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Harry au pays du marché triomphant

Publie le vendredi 4 juin 2004 par Open-Publishing
3 commentaires

par Ilias Yocaris

"Harry Potter" apparaît comme une œuvre-somme, résumant -involontairement sans doute - le projet éducatif et social du capitalisme néolibéral.
Avec la série des Harry Potter, l’écrivain J. K. Rowling a réussi la gageure de réenchanter le monde : le lecteur voit ainsi se déployer sous ses yeux un univers proprement ma- gique, où l’on trouve des voitures qui volent, des sortilèges qui vous font vomir des limaces, des arbres donnant des coups de poing, des livres qui mordent la main de leur propriétaire, des elfes domestiques, des portraits se disputant entre eux et des dragons avec des queues à pointes.

A priori donc, il n’y a rien de commun entre le monde de Harry et le monde ordinaire de notre perception habituelle. Rien du tout, excepté un détail : comme le nôtre, l’univers fantastique de Harry Potter est un univers capitaliste.

Poudlard est une école de sorcellerie privée, et son directeur doit sans cesse se battre contre l’Etat, essentiellement représenté par l’inepte ministre Cornelius Fudge, le ridicule fonctionnaire Percy Weasley et l’odieuse inspectrice Dolores Ombrage.

Les apprentis sorciers sont en même temps des consommateurs qui rêvent d’acquérir toutes sortes d’objets magiques hi-tech comme des baguettes "haute performance" ou des balais volants "de marque" dernier cri, fabriqués par des multinationales.

Poudlard n’est donc pas seulement une école, mais aussi un marché, visiblement très juteux : soumis à un matraquage publicitaire incessant, les pensionnaires ne sont jamais aussi heureux que quand ils peuvent dépenser leur argent dans les établissements qui entourent le collège. Il existe toutes sortes de trafics entre élèves, et l’auteur insiste lourdement sur les possibilités de promotion sociale offertes aux jeunes gens qui s’enrichissent grâce au commerce de produits magiques.

Bien entendu, le tableau est complété par les complaintes rituelles sur la rigidité et l’incompétence des fonctionnaires. La ringardise de ces derniers tranche singulièrement avec l’inventivité, l’audace et l’allant des entrepreneurs, dont J. K. Rowling ne cesse de vanter les mérites. Par exemple, Bill Weasley, banquier chez Gringotts (une banque de sorciers tenue par des gobelins), se présente comme l’exact opposé de son frère, Percy-le-fonctionnaire : le premier est jeune, dynamique, créatif, ouvert d’esprit et porte des vêtements qui "n’auraient pas eu l’air déplacés dans un concert de rock" ; le deuxième est inintelligent, obtus, borné au possible, et s’adonne à un inepte travail de régulation étatique, le chef-d’œuvre de sa carrière consistant en un rapport sur "les normes standards pour l’épaisseur des fonds de chaudron".

Cette invasion de stéréotypes néolibéraux dans le conte de fées a évidemment des incidences non négligeables sur la description des personnages et du monde dans lequel ils évoluent. L’univers fictif de Harry Potter offre une vraie caricature des outrances du modèle social anglo-saxon : sous le vernis de la réglementation et des rituels collectifs imposés par la tradition, la microsociété de Poudlard se présente comme une jungle impitoyable, où règnent l’individualisme, la concurrence exacerbée et le culte de la violence.

Le conditionnement psychologique des apprentis sorciers repose clairement sur une culture de l’affrontement : affrontement individuel des élèves entre eux pour décrocher, par exemple, le titre prestigieux de préfet ; affrontement quotidien des quatre "maisons" de Poudlard pour gagner à tout prix des points au classement annuel qui va les départager ; affrontement périodique entre écoles de sorciers pour remporter la Coupe de feu ; affrontement ultime et sanglant des forces du Bien avec le Mal.

Cet état de guerre permanent aboutit notamment à une redéfinition du rôle des structures institutionnelles : confrontées à un déferlement sans précédent de conflits de plus en plus violents, celles-ci n’ont plus la possibilité, ni même la vocation, de protéger les individus face aux menaces qui les guettent de toutes parts. Ainsi, le ministère de la magie échoue piteusement dans son combat contre les forces du Mal, et les contraintes réglementaires de la vie scolaire empêchent paradoxalement Harry Potter et ses amis de se défendre face aux attaques et aux provocations qu’ils subissent sans cesse.

Livrés à eux-mêmes, les apprentis sorciers devront lutter seuls pour survivre dans un milieu hostile, et les plus faibles (comme Cedric Diggory, l’ami de Harry) seront inexorablement éliminés.

Or toutes ces données ont une influence déterminante sur le contenu de l’enseignement dispensé aux jeunes élèves de Poudlard. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cet enseignement est unidimensionnel. En effet, les programmes éducatifs de Poudlard sont orientés de façon très précise sur le plan didactique : seules comptent les disciplines susceptibles de transmettre aux élèves un savoir pratique immédiatement exploitable, qui pourrait les aider dans leur lutte quotidienne pour survivre.

Cela n’est pas très étonnant, dans la mesure où la prestigieuse école vise à former avant tout des individus compétitifs sur le marché du travail et capables de lutter contre les forces du Mal. On constate ainsi que les matières artistiques se trouvent éliminées du cursus décrit par l’auteur, et que l’enseignement des sciences humaines est fortement dévalorisé : les élèves n’ont droit qu’à quelques malheureux cours d’histoire littéraire totalement dépourvus d’intérêt, qui les font bayer aux corneilles. De façon très révélatrice, l’auteur précise que ces cours semblent à Harry aussi ennuyeux "que le rapport de Percy sur l’épaisseur des fonds de chaudron" : autrement dit, dans un système social axé exclusivement sur l’affrontement et la concurrence, les sciences humaines sont devenues aussi inutiles que les tâches de la régulation étatique.

Harry Potter apparaît donc à plusieurs égards comme une œuvre-somme, résumant - involontairement sans doute - le projet éducatif et social du capitalisme néolibéral.

A l’image du totalitarisme orwellien, ce capitalisme tente désormais de façonner à sa guise non plus seulement le monde réel, mais aussi l’imaginaire des citoyens consommateurs. En gros, le message sous-jacent qui est adressé aux enfants à la lecture d’un tel texte est : "Vous pouvez imaginer autant de mondes fictifs, autant de sociétés parallèles, autant de systèmes éducatifs que vous voulez, ils seront tous régis par les lois du marché." Le moins qu’on puisse dire à la lumière du succès de l’ouvrage est que les jeunes générations ne sont pas près d’oublier la leçon.

Ilias Yocaris est maître de conférences de littérature française à l’IUFM de Nice, membre du groupe de recherche "Interdidactique et discours des disciplines".

LE MONDE

Messages

  • M. Yocaris is a jerk, and France is a cesspool.

  • Harry Potter au pays du marché triomphant

    D’après monsieur Ilias Yocaris, le monde des sorciers créé par JK Rowling est tout aussi régi par les lois du marchés que le nôtre, l’individualisme y est roi et l’État radicalement stéréotypé. Il appuie sa thèse au moyen de divers exemples(fonctionnaires incompétents, sorciers consommateurs, affrontements incessants,...). En résumé, il affirme que le message véhiculé est clair, peu importe le nombre de sociétés que vous imaginez elles seront toutes gouvernées par les lois du marché.

    Je pense que l’auteur de cet article incarne le parfait intellectuel désoeuvré qui énonce une thèse stérile et décide de la certifier en généralisant quelques exemples habilement sélectionnés.
    Bien que je ne puisse entièrement réfuter son point de vue, je m’y oppose. L’auteur est subjectif et sa thèse vide de sens. Il s’attaque tout simplement à cet oeuvre de manière gratuite et injustifiée.

    Tout d’abord, la critique émise par Mr Ilias Yocaris n’aboutit à rien de constructif ou d’un temps soit peu utile. En effet, un livre tel qu’Harry Potter ne doit être lu que dans le but de se divertir. Il me paraît évident que J K Rowling n’a pas pensé au capitalisme néolibéral en écrivant ces lignes. Elle s’est contenté de décrire une société telle qu’elle la concevait et de plaisanter au moyen de quelques caricatures par définition excessives !
    De plus, l’auteur a savamment triés les extraits évoqués omettant de les situer dans leurs contextes.
    Il parle d’individualisme alors que partout des sorciers s’associent et se montrent solidaires pour affronter les forces du mal ou d’autres groupes de sorciers.
    Il affirme l’opposition de JK Rowling face au représentants de l’État. Or le plus grand des « entrepreneurs particulièrement audacieux et créatif » n’est autre que le directeur de Poudlard. Dumbeldore est un fonctionnaire étroitement lié à plusieurs organisations de l’état.
    Enfin il se garde bien d’émettre la moindre réserve à sa thèse.
    Je me dois pourtant de mentionner ces quelques exemples : Dudley le cousin de Harry, est la caricature pathétique du petit consommateur et JK Rowling ne se prive pas d’en rire, de la même manière elle tourne au ridicule l’oncle Dursley qui représentent le parfait chef d’entreprise capitaliste, elle décrit avec tendresse Mr Weasley, (père du meilleur ami de Harry) qui aurait pu monter en grade s’il n’était pas si peu intéressé par l’argent, ...

    Ma conclusion est la suivante ; plus d’un livre pourrait être taxé de critique semblable. Mr Yocaris s’attarderait-il sur un best-seller international par le simple fruit du hasard ? Quoiqu’il en soit je connais désormais le nom de cet universitaire. Si cet article visait à le rendre populaire il y est parvenu...