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"JUSTICE" DE CLASSE

Publie le dimanche 23 mai 2004 par Open-Publishing


De : Patrick MIGNARD

C’est une expression que l’on n’ose plus utiliser et/ou dont on ne voit plus l’utilité et le sens tellement la machine à produire de la mystification a fonctionné et fonctionne. Comment pourrait-on douter de la justice dans le pays des Droits de l’Homme dont la devise est « Liberté, Egalité, Fraternité ».
Et pourtant... qui peut avoir confiance dans la Justice ?

La Justice, c’est comme la médecine ou l’économie : les premiers concernés, c’est-à-dire nous, le citoyen de base, sommes trop cons pour comprendre quelque chose et surtout pour émettre une opinion, voire la moindre critique : notre rôle est tout simple : supporter les décisions de ceux qui savent ;, les professionnels, les experts. Certes, le discours officiel nous place au centre, mais c’est pour mieux nous en exclure lorsque le « dysfonctionnement », la bavure apparaît et remet en question la fiabilité de l’institution, voire du système. Cette exclusion se fait au nom de la scientificité, de la technique, voire de vagues principes… dont seuls les experts sont les dépositaires. Notre statut de citoyen ne nous protège surtout pas, au contraire il nous oblige à nous soumettre.

Les faits son connus dans ce qu’il est convenu d’appeler le « scandale d’Outreau », cette affaire de pseudo réseau pédophile qui a brisé la vie de treize personnes et de leurs familles.

Que peut le citoyen devant un tel scandale ? S’il proteste, demande des comptes, s’indigne, on lui oppose immédiatement : sa vue partielle, voire partiale, de l’affaire, sa méconnaissance du dossier, sa subjectivité, sa précipitation, son manque de recul, son incompétence en matière judiciaire, les bonnes notes obtenues par les policiers, les magistrats, la contrainte des procédures, de la loi, le secret de l’instruction, …S’il insiste on lui oppose immédiatement des techniciens, des experts, des juristes, des criminologues, voire des psychologues (c’est très à la mode), qui le noient sous une argumentation « juridico-technique » et le font passer aux yeux de la majorité pour un « plouc », voire un -’fouille merde »… S’il persiste, ça peut-être l’« insulte à magistrat ». Autrement dit, le citoyen n’a strictement rien à dire… il ne peut que s’en remettre à ceux qui font la « pluie et le beau temps » en matière judiciaire sans jamais à avoir rendre de comptes. L’indignation du citoyen de base est immédiatement confisquée, aseptisée par le discours savant des « spécialistes », généralement complices du système, qui se répandent abondamment dans les médias. Voilà une conception démocratique de la Justice qui va réconcilier le citoyen avec les institutions dont il doute de plus en plus… on se demande d’ailleurs pourquoi.

« Il en a été toujours ainsi, une Justice pour les riches, les politiques, les notables et leurs serviteurs, et une Justice pour le reste de la population ». C’est vrai, mais la différence c’est qu’aujourd’hui tout se sait ou à peu prés, que l’information circule rapidement … et donc le scandale en est d’autant plus grand. Les princes (que les citoyens « responsables » ont élu) qui nous gouvernent peuvent de moins en moins agir impunément, mais ils ont toujours le pouvoir de nous faire taire, ou plutôt de faire en sorte que l’on ne soit pas entendu. La dictature c’est « ferme ta gueule », la démocratie c’est « cause toujours ! ».

Prenons le cas, tout à fait théorique bien sûr,… dans la même ou proche configuration, d’une ou des personnalité (de l’audiovisuel et/ou de la politique par exemple) mises en causes par des victimes. Les aurait-on incarcéré pendant trois ans.? Les aurait-on empêché de se confronter à leurs accusateurs ? Auraient-elles eu le droit de s’exprimer publiquement, à la télévision par exemple, pour nier les faits reprochés ? Ces personnalités présumées innocentes n’auraient certainement pas été persécutées… et c’est justice. Pourtant, c’est exactement le contraire qu’il s’est passé pour une boulangère, un chauffeur de taxi, un huissier de province, un prêtre ouvrier, un gardien d’immeuble, un peintre en bâtiment, un mécanicien, une infirmière,…… Comment expliquer cela ? Un dysfonctionnement ? Une erreur professionnelle ? C’est difficile à croire dans une institution aussi hiérarchisée. Une intention malveillante ? Certainement pas… quelle en serait la raison ?. Non, on retrouve là le souverain mépris, plutôt même une totale indifférence, à l’égard de celles et ceux qui « ne comptent pas » : viré du travail quand on n’en a plus besoin, mis en prison au moindre soupçon et pour satisfaire l’opinion publique conditionnée… C’est la même logique dans les deux cas.

On instruit à décharge pour la « France d’en haut » et à charge pour « la France d’en bas ». C’est bien la même « Justice », mais elle ne fonctionne pas de la même manière. La bureaucratie d’Etat, la classe politique qui bénéficient des privilèges que confère la possession du pouvoir se protège des lois qu’elle vote, elle en a le temps et le pouvoir… par contre elle applique toute la rigueur de la loi et des procédures à celles et ceux qui sont en son pouvoir.

En fait ce qui est privilégié dans tout cela c’est le système, dans sa globalité. On ne saurait donc s’arrêter à des « détails » … car tous ces scandales (disparus de Mourmelon, disparues de l’Yonne, affaire Alègre, affaire d’Orleau,… et toutes celles qui vont venir…) ne sont, pour les experts et politiques, que des « détails » fâcheux que l’on relativise aux yeux de l’opinion en les incluant dans des statistiques savantes pour bien montrer aux imbéciles que nous sommes, suivant la formule non moins imbécile,…qu’ils ne « sont que l’exception qui confirme la règle ». La souffrance individuelle, la souffrance limitée dans le champs social… autrement dit la souffrance silencieuse n’a aucun intérêt pour ces gens… cela dit, il est bon quelle s’exprime publiquement, à la fois pour faire peur… « ça peut vous arriver à vous aussi… » et pour montrer que la liberté d’expression existe… elle ne sert à rien mais elle existe… et là est l’essentiel pour sauver les apparences.

Cette souffrance, même si elle s’exprime violemment dans les médias est, de toute manière, éphémère, coincée entre entre un mariage princier et un match de football. Que retiendra-t-on de cela dans quelques semaines ?… rien. Et qui s’attardera sur ce cas ?… personne. Les vies brisées ne concernent que ces victimes de la Justice mais ne doivent en aucun cas troubler le sommeil des honnêtes citoyens…« qui n’ont rien à se reprocher »… pour le moment.

Il fut une époque où la « populace », comme disait alors la « France d’en haut » de l’époque, exigeait la libération d’innocents injustement arrêtés. C’était une époque barbare. Aujourd’hui nous sommes beaucoup plus civilisés et respectueux des droits de l’homme… ;nous laissons les innocents croupir en prison… en faisant « confiance à la Justice de notre pays ».

L’institution est organisée de telle manière, et les discours officiels la concernant sont tels, que l’on ne sait plus ce qui est du au dysfonctionnement, à l’incompétente professionnelle, à la pression politique ou à la magouille pure et simple. Dans tous les cas, le citoyen de base est grugé … on fait tout pour lui faire oublier, mais l’on n’oublie surtout pas de le remotiver pour qu’il aille massivement voter et reconduire ce système délétère… mais officiellement démocratique.

Il faut être bien naïf pour croire qu’au regard de l’Etat, des autorités publiques, notre existence ait une quelconque valeur. Le fonctionnement de la « Justice » est symptomatique de ce comme quoi nous sommes considérés. Jetés comme des malpropres quand notre force de travail n’a aucun intérêt au regard du système, notre besoin de soins n’est qu’un moyen de s’enrichir des labos, sans parler de l’alimentation qui nous fait bouffer n’importe quoi au grand bénéfice de l’industrie agro-alimentaire ou de la sécurité routière qui n’est qu’un moyen de percevoir« moralement » et « civiquement » une nouvelle taxe. . Comment se pourrait-il qu’un système qui instrumentalise à ce point l’être humain puisse avoir une conception de la Justice qui le respecte ? Poser la question c’est y répondre.