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LE FORUM SOCIAL EUROPEEN DE MALMOE

Publie le vendredi 19 septembre 2008 par Open-Publishing

Les grands media étant totalement silencieux, les reportages faits par la délégation des Alternatifs composée d’une quinzaine de participant-e-s peux vous donner leurs impressions sur cet important rassemblement altermondialiste

Les Alternatifs au Forum Social Européen 2008 (Malmö)

Triste nordique

L’ouverture du 5eme Forum Social Européen s’est fait sous un ciel triste et gris. Une bien petite foule réunie dans le Folketspark a suivi une série d’interventions sur les 10 axes qui seront déclinés durant les 5 jours du forum :

- les services publics et le bien commun ;
- l’écologie (du climat à la souveraineté alimentaire) ;
- une Europe ouverte et égalitaire ;
- le féminisme et les questions de discriminations ;
- la Paix ;
- les droits sociaux ;
- les alternatives économiques ;
- la culture, l’éducation et les médias ;
- le racisme et les droits des immigrés ;
- les mouvements sociaux.

Pour l’instant, l’ambiance dans la ville est un peu étrange ; elle semble vivre à son rythme normal, comme s’il n’y avait pas de forum. Pourtant, on croise à chaque coin de rue, des figures européennes de l’altermondialisme.
Le forum commence très progressivement et le faible nombre d’inscrits (seulement 6 000) n’inquiète pas outre mesure le comité d’organisation nordique, persuadé que les suédois et les danois viendront en nombre durant le week end.

Durant les réunions préparatoires, l’annonce du nombre réduit de salles disponibles avait inquiété tous les organisateurs européens. Cette situation avait entraîné un gros travail de fusion des propositions d’ateliers.
Cependant, à la lecture d’un programme bien plus réduit que lors des autres forums, on retrouve bien toutes les thématiques altermondialistes.
On en est pour l’instant à la spéculation ; nous verrons dès demain ce qu’il en est de la teneur et de la qualité des débats.

Après un long voyage en voiture depuis Paris (empreinte écologique oblige), notre délégation a pris ses marques aujourd’hui à la fois dans la ville et dans le forum.

Nous avons épluché le programme et nous nous sommes répartis la participation aux ateliers en essayant de couvrir les thématiques les plus chères aux alternatifs.

Välkommen till det femte Europeiska Sociala Forumet i Malmö !

Nathalie et Mathieu

Brochette d’ateliers

Des petits morceaux croustillant aux gros morceaux qu’il faudra doucement digérer.

ASSEMBLEE GENERALE DES PRECAIRES (chômeurs, travailleurs pauvres.)

C’était la première étape de trois réunions prévues sur ce thème.
L’essentiel fut le constat que l’offensive contre les chômeurs et les travailleurs pauvres du capitalisme est européenne. Que ce soit la destruction de tous les acquis des chômeurs, la diminution des allocations ou les conditions de leur maintien (radiations en séries), le combat est quotidien partout. Il est envisagé de faire (ou d’alimenter) un site (ou une revue) avec un comparatif des statuts existants en Europe afin d’être un outil de prise de conscience des exclus qui, pris la “ tête dans le guidon“ de leur difficulté, ne s’engagent pas dans la lutte, ne militent pas ou peu.

Le deuxième sujet abordé fut le projet d’une marche européenne se concluant le 17/10/2010, année de « l’Europe contre la pauvreté ». Le délai de préparation (1 an et demi) et le décalage avec l’urgence de la situation qui s’aggrave, font que ce dernier point sera l’objet d’autres discussions. Cette proposition vient d’un mouvement de chômeurs belges et elle est liée à la présidence belge de l’Union Européenne. Cette manifestation devrait se terminer à Bruxelles.
Encore deux plénière et nous verrons.

Alain

Une mayonnaise turquo-belge

« Lutte contre les organismes génétiquement modifiés en Turquie + Privatisation du rail. »
L’intitulé même de l’atelier est un peu surprenant ; c’est l’un des fruits étranges du travail de fusion des trop nombreux ateliers proposés. Ici, la solution retenue était de partager en deux temps une même salle … ce qui ne s’est pas fait. Cet atelier n’a en effet pas échappé à la grande tradition de la première journée de forum (réunions annulées ; déplacées ; absence de traduction, voire des intervenants …). Après avoir attendu vainement les intervenants pendant une heure, les participants ont décidé d’auto-organiser la discussion ; débat compliqué car la moitié des participants venaient parler de la privatisation des rails belges et allemands et l’autre moitié de la lutte contre les OGM dans les différents pays d’Europe.
Etrangement, ce mélange de deux débats a semblé fonctionner jusqu’à l’arrivée des intervenants belges sur la question du rail qui, du coup, ont fait retomber cette curieuse mayonnaise belgo-turque.
Une petite magie altermondialiste, où l’envie d’échanger et de travailler ensemble compte plus que la composition de la tribune.

Mathieu

De la charte pour une autre Europe à la Démocratie

Depuis les victoires françaises et néerlandaises du non au TCE, un réseau s’est constitué autour d’un projet alternatif de charte pour une autre Europe. Les Alternatifs, Refondazione, la GUE, ATTAC Allemagne et ATTAC France, la fondation Copernic, ou de grosses centrales syndicales … ont participé à la rédaction de cette charte. C’est dans cette dynamique qu’une réunion pour Construire des Institutions démocratiques pour l’Europe était organisée.

Il était amusant de voir le contraste entre les députés européens présents défendre une mobilisation pour redonner au parlement ses pleins pouvoirs démocratiques, et les représentants des associations (ATTAC, ARCI) exiger la création de nouveaux espaces publics de démocratie.
Le débat était passionnant. Il a permis d’aborder la démocratisation des institutions en Europe, sujet important rarement approfondi lors des forums.

Nathalie

Travailleurs migrants sans papiers : le point de vue des syndicats

Cet atelier a d’abord présenté la situation des travailleurs agricoles qui a fait l’objet d’une enquête approfondie par les syndicats (voir les sites de l’EFFAT ou agri-info.eu). Des brochures en 17 langues sont distribuées aux migrants à leur entrée aux frontières. Un syndicaliste souligne que la libéralisation qui fait perdre les protections sociales d’abord aux migrants tend à tirer les droits de tous vers le bas et donc la lutte pour les droits des migrants est la lutte pour la défense des droits de chacun. Une syndicaliste de le CGIL italienne présente la situation de l’immigration de travailleurs dans la Péninsule.
Des quotas de travailleurs migrants sont fixés ; ceux-ci bien inférieurs aux besoins créent les travailleurs sans papiers avec la complicité du gouvernement et des patrons. Les nouvelles lois répressives contre les migrants font souvent passer des travailleurs légaux dans l’illégalité et la complexité des 45 types de contrats de travail peuvent conduire aussi à cette situation. L’intervenante conclue par demander le droit de vote des étrangers pour permettre une amélioration de leurs droits.
Le débat a insisté sur l’importance des sans papiers en Europe (12 millions recensés par les syndicats quand l’UE n’en compte que 9). Serge Guichard du PCF dit que le but recherché est de maintenir les travailleurs dans la peur en régularisant au cas par cas et en liant le statut des migrants au patron via le contrat de travail. Cette expérimentation sur le dos des migrants sera élargie à tous et donc le combat pour les droits des migrants est aussi le combat pour tous les travailleurs.

Gilles

Médias

On en est resté baba !
Nous étions revenus de l’ouverture du forum un peu dépités : ciel gris, pas énormément de monde et ambiance morose.
Les médias suédois n’ont pas vu la même chose.
Södra innesrtads tidningen fait sa Une et un dossier de six pages enthousiaste sur « le forum au 20 000 participants » qui va « mettre Malmö au centre du monde ». Il propose même un plan de la ville avec les sites du forum pour permettre à ses lecteurs de suivre au mieux l’évênement.
Dans Grön Stad , outre la Une, la double page ”actualité” est consacrée au FSE avec de troublantes photos de participants au soleil.
Mais où ont-ils trouvé ce soleil ?
Sydsvenskan aussi a fait la une et les pages actu sur le forum, avec des visages radieux de militants venus de toutes la planète (les photos sont prises de nuits. Pas de ciels gris ici !).
Skanska Dafibladet publie un double page avec photos ensoleillées et participants flânant au soleil ou assis au sol, dans un parc, à improviser un débat. Tout cela fait vivant, joyeux, avec des participants en nombre et au soleil.
Commentaire de Jean-Marie, regardant le journal par-dessus mon épaule : « Pour la météo, ils mentent ». Peut-être avons-nous été trop négatifs hier, dans notre compte-rendu… En tout cas, le coup de pouce à l’altermondialisme et aux mouvements sociaux suédois dans la presse locale est clairement une réussite.

Mathieu

Pour une nouvelle politique agricole et alimentaire

Là encore, ce « séminaire » est issu de la fusions d’ateliers proposés par divers organisateurs. On retrouve Via Campesina Europe, la Plate Forme Européenne pour la souveraineté alimentaire, différentes ATTAC,
FIAN, des ONG diverses… et Rouge & Vert. A l’origine, on avait proposé un atelier avec d’autres forces politiques alternatives européennes (Synapismos, Rouge et Vert Danois) et Via Campesina Europe sur les
élections politiques européennes…

La réunion commence par un très long historique sur la PAC…

Ibrahim Coulibaly, un des responsables des organisations paysannes maliennes, recadre le débat sur la nécessité d’une politique agricole pour développer l’agriculture locale, sans cacher les contradictions
entre monde rural et populations urbaines plutôt friandes d’alimentation importée à bas prix et fait le parallèle avec la politique agricole européenne ( ce qu’elle pourrait être et ce qu’elle ne devrait pas être,
en particulier exporter des commodités à bas prix).
Pour lui, si le Gouvernement a inscrit la Souveraineté alimentaire dans la loi agricole cela a sans aucun doute aidé à prendre des décisions d’urgence devant la crise alimentaire du début 2008 : subventions pour les riziculteurs et protection par rapport aux importations. Du coup la production de riz local a bondi, amortissant localement le triplement du prix sur le marché international. Preuve que la sécurité alimentaire ne passe pas par le marché mondial.

Au nom de Rouge & Vert, je propose de revoir les objectifs fondamentaux de la PAC, pour promouvoir une Politique Agricole et Alimentaire Européenne basée sur la Souveraineté Alimentaire : c’est le moment où jamais ! Les crises alimentaires, financières, écologiques… L’OMC en jachère… Le débat qui demarre sur la PAC après 2013… Les élections européennes sont une occasion pour changer les fondamentaux. Les diverses listes se réclamant de la gauche ou de l’écologie dans les différents pays membres pourraient sans doute inscrire quelques principes communs dans leurs programmes : procurer une alimentation saine, équilibrée pour toutes et tous ; promouvoir l’emploi en agriculture et le développement rural ; une agriculture respectueuse de l’environnement et de la diversité des écosystèmes ; pour une réelle coopération internationale.

Cela ne suffira évidemment pas ! Pour que ces principes se traduisent dans la réalité, les mobilisations sociales seront bien sûr indispensables. Et aussi poursuivre les débats sur les outils à mettre en œuvre. Mais cela permettrait au moins de casser le consensus apparent à Bruxelles et à Strasbourg.
Les expérimentations locales (AMAP, associations d’échanges et de sauvegarde de semences paysannes, les associations foncières…) ne sont pas aidées par la PAC, et même souvent bloquées par l’UE, comme par exemple les contrats d’approvisionnement local en bio des cantines scolaires, illégaux selon les règles de « la libre concurrence ».

Josie Riffaud, de la Confédération Paysanne, suggère de poursuivre le Forum Social pour la Souveraineté alimentaire initié début 2007 à Nyéléni au Mali, pour échanger les expériences locales en Europe, et définir les politiques qui pourraient permettre leur multiplication…
Un agriculteur Suisse insiste sur la nécessité de mener de front ces niveaux de mobilisation : agir politiquement, nationalement et au niveau de l’UE, pour une autre politique agricole et de l’alimentation ; agir au niveau des organisations agricoles, notamment avec Via Campesina Europe ; promouvoir localement les expériences allant dans le sens de la souveraineté alimentaire. De nombreux témoignages ont montré que ces expériences étaient extrêmement nombreuses dans plein de pays européens, sur le mode « agir localement, penser global ».
Donc, on retient le projet de forum “souveraineté alimentaire” en Europe pour prolonger Nyéléni. En revanche, la methode pour influer les programmes des différentes listes aux élections européennes n’est pas encore trouvée : peut-etre cet après-midi a l’assemblée sur la souveraineté alimentaire ?

Emile

Le fond et la forme

L’intitulé de cette réunion était riche en promesses d’échanges sur la démocratie radicalisée, voire l’Autogestion : “Démocratie participative et démocratie délibérative”. Grâce à un dispositif typiquement archaïque (une parole doctorale provenant de la chaire, intervention dans un sens unique – de la tribune à la salle-) pour évoquer la démocratie directe et Porto Alegre, le séminaire s’est révélé … particulièrement chiant.

Nathalie

Choses vues dans des couloirs

« J’ai perdu les Russes ». C’est une militante des droits des Tchétchènes – et traductrice français-russe - qui se lamente. « j’ai perdu les Russes et on devait avoir un débat ce matin ».

Annie Pourre (No Vox) est à la recherche d’une réunion sur le chômage. Elle est de mauvaise humeur : « ils nous ont mis dans des locaux à 6 kilomètres du forum, sans fléchage. » Elle ajoute : « En plus, quand je suis sortie fumer ma clope, au milieu du débat que j’animais, la porte coupe-feu s’est refermée, je n’ai jamais pu re-rentrer ».

Jean-Marie est mécontent : je suis allé à un débat sur les mouvements sociaux, c’était en anglais sans traduction parce qu’on est tous supposés parler anglais.

Thomas est mécontent : je suis allé au débat sur les médias. C’était en espagnol parce qu’ils considéraient qu’on parle tous espagnol.

Grégoire, de Babels (le réseau de traducteurs bénévoles qui permet à ses forums d’exister) est mécontent : « il nous manque encore 150 traducteurs ».

Un militant belge est fatigué : je suis allé suivre un débat à Pildammsparken, mais il avait été déplacé à Rosengard, à l’autre bout du forum. Quand je suis arrivé, il n’y avait pas de débat, car tous les intervenants étaient allés Pildammsparken. J’y suis retourné pour les rencontrés mais je suis arrivé trop tard. Cette après-midi, rebelote : je vais à un débat à Rosengard. Je commence à être épuisé.

Une jeune femme à son voisin : « Dis encore une fois qu’on a de la chance parce qu’il pourrait pleuvoir et je te plante là ».

Passe un groupe de russe l’air un peu perdu.

Mathieu

Autodéfense

Cela peut sembler incroyable, mais nous avions décidé d’aller suivre un séminaire intitulé “Islam politique, mondialisation, droits des femmes et conflit international”… jusqu’à l’annonce que les intervenants, suédois et turcs, ne seraient pas traduits ! Changement de cap : “Ne pas se laisser faire ! Auto-défense féministe”.

Réticentes pour des raisons différentes, l’atelier fut une expérience enrichissante et même plaisante pour toutes les deux. Imaginez d’une part, une non-violente qui se plaît à frapper aussi fort qu’elle peut et d’autre part, une jeune militante convaincue que la cause féministe ne peut pas seulement être abordée entre femmes remercier les animatrices d’atelier d’en avoir exclu les hommes !

L’atelier rassemblait donc une cinquantaine de femmes dont la moyenne d’âge avoisinait la vingtaine, assises en cercle et en chaussettes. Deux jeunes femmes de Ung Vänster (La Jeune Gauche Suédoise) nous ont présenté les trois piliers de l’autodéfense féministe dont l’origine remonte aux années 70 aux Etats-Unis, à savoir :
- “Knowledge” : l’importance de la prise de conscience de l’illégitime mais bien réelle domination masculine
- “Readiness to act” : la nécessité d’être préparée à réagir personnellement et agir collectivement
- “Sisterhood” : la “Soeurité”, solidarité nécessaire entre toutes les femmes face aux diverses formes d’oppression.

Nous sommes ensuite passées à l’expérimentation en commençant par un exercice de sensibilisation au langage du corps : posture, appropriation de l’espace et confiance en soi. Nous avons enchaîné sur le moment le plus spectaculaire bien que n’étant pas le plus important d’un point de vue théorique : l’identification des points faibles d’un éventuel agresseur (et donc des nôtres… Tenez garde haute mesdames !) et l’apprentissage des coups correspondants. Last but not least, les animatrices ont soulevé combien le fait de crier “NON !” (en l’occurence “NEI !”) est essentiel. Pour deux raisons, la jurisprudence a montré qu’une femme ayant verbalisé son refus obtenait plus facilement gain de cause ; et le fait de pousser un cri déclenche une montée d’adrénaline qui augmente la force physique. D’autre part, nous étions toutes invitées à accompagner de notre cri celle qui s’entraînait aux techniques de frappe, et curieusement nous avons alors ressenti cette “soeurité”, concept qui nous avait laissées perplexes.

Avouons-le, nous avons presque envie de proposer cet atelier à nos camarades au retour. Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, vous laisserez-vous tenter ?

Rachel et Blandine