qu’on appelle des actifs.

2) Ces bulles sont elles-mêmes possibles et créées par la mise en place (depuis des décennies) d’un système monétaire et bancaire qui crée de la monnaie à gogo sur la base de rien de tangible. L’argent nouveau est créé « out of thin air » (à partir du vide) par les banques commerciales et les Banques centrales, dont la Banque Centrale Européenne (BCE) et la Réserve Fédérale américaine (Fed). Cet argent nouveau (qui accroît la masse monétaire) est créé par les crédits à intérêts faits par les banques. Comme les banques ne prêtent jamais l’argent nécessaire pour payer les intérêts, mais seulement le capital, les intérêts ne peuvent finalement être payés que par octroi de nouveaux prêts, et ainsi de suite. D’où la nécessité de « croissance » économique sans fin pour (tenter de) suivre la croissance monétaire encore plus énorme et sans fin. D’où aussi la croissance permanente de la dette publique qui est la conséquence directe de ce que les États ont donné les clés de la monnaie aux banques commerciales et centrales [1] et doivent donc, eux aussi, emprunter au privé pour les infrastructures publiques !

3) Pour que le système continue de marcher, c’est comme le vélo, il ne faut jamais s’arrêter. Mais c’est pire que le vélo, car il faut en plus que la vitesse s’accélère...

4) 1996-2000 : bulles boursière de la “Nouvelle Économie” et des “start-up” Internet. Les prix des actions augmentent (alimentés par des prêts d’argent frais qui vont faire monter les Bourses) jusqu’au moment où ça crève. Remède : la Fed et la BCE baissent leurs taux et arrosent l’économie et les marchés financiers d’argent frais... elles alimentent ainsi une nouvelle bulle mondiale, celle de l’immobilier.

5) les premiers acheteurs de maisons sont assez solvables et les prix encore bas. Tout va bien. Puis on remonte dans la liste des « scorings » ou critères d’attribution des prêts : acheteurs moins solvables et prix en hausse, donc crédits plus importants. ça passe encore. Pour que les banques retrouvent leurs billes, il ne faut surtout pas que les prix de l’immobilier baissent (principe du vélo), donc on va aller chercher les gens les moins solvables et leur faire miroiter la lune. Les prix de l’immobilier explosent, les loyers aussi, les « pauvres » -relatifs- se laissent convaincre et s’endettent à mort : 500.000 dollars de prêts sur 30 ans, l’achat est financé à 100 % par le prêt et à taux variables... ça finit par craquer (prêt subprimes).

6) Ces prêts subprimes sont le haut de la pyramide de dettes accumulées.

Les banques savent depuis le début que ces prêts sont vérolés et que bon nombre de gens ne pourront pas rembourser. Mais s’arrêter c’est tomber dans ce système délirant. L’astuce qu’elles utilisent toutes c’est de refourguer ce que les gens « subprimes » leur doivent à d’autres couillons, donc de diluer la merde.

Là démarre le parallèle avec une crise sanitaire organisée.

La viande hachée

L’industrie financière, depuis quelques années, fonctionne comme une fabrique de viande hachée contenant de la viande que certains savent avariée. Le but du jeu est de se débarrasser de la viande avariée avant la crise, comme dans le jeu du mistigri : passe à ton voisin [2] !

A•Le mécanisme général de diffusion de cette viande avariée s’appelle la “titrisation des dettes”, invention génialement dangereuse de la finance moderne. Ou comment continuer (un temps) à faire de l’argent en revendant des dettes ! ça diffuse les risques et ça pousse à en prendre toujours de plus grands... jusqu’au moment où ça éclate.

B• Les crédits subprimes sont la viande avariée. Les banques qui ont accordé ces crédits ultimes ont créé des usines à fabriquer de la viande hachée, pour mélanger habilement de la bonne viande (des crédits solvables) avec de la moins bonne et de la carrément mauvaise. ça s’appelle des SPV (Special Purpose Vehicles). À l’entrée, des prêts (des créances) de qualité donc variables, à la sortie des CDO, des Collaterized Debt Obligations ou « obligations adossées à des dettes ». On appelle ça l’industrie des “crédits dérivés”, en explosion ces dernières années. Bref à l’entrée on trouve de la viande correcte, du gras et de la viande avariée, à la sortie de la viande hachée revendue à d’autres : banques (eh oui !), villes [3], particuliers

C• Cette viande hachée contenant ici et là de la viande avariée à haut risque a été rachetée pour faire des steaks hachés et d’autres plats cuisinés divers. Les SICAV monétaires, dites dynamiques, de nos chères banques en ont ainsi utilisé (transformant une SICAV de bon père de famille en un chouia risqué). En se diffusant dans tout le système financier, la viande avariée est moins visible... mais elle est présente un peu partout.

D• Les clients subprimes ne peuvent plus rembourser à cause de la hausse des taux de la Fed et d’arnaques dans les contrats. On les fout dehors de leur maison, et le rêve éveillé se transforme en cauchemar. Plein de maisons sont à vendre, les prix chutent, les détenteurs des créances ne peuvent plus se payer sur la bête en revendant les maisons (que des villes comme Cleveland décident parfois de détruire [4] pour éviter les squats) !

E• Les crédits non remboursables (la viande avariée) ont été débités en tranche et fourgués dans le système. La panique s’installe. Les banques se rendent compte (elles le savaient en fait, chacune séparément !) que les autres banques ont fait pareil et que plein de produits financiers contiennent la merde. Méfiance réciproque. Plus d’achats. Les banques doivent couvrir des pertes de plus en plus importantes suite à la dépréciation de leurs actifs (ce qu’elles ont en portefeuille et qui contient la viande avariée, que du coup personne ne veut plus acheter, et donc valoriser, comme pour les poulets ou la vache folle à l’époque !).

F• Les banques ne se prêtent plus entre elles et elles ont besoin d’argent pour couvrir les pertes. Crise de liquidité (en août et aussi fin décembre 2007) : les Banques centrales injectent des centaines de milliards pour éviter une panique bancaire (déjà démarrée au Royaume-Uni : les gens affolés retirent leur pognon de la banque Northen Rock ... affaire toujours non réglée, cette banque doit 20 milliards de Livres à l’État anglais !!!) [5].

G• Nouvel épisode le 21 janvier 2008 : Pour refourguer leur viande hachée avariée, les SPV se sont appuyés sur des “rehausseurs de crédits” (AMBAC, MBIA) qui sont une sorte de garantie label rouge (pour poursuivre le parallèle) pour mieux vendre la viande en général aux clients. Mais, il y a quelques jours, on a appris que les rehausseurs de crédit américains sont aussi dans le caca et que leurs labels sont de moins bonne qualité (car eux-mêmes ont mangé de la viande avariée !). Grosse panique (d’où la chute boursière actuelle) car, du coup, ceux qui avaient reçu un label rouge et qui vendaient vraiment de la bonne viande se retrouvent en difficulté (méfiance qui s’accroît, emprunts plus durs pour eux, y compris pour des organismes publics devant investir dans des infrastructures publiques ou sociales utiles !).

Voilà comment le risque s’est diffusé et est sorti d’une sphère financière quasi virtuelle pour toucher « l’économie réelle »... Ce n’est pas nouveau dans le principe, seuls les outils et les ruses changent. Les banques et les marchés financiers s’en sont mis plein les poches depuis des années...

Deux risques principaux : faillites de banques et panique bancaire (le pire pour les particuliers, façon crise Argentine), et crise économique sévère (un peu type 1929) parce que le crédit sans fin sur lequel repose le capitalisme actuel risque de se réduire...

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[1] Indépendantes des États et de leurs gouvernements, d’après le traité Maastricht et le futur Traité dit simplifié.

[2] Lire à ce sujet l’excellent bouquin de Pierre Noël Giraud, Le commerce des promesses, Editions du Seuil,2001. http://econo.free.fr/scripts/printnote.php ?codenote=60

[3] Voir ce cas : http://fr.news.yahoo.com/afp/20080121/tbs-ban-imm-jur-gov-f41e315_1.html

[4] Voir : http://www.dailymotion.com/relevance/search/subprimes/video/x3gz7t_une-tragedie-americaine-ok_news

[5] Voir : http://www.liberation.fr/actualite/economie_terre/279396.FR.php


Dossier : les subprimes

http://pagesperso-orange.fr/grande.releve/index.html