Accueil > Le sommet du blabla

Le sommet du blabla

Publie le vendredi 6 juin 2008 par Open-Publishing

Le sommet du blabla

par Ram ETWAREEA et Annie YEROMIAN

Le Sommet de Rome a accouché d’un catalogue de bonnes intentions sans réels moyens supplémentaires. Seule consolation : la gravité de la situation est reconnue.

Le Sommet de l’alimentation est terminé. Place à la gueule de bois. Personne ne verra la couleur des 30 milliards de dollars sollicités par l’ONU pour mettre fin à la crise alimentaire qui a donné lieu à des émeutes de la faim dans une trentaine de pays. Au grand dam de la FAO, la rencontre à Rome, du 3 juin au 5 juin, avec la participation d’une cinquantaine de chefs d’Etat et des dirigeants d’organisations internationales, a finalement pris l’allure d’un simple comité préparatoire pour le prochain G8 qui aura lieu, début juillet, au Japon. John Holmes, le coordinateur de la cellule spéciale sur la crise alimentaire de l’ONU et responsable des affaires humanitaires, n’a pas caché qu’un « cadre global d’actions » ne serait prêt que d’ici à la fin juin 2008.

A voir de près, la déclaration finale de Rome ressemble à un catalogue de bonnes intentions dont certaines sont réchauffées depuis plusieurs semaines. Il est vrai que certaines questions cruciales, comme les aides agricoles, ne pouvaient être résolues en trois jours, à Rome, alors que l’Organisation mondiale du commerce tente de trouver un consensus depuis 2001. L’allusion à la souveraineté alimentaire ou encore une agriculture de proximité socialement acceptable et écologiquement durable a été faite maintes fois pour justifier les subventions et le protectionnisme.

Un seul donateur s’est manifesté à Rome : la Banque islamique de développement. Elle a annoncé une enveloppe de 1,5 milliard de dollars sur cinq ans pour stimuler la production agricole dans les pays du Sud. La Banque mondiale a choisi de publier ses recommandations dans le Financial Times déjà la semaine derrière. Elle met à disposition une ligne de crédit d’un milliard et 200 millions de dons. Le Fonds pour l’agriculture et le développement a chiffré ses besoins à 5 milliards d’euros sur quatre à cinq ans, en espérant que des engagements financiers fermes seront pris par le G8 en juillet 2008. La FAO a repris une vieille annonce d’une initiative d’urgence de 17 millions de dollars.

Tous les discours ont condamné les subventions agricoles comme étant l’un des responsables de la crise alimentaire. Un récent rapport de l’OCDE évalue à 214 milliards les subventions accordées aux agriculteurs des pays membres en 2006 et recommande l’abolition de cette concurrence déloyale. Ce qui n’a pas empêché la délégation européenne d’affirmer que la Politique agricole commune, qui autorise des aides agricoles, était un instrument adéquat pour répondre aux signaux du marché en augmentant la production lorsque les prix augmentent. « La Politique agricole commune fait partie des solutions et pas du problème », s’est défendu la commissaire Mariann Fischer Boel.

Selon différents rapports, la production des biocarburants a fait augmenter les prix agricoles de 20 % à 30 %. Les deux principaux producteurs, le Brésil et les Etats-Unis, étaient à Rome pour défendre leur industrie. Mission accomplie, puisque la déclaration finale se limite à la mise en place d’un système d’évaluation, afin de mieux connaître l’impact des biocarburants sur la sécurité alimentaire. Le potentiel de cette source énergétique a été à peine évoqué.

Les délégués se sont interrogés sur la portée et la faisabilité de deux propositions. L’Italie a plaidé pour la création d’une banque contre la spéculation. « Il ne s’agit pas de demander de nouveaux fonds, mais considérer que ce que nous donnons est une contribution positive dans l’intérêt des pays pauvres », a dit le chef de la diplomatie italienne. Pour sa part, la Tunisie a proposé une taxe sur le pétrole pour lutter contre la crise alimentaire.

Le sommet s’est terminé par un large consensus. Face à la flambée des prix et au problème de la faim dans le monde, il faut une nouvelle révolution verte, notamment en Afrique. L’aide internationale et les pays concernés doivent aménager des infrastructures (irrigation, système de stockage, recherche sur des semences améliorées). Une hausse de la production est indispensable pour rééquilibrer l’offre et la demande mondiales.

Une centaine d’associations qui ont participé à un sommet alternatif à Rome ont exprimé leur déception d’avoir été marginalisées et exclues des décisions. Carin Smaller, de l’Institute for Agriculture and Trade Policy et animatrice du sommet alternatif, a noté le pessimisme ambiant au sujet du Cycle de Doha : « Les représentants des pays du Sud sont très cyniques au sujet des subventions défendues par les pays riches. » En Suisse, l’Union des paysans suisses et l’Alliance Sud ont estimé que le sommet a accouché d’une déclaration qui ne propose pas seulement le statu quo mais un pas en arrière : la libéralisation du commerce des produits agricoles ne résout pas le problème d’approvisionnement ou de pouvoir d’achat des consommateurs.

Ram ETWAREEA et Annie YEROMIAN

Le Temps

http://www.letemps.ch/

http://www.interet-general.info/article.php3?id_article=10978