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LES AMBIGUITES DE L’ALTER MONDIALISATION

Publie le dimanche 30 mai 2004 par Open-Publishing
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par Patrick MIGNARD

Ce que l’on a pris pour habitude d’appeler l’ « antimondialisation » puis l’ « altermondialisation » est incontestablement devenu une mode. Il n’est qu’à voir comment dans les grandes messes altermondialistes, les bureaucraties politiques, de droite comme de gauche, se précipitent pour jouer des coudes devant les médias complaisants. Chacun s’y retrouve, du révolutionnaire au nationaliste, du militant révolutionnaire sincère au bureaucrate politique (de droite comme de gauche) qui n’hésite pas à gérer le système marchand quand il est au pouvoir.

Quel est le fondement de la réalité de ce mouvement et qu’exprime t-il réellement au delà des discours de circonstance et des prises de positions souvent opportunistes ?

LA MONDIALISATION, SACHONS DE QUOI ON PARLE EXACTEMENT ?

La mondialisation phénomène nouveau ? Non. Dés le 19e siècle et même avant, durant l’émergence du système marchand, les grands centres marchands, on dirait aujourd’hui les grandes puissances, ont toutes mis à contribution le reste du monde pour développer leurs activités économiques. C’est cette activité qui, matériellement, mais aussi mentalement, a permis de dépasser la conception étriquée qui dominait au Moyen Age.

Cela dit, les conditions de la production, des échanges, les moyens de transport et de communication étaient bien évidemment sans commune mesure avec ce qu’ils sont aujourd’hui. Les conditions politiques de la domination étaient différentes, et si l’on peut qualifier l’époque de la colonisation de « mondialisation », elle n’était ni de la même nature, ni de la même ampleur que ce que nous connaissons aujourd’hui.

Ce qui va faire de la mondialisation le phénomène important et déterminant que nous connaissons aujourd’hui, c’est l’évolution des conditions de développement du système marchand. Celle-ci présente plusieurs caractéristiques :

le système marchand devient dominant progressivement à l’échelle de la planète, détruisant au passage toutes les formes économiques sociales et politiques locales .
toutes les ressources de la planète sont mobilisées pour la production marchande à partir des « pays développés »
le développement des moyens de transport et de communication permet une gestion mondialisée de l’entreprise : de l’entreprise locale, on passe à la multinationale puis, à la transnationale... Relativisation du pouvoir des Etats-Nation.
parallèlement à tout ça, la valorisation du capital ne se fait plus simplement à partir de la production-vente mais de plus en plus massivement par spéculation financière... une partie de plus en plus importante du capital n’a plus besoin, pour se valoriser, de s’appuyer sur une stratégie industrielle et commerciale, mais simplement sur une stratégie financière : il se place non pas en fonction de ce qui se produit, mais de ce que ça rapporte.

La mondialisation que nous connaissons aujourd’hui n’est donc pas une quelconque aberration du système marchand ou une de ses dérives, mais le prolongement « logique », disont le mot « rationnel » de son développement. C’est ce qui explique qu’il y a incontestablement, indépendamment de ce que l’on peut en penser, une cohérence et une logique dans le discours et les pratiques des « puissants de la planète ».

AUX SOURCES DE L’ALTER MONDIALISATION ET DE SES AMBIGUITES

On comprendra que, comme la mondialisation, l’altermondialisation n’est pas nouvelle. Elle plonge ses racines dans la critique et la contestation du système marchand. Ainsi dans les mouvements pacifistes du début du 20e siècle (contre la 1er Guerre Mondiale) se retrouvent logiquement celles et ceux qui critiquent le système marchand, au nom d’un nouveau système devant « apporter le bonheur à l’humanité ». De même dans les luttes anticoloniales et anti impérialistes se retrouvent celles et ceux qui revendiquent une filiation avec leurs prédécesseurs militant pour un nouveau système économique et politique.

L’époque actuelle ne fait pas exception et l’on retrouve dans ce mouvement des hommes et des femmes qui, scandalisé-es par les excès et les conséquences du fonctionnement du système actuel veulent... faire « quelque chose » pour que ça change.

C’est ce « quelque chose » qui fait problème. En effet, on peut s’engager dans l’altermondialisation de différentes manières, un peu d’ailleurs comme on peut s’engager dans le pacifisme ou l’anticolonialisme de différentes manières

Cette différence on la retrouve dans la manière dont on qualifie la mondialisation.

Le terme qui est couramment retenu est : « la mondialisation libérale ou néo libérale ». Quel est le sens de ce terme ? Il est fait référence à la manière dont l’économie mondialisée est considérée par les Etats, c’est à dire est déploré le fait que les Etats « laissent faire » le marché. Il n’est absolument pas fait allusion à une quelconque remise en question du « caractère marchand » de l’économie mondialisée.

« Mondialisation marchande » et/ou « mondialisation libérale » ? Certains y verront là une querelle de mots. Pas du tout. Ce sont des réalités totalement différentes. Dans le premier terme il s’agit du principe même de l’économie de marché, c’est à dire du « salariat », avec toutes les implications que cela entraîne au niveau de l’instrumentalisation des individus. Dans le second terme, il s’agit simplement d’un « mode de gestion » de l’économie de marché. On comprend dés lors pourquoi on retrouve dans des manifestations « anti/inter mondialisation libérale » des politiciens parfaitement à l’aise dans la gestion du système marchand quand ils sont au pouvoir... n’a-t-on d’ailleurs pas vu à Porto Alègre des ministres du gouvernement Raffarin et qui n’hésitaient pas à causer de « contrôle » de la mondialisation. ?

Ainsi, aujourd’hui, la dérive est totale. On fait du mouvement altermondialisation l’instrument politique d’une refonte de la gestion du système marchand et ce à l’échelle internationale. On peut imaginer ce que ça va donner.

§ Nous avons vu que « mondialisation marchande » et « mondialisation libérale ou néo libérale » ne signifiaient absolument pas la même chose. La critique de la mondialisation libérale ne remet pas fondamentalement en cause le caractère marchand du système économique mondial. Donc, le choix de la lutte contre la mondialisation libérale est un choix politique stratégique bien précis qui a sa logique et ses limites.

MONDIALISATION ET LIBERALISME

Le libéralisme est un théorie économique qui privilégie les mécanismes de marché en vue de l’affectation des ressources, de la distribution des richesses et du rétablissement des équilibres en cas de déséquilibres sur les marchés (des biens et services, du travail et des capitaux). Autrement dit, la vie économique doit dépendre, non pas de décisions politiques, humaines, citoyennes mais des mécanismes du marché : la loi de l’offre et de la demande, la rareté, l’abondance, les parités entre monnaies,... C’est effectivement la conception qui a la préférence de la part du Fond Monétaire International (FMI) et de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), qui, avec l’accord des Etats membres, mettent en pratique cette conception.

Que serait à contrario une mondialisation qui ne serait pas libérale ? Ce serait une mondialisation dans laquelle les Etats-nation interviendraient par des politiques spécifiques, en fonction de leurs intérêts. Concrètement ils pourraient avoir des politiques douanières, des politiques monétaires, une gestion des taux d’intérêts, un contrôle des changes, de la circulation des capitaux,... bref tout ce qui fait une politique économique interventionniste... keynésienne ou néo keynésienne diraient certains.

Il est évident qu’à l’échelle internationale, les Etats ont fait le choix du libéralisme. C’est un choix politique. Ils ont fait le choix de « déconnecter » les mécanismes économiques de la volonté humaine, du moins en grande partie. Ce choix explique donc que toute tentative d’intrusion politique, toute mesure de réglementation ou autre intervention est vécue comme une gène, une entrave au « libre fonctionnement du marché »... c’est pour cela que l’on parle de « dérèglementation » et de « libéralisation » des investissements et des échanges.

Il faut tout de même reconnaître que le développement mondial du système marchand a dépassé le cadre des Etats, et même a fait des Etats-nation (création du 19e siècle et correspondant à une valorisation du capital, essentiellement nationale) une réalité politique de plus en plus obsolète au regard du système mondial... il n’est qu’à voir comment la construction européenne a balayé les vielles conceptions nationales. En effet les exigences mondialistes de la valorisation du capital coïncident de moins en moins avec les compétences limitées des Etats nationaux. Or, les Etats étant les garants des intérêts du système marchand, ils se sont peu à peu dépouillés de leurs prérogatives et ont accepté les exigences « du marché ».

OU LE POLITIQUE REVIENT AU GALOP

Cette situation est problématique et ceci est du à la nature du système marchand. En effet, si le système marchand répondait à l’ensemble des besoins de l’humanité, se déroulait dans un développement harmonieux des différentes parties du monde, garantissait à chacune et chacun la satisfaction de ses besoins et était respectueux de l’environnement, il y aurait probablement peu de problèmes... or ce n’est pas le cas et c’est même le contraire.

D’autre part, si le système marchand fonctionne de plus en plus à l’échelle mondiale, les systèmes politiques, la citoyenneté fonctionnent, eux, toujours dans un cadre national. L’expression citoyenne qui, dans une démocratie représentative, se matérialise et fonde le pouvoir des élu-e-s, est largement dépassée par le cadre mondial de la valorisation du capital. Autrement dit la dynamique mondiale du système échappe aux citoyens. L’Etat-nation « perd de sa substance » au point d’avoir de moins en moins d’influence sur le fonctionnement du système... ce qui veut dire donc que la citoyenneté est, peu à peu, vidée de son sens.

Le développement du système marchand représente donc un danger, mais alors se pose la question qui fait clivage : que faut-il faire ? A cela plusieurs niveaux de réponse :

1- il faut retourner à l’Etat nation qui préserve le contrôle sur l’économique... c’est la vison nationale, nationaliste ou nationalitaire

2- il faut instaurer un contrôle sur la mondialisation, il faut la maîtriser... en imposant des taxes, des règlements, autrement dit passer du libéralisme à l’interventionnisme. Oui à la mondialisation, mais pas libérale.

3- la mondialisation marchande n’est que l’aboutissement ultime du système marchand, elle est incontrôlable, il faut changer la logique du fonctionnement économique en dépassant le cadre marchand.

Passons rapidement sur la première conception qui est condamnée historiquement ne serait ce que parce qu’un système ne laisse pas subsister des structures qui lui font obstacle.

La seconde conception recouvre tout un tas de tendances. C’est une espèce de « soupe aux idées » qui va, en quelque sorte, de « on fait pas grand chose » jusqu’à « on fait beaucoup ». On y retrouve tous les réformistes, réformateurs, spécialistes du changement, du changement dans la continuité et de la continuité sans changement. Il suffit de voir la diversité inouïe de celles et ceux acteurs politiques qui se pressent dans les grandes messes médiatiques... on y trouve même parfois certains de la conception précédente. Le système marchand n’étant pas remis en question... tout ce petit monde se retrouve, chacun avec sa recette.

Enfin la troisième tendance a beaucoup moins la côte chez les politiques et les médias. Elle considère que le système marchand a fait son temps (comme les autres systèmes dans l’Histoire) et qu’il est tant de passer à autre chose.

COMMENT S’Y RETROUVER ? QUELQUES POINTS DE REPERE

Deux questions centrales sont posées, dont la réponse n’est pas simple :

D’abord se pose le problème du système marchand : est-il un système transitoire ou est-il le summum, la fin de l’organisation sociale ? L’Histoire et les contradictions de ce système me font penser pour un caractère transitoire, j’ai des arguments mais pas définitifs pour emporter la décision, pas plus que celles et ceux qui me contestent... c’est une affaire d’opinion, pas de démonstration stricte . La réponse n’est pas simple parce qu’elle ne pas être l’objet d’une démonstration rigoureuse. L’économie n’est pas une science exacte, l’histoire non plus. C’est un débat fondamental à avoir collectivement... de sa réponse dépend notre avenir. Car il est évident que si le système marchand existe le monde est une marchandise et ne peut-être qu’une marchandise. Bien entendu aucune organisation politique n’est capable, non seulement de le mener (ce débat) mais encore de simplement le poser.

Ensuite, dans l’hypothèse, qui est celle de la plupart des courants altermondialistes où le système marchand est et demeure, se pose la question de : est-il maîtrisable et l’Etat-nation peut-il être l’instrument de cette maîtrise ?

Le caractère maîtrisable est posé comme un axiome, sinon on revient à la question précédente. Problème « comment ? » Là toutes les solutions sont possibles et proposées, mais demeure tout de même la question de « qui a l’autorité pour appliquer ces mesures assurant la maîtrise ». Il est évident que ce ne peuvent être que les Etats nationaux, mais alors se pose la question, nous l’avons vu, de leur perte (volontaire) de pouvoir au profit du FMI et de l’OMC, mais aussi du choix qu’ils ont délibérément fait de l’abandon de ce pouvoir au profit d’une vision libérale du fonctionnement du système. On aboutit ainsi à une contradiction qui est d’autant plus indépassable que se mêlent à ces débats des politiciens qui tiennent un double discours : ils sont pour le contrôle quand ils n’ont pas le pouvoir, mais font du libéralisme quand ils l’ont. Résultat : rien ne se fait, les conférences internationales ne décident de rien, elles ne sont que des « défilés de mode » pour les différentes organisations qui y participent.

Ainsi, le manque de rigueur d’analyse du système marchand et les compromis politiques aboutissent à une véritable stagnation de la pensée et de l’action. Et pendant tout ce temps, les multinationales et transnationales prospèrent, licencient, accumulent les profits et détruisent en toute impunité l’environnement.

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