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Assurance chômage, les recalculés ont fait céder le gouvernement

Publie le jeudi 6 mai 2004 par Open-Publishing

Le ministre de la Cohésion sociale, Jean-Louis Borloo, a annoncé la réintégration des plus de 800 000 chômeurs " recalculés " par la réforme de l’UNEDIC. Le MEDEF se réjouit de ne pas devoir financer cette mesure.

C’est une victoire énorme et incontestable pour les chômeurs et leurs organisations. Lundi soir, sur France 2, confirmant la rumeur qui courait depuis plusieurs jours, le ministre de la Cohésion sociale, Jean-Louis Borloo, a annoncé le rétablissement des droits de l’ensemble des chômeurs " recalculés ". Le 1er janvier dernier, en application de la convention signée en décembre 2002 par le patronat, la CFDT, la CFTC et la CGC, quelque 850 000 chômeurs du secteur privé, et des milliers d’autres de la fonction publique, ont vu leur durée d’indemnisation amputée de plusieurs mois. Depuis cette date, une bonne moitié d’entre eux ont déjà été éjectés du régime d’assurance chômage, pour basculer vers le RMI, l’ASS, ou rien du tout. L’autre moitié devait subir le même sort dans les mois qui viennent. Après l’annonce du gouvernement, c’est en moyenne sept mois d’allocation que chaque chômeur va récupérer ou ne pas perdre, selon les cas. Une somme substantielle, donc. " C’est une énorme victoire et cela nous permetde saluer toutes les chômeuses et tous les chômeurs qui se sont joints à notre mouvement et qui ont triomphé ce soir ", a déclaré François Desanti, porte-parole des comités de chômeurs CGT, tandis que l’APEIS a qualifié l’événement de " victoire sans précédent contre le MEDEF et ceux qui prônent le fatalisme face à l’ordre établi ". Agir contre le chômage s’est félicité que les chômeurs aient " finalement gagné contre les organisations syndicales ou patronales complices de ces amputations de droits ".

La position du conseil d’Etat

Outre le climat social et politique général, le gouvernement et les gestionnaires de l’UNEDIC ont dû se résoudre à prendre en compte une action qui aboutit au terme d’une bataille juridique entamée l’été dernier par les organisations de chômeurs - bataille sur laquelle peu de monde aurait parié à l’époque. Le 15 avril dernier, le tribunal de grande instance de Marseille a donné raison à 35 chômeurs qui contestaient le recalcul à la baisse de leurs droits, ouvrant ainsi une crise à l’UNEDIC. Cette décision laissait présager une déferlante de procès, puisque 2 000 chômeurs avaient déjà constitué des dossiers pour attaquer, et des milliers d’autres étaient incités à en faire autant. En parallèle est attendue pour vendredi prochain la position du Conseil d’État sur un recours des organisations de chômeurs contre l’agrément ministériel de la convention UNEDIC. Or l’annulation de cet agrément est quasiment acquise. Pour devancer cette double offensive, alors que l’action des " recalculés " était désormais visible et populaire, le patronat, les syndicats signataires de la convention et le gouvernement ont été contraints de céder et de revenir sur leur texte. Ébranlées par cette affaire et craignant un discrédit plus grand encore si elle traînait en longueur, la CFDT, la CFTC et la CGC elles-mêmes se sont mises à demander la réintégration des chômeurs qu’elles avaient contribué à exclure. Restait à déterminer qui allait financer cette mesure, évaluée à 2 milliards d’euros pour 2004 et 2005. Au terme de tractations intenses en fin de semaine dernière, l’intervention du gouvernement rétablit la justice pour les recalculés, mais fait la part belle au patronat, qui n’aura pas à mettre la main à la poche. L’État " aménagera sa créance sur l’UNEDIC de 1,2 milliard d’euros afin de permettre à celle-ci de faire face au surcoût entraîné par la réintégration ", a annoncé le ministre Borloo. La hausse des cotisations, réclamée par FO et la CGT depuis longtemps, et très récemment par la CFDT, la CFTC et la CGC, a été écartée, conformément aux voux du patronat. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, a ainsi pu se féliciter des mesures " intelligentes " annoncées par le gouvernement pour sortir de la crise de l’UNEDIC, en rappelant que le MEDEF avait jugé " inutile la réouverture d’une négociation dès lors que les syndicats cédaient à leur réflexe naturel consistant à demander une hausse des cotisations ". En renonçant à la dette de l’UNEDIC envers l’État, le gouvernement fait payer aux contribuables la réparation d’une mesure décidée par les gestionnaires de l’UNEDIC hors de tout contrôle démocratique. Il conforte aussi la politique de baisse systématique des cotisations imposée depuis vingt ans par le patronat dans le système d’assurance chômage : dès que le régime est en excédent, les employeurs et ses partenaires syndicaux décident une baisse des cotisations qui fragilise les finances et entraîne un retour rapide du déficit. Les mêmes " partenaires " prennent alors des mesures de réduction des droits des chômeurs, pour soi-disant " sauver " l’UNEDIC d’une crise qu’ils ont eux-mêmes provoquée. Les chômeurs financent ainsi la baisse du coût du travail. La convention de décembre 2002, aujourd’hui sur la sellette, s’inscrit dans ce schéma classique. Elle a été signée pour répondre au déficit creusé par la forte baisse des cotisations décidée en 2000, à une époque où le régime était très excédentaire.

Le gouvernement évacue la question

Par son intervention rapide avant la décision du Conseil d’État, le gouvernement solde l’affaire des recalculés et évite une remise en cause plus large de cette convention. " L’État prendra toutes dispositions permettant l’application de la convention, à la seule exception de l’article 10 " concernant les recalculés, a indiqué le ministère de la Cohésion sociale. Autrement dit, les autres mesures de réduction des droits contenues dans le texte et entrées en vigueur le 1er janvier 2003 continuent de s’appliquer (voir ci-contre). Les chômeurs de moins de cinquante ans sont par exemple indemnisés pendant vingt-trois mois maximum contre trente mois dans l’ancien règlement. Les plus de cinquante ans sont limités à trente-six mois contre quarante-cinq mois auparavant. Par ailleurs, le niveau de l’indemnisation reste faible, et seulement 40 % des chômeurs sont couverts par l’UNEDIC. Ce qui conduit la CGT et les organisations de chômeurs à rebondir sur la victoire des recalculés pour revendiquer une négociation plus large pour remettre à plat l’assurance chômage. Le gouvernement a évacué la question en indiquant qu’il " lancera le moment venu " - surtout pas tout de suite - un " dialogue approfondi avec les partenaires sociaux sur le système d’indemnisation du chômage dont la crise actuelle a montré certaines limites ". Les organisations de chômeurs, dont la légitimité a pourtant été consacrée dans la bataille des recalculés, ne semblent toujours pas figurer dans la liste des interlocuteurs. Par ailleurs, le gouvernement a indiqué que, dans le cadre de la " loi de mobilisation sur l’emploi et de cohésion sociale ", des moyens nouveaux seraient affectés autour d’un " suivi plus personnalisé des demandeurs d’emploi ". Il confirme donc la mise en ouvre de la réforme de l’ANPE prévue par Fillon pour instaurer un contrôle accru des chômeurs, et des sanctions en cas de refus d’emploi. Dans la même veine, le MEDEF est déjà reparti à l’offensive sur l’idée de contractualiser plus encore les rapports entre chômeur et ASSEDIC. Le devenir de la réforme de l’ASS, suspendue par Chirac après la claque des régionales, n’a en revanche pas été évoqué, pas plus que celui du RMA.

De nombreuses questions pratiques

L’intervention du gouvernement est donc loin de régler tous les problèmes. Elle soulève aussi de nombreuses questions pratiques : quand interviendra le remboursement des allocations supprimées ? Les chômeurs devront-ils rembourser les mois de RMI ou d’ASS perçus depuis janvier ? Pour de nombreux recalculés, la réintégration dans leurs droits va apporter une bouffée d’air, provisoire, sur le plan financier. Mais le gouvernement et les gestionnaires de l’UNEDIC ne sauraient s’en tirer à si bon compte. À Millau, l’association Halte à la précarisation annonce déjà qu’une trentaine de chômeurs de l’Aveyron maintiennent leur action en justice pour obtenir réparation au préjudice moral qu’ils ont subi. " D’accord, la réintégration est une très bonne nouvelle, mais depuis janvier, des gens ont perdu leur logement, ont été mis plus bas que terre, ont risqué leur vie dans des grèves de la faim, ont dû arrêter une formation, s’indigne Marie Catusse, porte-parole de l’association. Qui va réparer cette casse humaine ? On ne peut pas accepter d’être traités comme des Kleenex, prenez l’argent et fermez-la. Ça serait trop facile. On attend des excuses et la remise en cause totale de la convention. "

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-05-05/2004-05-05-393070