Accueil > Au secours, le PS revient !

Au secours, le PS revient !

Publie le mercredi 2 juin 2004 par Open-Publishing
6 commentaires


de : Philippe Corcuff

Maître de conférences de science politique à l’IEP de Lyon

Il y a quelques motifs de satisfaction après les récentes élections régionales.
Ainsi le mépris
patelin pour les aspirations populaires, au nom de « la France d’en bas », suintant
du marketing
raffarinien a peut-être pris un coup définitif. Et pourtant, alors que les élections
européennes
s’approchent, notre spleen politique perdure.

Car le PS revient. Finis le 21 avril et de fort timides interrogations sur soi
 ! Finis les
discours de refondation ! Parmi les premières victimes collatérales de cette « victoire »,
il y a ceux qui
parlaient de rénovation, qu’il s’agisse de la démocratisation du parti et des
institutions
(Montebourg-Peillon) ou de la réorientation de la politique économique et sociale
(Emmanuelli-Mélenchon). Les technocrates roses ont un argument de poids en faveur
de leur inertie politique : le gâteau
législatif et présidentiel est à portée de main. De la même manière, les marges
de manœuvre
critiques des Verts et du PCF vis-à-vis de l’hégémonie du PS se sont amenuisées.
Et quand les médias
s’enchantent des nouveaux élus régionaux, ils oublient de préciser que les potentats
locaux qui ont
proliféré à l’occasion des Régionales et des Cantonales constituent justement
une des bases
conservatrices de la puissance des éléphants nationaux. Souvent encore plus indigents
politiquement que les Hollande, DSK et autres Fabius, plus vides intellectuellement,
plus attachés aux petites
gratifications du pouvoir personnel, ces nouveaux féodaux cadenassent le jeu
politique. Prendre le pouvoir
pour transformer la société ou être pris par le pouvoir qu’on croie prendre en
se transformant en
gestionnaire étriqué de l’ordre établi ? Vieux dilemme de la gauche que n’a guère
fait bouger le PS depuis 1981 ! Et les centaines de postes (de contractuels des
conseils généraux et régionaux, de
permanents du parti, etc.) dérivés des résultats électoraux ne vont pas peu participer à la
domestication des âmes demeurées indisciplinées.

Le PS pour faire quoi ? Sans doute une politique similaire à celles menées par ses prédécesseurs
de droite et de gauche. Il y a une erreur d’optique à croire que l’orientation sociale-libérale des
gouvernements Mauroy (2e période)-Fabius-Cresson-Rocard-Jospin était fondamentalement différente
de celle, libérale-sociale, des gouvernements Balladur-Juppé-Raffarin. Privatisations, pesée sur
les revenus du travail au bénéfice de ceux du capital, flexibilité, sujétion aux marchés financiers,
affaiblissement de l’Etat providence : on a affaire à des choses comparables. Ce qui distingue
(des 35h au PACS) apparaît moindre que ce qui rapproche, si l’on prend en compte les variations des
conjonctures économiques que les gouvernants tentent de faire passer pour le produit de leur
volonté. La droite française, souvent contre sa base militante et les lobbys patronaux à l’œuvre en son
sein, ne mène pas une politique ultra-libérale à la Thatcher et Reagan, mais une adaptation
davantage soft à la mondialisation néocapitaliste.

La compétition électorale entretient toutefois l’illusion de grandes différences. Dans une
certaine nostalgie d’« avant », on sent un besoin de dramatisation de la mêlée électorale. « Faux électeurs
dans les fosses communes », « Faux marteaux, fausses faucilles » ou « Faux prêcheur, faux prophète »,
swingue Francis Cabrel. On se contente de mimer les batailles héroïques d’antan. Les hommes
politiques, les journalistes et même certains électeurs finissent par y croire un peu. « Pour en sortir
c’est du délire/C’est un vrai casse-tête/Même tes faux sourires/Te font des fossettes », ajoute
Cabrel. Les noyaux les plus identitaires de l’électorat de gauche – pour qui se sentir « de gauche »,
dans la logique d’un rapport narcissique au vote où « je m’admire moi-même dans mon vote », est
peut-être plus important que les politiques effectivement menées – alimentent, de manière convergente,
une vision essentialiste de la séparation entre « la gauche » et « la droite », comme deux « essences »
posées de manière intangible et intemporelle. Ce n’est vraisemblablement qu’une des composantes du
vote de mars dernier.

Quand les spécialistes du café du commerce journalistique et sondagier se penchent sur des
résultats électoraux, ils tendent fréquemment à chercher « la cause principale ». Ils confondent ainsi le
résultat agrégé (unifié par la procédure électorale même d’agrégation) avec les causes et les
motivations (plus diverses qu’on ne le croit souvent) qui se sont justement agrégées dans un tel
résultat. Soyons plus prudents avant d’attribuer telle ou telle signification unique au vote. Une vue
plus contrastée demanderait de patientes études, trop longues pour l’agitation à court terme de la
temporalité médiatique. Reste que, malgré la pluralité des logiques ayant présidé au vote, on se
trouve au final face à un effet de verdict des résultats, renforcé par les « évidences » qui émergent
des commentaires des professionnels de la communication et de la politique. Cet effet de verdict
apparaît bloquer les évolutions du champ politique : le PS a retrouvé la main électorale, la
dynamique de la gauche radicale est enrayée, l’extrême-droite se présente comme la seule force
alternative stabilisée, attendant au coin du bois de probables désillusions à venir.

La gauche radicale, avec les listes LO-LCR, n’est pas sans (petites) responsabilités dans la
situation. Certes sa campagne a su donner un tour plus pragmatique (autour du couple interdiction des
licenciements boursiers/refus des subventions des conseils régionaux aux entreprises qui
licencient) et beaucoup moins « gauchiste » qu’on ne l’a dit à son intervention. L’accord même, et donc les
compromis entre des organisations aux profils distincts, supposait une mise à distance de la logique
de l’émiettement gauchiste infini propre à la vieille « extrême-gauche ». Mais les apparitions les
plus publiques du tandem ont été trop monocordes, excessivement calées sur la vision traditionnelle
(partiellement juste mais réductrice) de la question sociale portée par LO. La condition salariale
est aujourd’hui plurielle (en termes de genres, de générations, de modes de travail et de vie,
etc.), travaillée par des questions sociétales et le profond processus d’individualisation de nos
sociétés. Cela appelle une traduction politique renouvelée, comme l’avait esquissée la campagne
présidentielle d’Olivier Besancenot. Par un langage qui repolitise en partant du quotidien, en se
connectant aux réserves d’utopie actives dans l’imaginaire le plus ordinaire de nos concitoyen-ne-s. Il
y a là quelque chose du « langage oublié » chanté par Gérard Manset : « Ce langage oublié quelqu’un
le saurait-il/Qui rendait paraît-il heureux le genre humain/Aujourd’hui c’est hier, hier c’était
demain ».

Le temps est encore à une certaine mélancolie, ironiquement exprimée par un Vincent Delerm :
« Celles qui ont vu trois fois Rain Man/Celles qui ont pleuré Balavoine/Celles qui faisaient des
exposés/Sur l’apartheid et sur le Che… Lala lala… ». Cette humeur mélancolique tend aussi à imprégner le
rapport à la politique de la minorité qui continue à s’y intéresser. Une mélancolie un poil
nostalgique et passive. La possibilité de la réinvention d’une politique mélancolique, cette fois
radicalement active, ne s’est-elle pas éloignée avec les dernières élections ? Cependant, dans la
conscience de nos humaines faiblesses, pourquoi ne pas essayer malgré tout de desserrer les mâchoires du
piège politique que nous avons collectivement confectionné, sans souvent l’avoir voulu ?

Nous avons plus que jamais besoin du paradoxe mélancolique de la « lente impatience » que, plein de
générosité, Daniel Bensaïd(1) s’efforce de nous léguer, à travers son itinéraire singulier, dans
ses mémoires vives.

. Dernier ouvrage paru : Prises de tête pour un autre monde (chroniques de Charlie Hebdo et autres
interventions de presse), Textuel.

Note (1) : Une lente impatience, de Daniel Bensaïd, Editions Stock.

02.06.2004
Collectif Bellaciao

Messages

  • EXcellente analyse ! ! ! ! P.M.

    • Philippe Corcuff ,après l’experience jeune socialiste,et encore verte de gauche passe à la (compagnon de route du philosophe Daniel Bensaid:revue, philosophie politique ,gauche critique, "Contretemps"), (et vote )LCR./.dernier bateau anticapitaliste,de résistence culturelle./////.votez svp. ,pour les éuropéennes./.c’est bien avoir des camarades au parlement.,/.malgré les critiques/.".le coeur" et’ la raison.’./(D’ACCORD AVEC SES ANALYSES SUR CHARLIE HEBDO,particulièrement sur les analyses des livres de robert castel sur le travail précaire etc.)../ corcuff c’est un socialiste libertaire.,.mais sage./post scriptum :. un .ésprit libre pas dogmatique./ un ,mistyque de gauche....(Deleuze:résister c’est créer..)autonomie démocratique,sociale,(castoriadis cornelius) et .......unité ",unité...,"unité, extreme jonction" ....( aussi aux élections)stop./.block rouge vert noir libertaire., ../.un le contraire d’Un./.(je les autres:rimbaud)./.un’ individuel collectif pluriel’..(Simondon Gilbert)./ciao bellaciao./.NEW GLOBAL./bonne nuit..salutations fraternelles ... à la prochaine navigation dans la noosphère/infosphère du site bellaciao/". general intellect.."...

  • Ca fait du bien de lire des choses intelligentes et sensées...

    Merci Corcuff !

    Mais je voterai pour la LCR uniquement le jour où elle laissera tomber le "C" et le "R" ;o)

  • Ah ca crache, ca pisse, ca chie. Ca fait du bien ? On est comment aprés une colique comme celle là ? On s’essuie sans s’en mettre plein les doigts ... je voie pas l’interêt d’une reflexion de ce qualibre. C’est faire du rameur en chambre, tu te fatigues mais tu vois pas le grand large. Encore des kilomètres d’analyses de ce genre et j’en connais qui continueront à pêcher le dimanche ...
    signé ZE