Accueil > Quelle stratégie électorale pour les révolutionnaires ?

Quelle stratégie électorale pour les révolutionnaires ?

Publie le mercredi 23 juin 2004 par Open-Publishing

Quelle stratégie électorale pour les révolutionnaires ?

Dominique Cornet

Membre du comité de rédaction de Militant (http://www.le-militant.org)
Transposition d’un forum présenté à la fête de Lutte Ouvrière 2004

Participer ou non aux élections ?

Un premier débat concerne l’attitude à adopter face aux élections. Faut-il ou non y participer ? Cette intervention ne vise pas à répondre à cette question. On répondra brièvement à cette question pour en venir au cœur de notre problématique : comment faut-il participer aux élections ? Il est possible de justifier rapidement l’entrée des révolutionnaires dans le processus électoral par la possibilité d’entrer en relation avec les travailleurs à un moment où ils se préoccupent de politique. Il est certain que les élections se déroulant dans le cadre d’un régime capitaliste nient la réalité de classe des travailleurs. Chacun d’entre eux passe par l’isoloir qui le sépare symboliquement de l’ensemble de ceux qui partagent la même condition sociale que lui et l’éloigne du terrain de la lutte collective. Dès lors les élections ne contribuent pas à l’émancipation des travailleurs car elles gênent le développement de la conscience de classe. De plus une société réellement démocratique se doit d’éviter la délégation de pouvoir. Pour autant, il ne paraît pas inutile de s’engager dans le jeu électoral à cause de la raison évoquée ci-dessus : la possibilité de faire de la politique avec les classes travailleuses à grande échelle. Car il est alors possible d’élever le niveau de conscience de classe. Bien évidemment il est contre productif de vouloir ramener dans le jeu parlementaire les travailleurs qui ont une claire vision du fait que les élections ne prennent pas en compte le déchirement social entre détenteurs du capital et travailleurs. La stratégie électorale s’adresse uniquement aux travailleurs qui s’intéressent aux élections. Cela suppose un discours différencié selon les publics. Et pour contribuer à l’évolution des travailleurs il faut les rejoindre dans leurs préoccupations dans un premier temps (et dans un premier temps seulement), sinon on court le risque de ne pas être compris et d’être marginalisé.

Deux positionnements électoraux posant problème : le désistement inconditionnel du PC ...

La France, en particulier aux élections régionales de 2004, fournit l’exemple de deux comportements électoraux risquant de déboucher sur une impasse. Il s’agit du ralliement inconditionnel du PC au PS et de la participation tribunitienne de LO-LCR.

En appelant systématiquement à l’union de la gauche au deuxième tour (voire au premier), le PC apparaît comme un rabatteur des électeurs vers le PS. Ce faisant il devient un satellite de ce dernier. Cela contribue à son discrédit et représente une ligne risquant d’être suicidaire à long terme.
Pourtant, le PC dispose de certains atouts. Une partie de ses militants se pensent comme révolutionnaire (même si cela devient de moins en moins en vrai avec les nouveaux adhérents arrivés à l’heure de la mutation). Et le PC reste le principal parti (de gauche) de la classe ouvrière même si cette caractéristique devient de plus en plus contestable étant donnée l’évolution actuelle.

... et la participation tribunitienne de LO et la LCR

De leur côté LO et la LCR entendent porter le drapeau révolutionnaire, contester le capitalisme et défendre les idées communistes devant les électeurs. (Il faudrait peut-être établir des nuances entre ces deux organisations mais ce n’est pas le propos de cette contribution.) Le vote en leur faveur apparaît comme un vote défouloir à l’exemple du premier tour des présidentielles de 2002. L’électeur de gauche se trouve face à une sorte d’ultimatum : voter pour les idées révolutionnaires ou cautionner les traîtres du PS qui n’ont, une fois de plus, pas tenu leurs promesses ni défendu les intérêts des travailleurs. Les élections passés, il ne reste plus comme perspective pour l’électeur que d’attendre le prochain mouvement social. Il est extrêmement louable de se servir des élections comme d’une tribune pour promouvoir les idées communistes et défendre des revendications justes telles les 37,5 annuités de cotisations pour la retraite pour tous. Mais faute d’apparaître comme une perspective crédible, ce comportement décrédibilise les organisations révolutionnaires en les faisant passer pour des utopistes, malheureusement dans le sens péjoratif de ce terme. C’est-à-dire des gens animés par des idées sympathiques mais qui ne peuvent être mises en application.

Un certain nombre d’éléments électoraux devraient interroger. Pourquoi les votes LO-LCR ont-ils fondu aux législatives de 2002 (consécutives aux présidentielles) ? Pourquoi la contestation du gouvernement s’est-elle exprimée essentiellement en faveur du PS et également du PC aux élections régionales et européennes de 2004 ? Bien sûr les scrutins législatifs et régionaux sont moins favorables que le scrutin présidentiel pour les petites organisations. Mais est-ce que cela explique l’intégralité des fluctuations électorales ?

Il peut être tentant d’avancer l’idée que les travailleurs électeurs ont des éclairs de lucidité (comme aux présidentielles 2002) mais retombent finalement dans leurs illusions en donnant leur voix au PS et au PC (aux régionales de 2004).
Mais est-il concevable de retomber dans l’erreur lorsqu’on a une claire vision de la réalité ? Si les travailleurs avaient compris que le PS (et le PC) ne défendent pas leurs intérêts pourquoi se tourneraient-ils à nouveau vers eux ?

Pour élucider la question électorale, il faut commencer par comprendre comment se déterminent les choix électoraux des travailleurs

Voter pour changer la réalité

Selon les théories socio-politiques le vote est déterminé par la catégorie sociale, l’identification partisane (souvent transmise par la cellule familiale) et le choix rationnel de l’offre politique correspondant le mieux aux intérêts de l’électeur. Ces théories se complètent. Elles méritent d’être évaluées. Ce n’est pas l’objet de cet article. Mais très simplement, on peut chercher à connaître les raisons qui conduisent les travailleurs à voter de telle ou telle façon. Et écouter les motifs avancés par ces derniers (ne serait-ce que dans son entourage) permet d’avancer dans la compréhension du phénomène.

Les travailleurs ne votent pas d’abord pour dire quelque chose, pour s’exprimer, pour compter leur voix. Ce type de comportement existe bien, notamment dans les milieux militants. (Il faudrait d’ailleurs faire une étude pour savoir s’il ne se rencontre pas essentiellement dans ces milieux.) Mais un électeur non militant qui ne s’intéresse à la politique qu’à l’occasion des élections vote pour changer la réalité. L’électeur veut que son vote serve à faire évoluer la réalité, tout simplement. Et dans un contexte électoral donné, il cherche la meilleure solution ou la moins mauvaise. C’est d’ailleurs parce qu’ils pensent que leur vote ne servira à rien, qu’il ne changera pas la réalité (notamment la réalité socio-économique qui fait leur vie) que certains travailleurs ne se donnent pas la peine d’aller voter.

Au premier tour des présidentielles, il est possible de dire ce que l’on pense, de se défouler (surtout lorsqu’on a été déçu par la politique du PS (et du PC)). Mais quand il faut arrêter la politique de la droite, les travailleurs qui veulent changer les choses se tournent, avec bon sens, vers la force politique qui leur semble en mesure de gouverner. Et aujourd’hui la seule force politique de gauche qui semble en mesure d’exercer le pouvoir à la place de la droite c’est le PS éventuellement allié aux verts, au PC (et d’autres petites forces). L’explication du vote des classes populaires ne réside pas dans des aléas de l’illusion mais dans le choix raisonné de la moins mauvaise solution dans un contexte donné. (Cela ne signifie pas pour autant que la notion de conscience de classe soit sans intérêt ni que les travailleurs aient une claire vision de leurs intérêts. Nous y reviendrons.)

Le PS défend très bien ses intérêts en présentant le bulletin en sa faveur comme étant le vote utile. Il s’appuie sur la volonté des électeurs de faire évoluer la situation politique. Et c’est sur ce plan que LO et la LCR ne constituent pas une perspective crédible. Il ne s’agit absolument pas de dire que les programmes de ces organisations ne sont pas censés. Mais que ces forces politiques ne semblent pas en mesure de changer la vie des travailleurs. Bien sûr, LO et la LCR sont de petites organisations et leurs résultats électoraux sont forcément modestes dans un premier temps car il leur faut se faire connaître de la population. On ne peut évidemment leur reprocher d’avoir de faibles scores. Au contraire, on peut les féliciter de militer contre le capitalisme et en faveur d’un progrès de société pour les travailleurs. La critique formulée ici sur la crédibilité de ces organisations porte sur le fait qu’elles utilisent les élections pour émettre un message et ne cherchent pas à changer la vie de la population à travers les élections. Tout se passe comme si elles voulaient se servir des élections pour mettre en valeur leurs analyses et propositions tout en restant extérieures à la lutte électorale certainement pour éviter de générer des illusions électoralistes dans la classe ouvrière.

Mais en restant extérieure à la lutte pour le pouvoir politique, l’extrême gauche n’apparaît pas comme une réponse concrète aux problèmes des catégories populaires. Et elle laisse le PS (et le PC) être les seules forces d’alternance à la droite. La volonté de changer le système socio-économique ne pourra se développer dans la population tant qu’il restera une force politique proposant d’améliorer son sort. Il faut donc affronter le PS sur son terrain celui de la recherche du pouvoir. C’est par la démonstration qu’elle peut mieux que le PS défendre le sort des travailleurs que l’extrême gauche deviendra une force crédible et qu’elle pourra se développer à grande échelle. Bien sûr il est toujours possible de gagner des sympathisants et des militants par un long et patient travail de propagande. Mais cette croissance est lente. Pour réussir à sensibiliser une grande partie des travailleurs, il faut se situer en concurrent du PS. Cela signifie ne pas rester sur le plan des idées, mais disputer au PS la possibilité de changer concrètement la vie des travailleurs. Comment procéder ? C’est ce que nous allons maintenant envisager.

Concurrencer le PS dans la possibilité d’améliorer la vie des travailleurs

Cette concurrence avec le PS passe par les luttes sociales. Et dans une certaine mesure, l’extrême gauche et le PC récoltent les fruits de leur action militante à ce niveau. Mais il est ici question du positionnement électorale. Et il faut bien constater que sur ce plan le PS mène la danse même si sa présence dans les luttes est très réduite. Comment réduire la place du PS dans le jeu institutionnel de façon à ce que les travailleurs se tournent vers les organisations révolutionnaires ? Cela semble difficile surtout compte tenu de la faiblesse électorale du PC et de l’extrême gauche.

Ni le désistement systématique en faveur PS pratiqué par le PC, ni l’absence de consigne pour le 2ème tour adoptée par LO-LCR ne semblent en mesure d’éroder la domination du PS. Si les travailleurs cherchent à changer la vie à travers leur vote, il faut répondre à ce souci en entrant dans la dynamique électorale. (Les incantations sur l’inutilité du vote ne trouvent guère d’écho. Car si les travailleurs vont gonfler les rangs des abstentionnistes, ils ne rejoignent guère pour autant les organisations révolutionnaires qui dénoncent, à juste titre, l’électoralisme.) Et pour prendre au sérieux ce désir de changement, la voie qui reste ouverte est celle du désistement conditionnel. La tactique est simple en théorie. Il s’agit d’abord de déterminer un certain nombre de revendications auxquelles les travailleurs sont attachés (ce qui suppose de connaître leur avis) : 37,5 années pour tous, hausse de 10% du SMIC, restriction des licenciements, défense de la sécurité sociale, arrêt des privatisations ... Le but n’est pas de constituer une liste hétéroclite, ni de proposer un programme révolutionnaire mais vraiment de se faire le porte parole des désirs des travailleurs. Aucun compromis ne sera accepté sur ce programme. Si le PS l’accepte, l’appel au désistement en sa faveur est prononcé en prenant les travailleurs à témoin. En cas de refus de sa part, cela est indiqué aux électeurs pour expliquer les raisons de ne pas se désister. Il ne faut pas craindre de faire tomber le gouvernement en cas de promesses non tenues à condition de toujours expliquer la cause du retrait du soutien. Par exemple, les députés communistes étaient en mesure de priver le gouvernement de la majorité parlementaire durant la législature 1997-2002. Le fait qu’ils soient restés fidèles au PS, quels que soient les reniements de ce dernier, les a conduit à la déroute que l’on connaît aux présidentielles de 2002. De leur côté LO-LCR n’ont pu conserver leur acquis électoral des présidentielles de 2002 aux régionales de 2004 parce qu’elles n’apparaissent pas comme des acteurs susceptibles de participer au pouvoir, seule solution pour améliorer la vie des travailleurs à court terme.

Bien évidemment, il n’est pas facile de progresser électoralement contre le PS s’il accepte de satisfaire les aspirations des travailleurs. En tous cas, la tactique du désistement conditionnel ne le permet pas. Si les travailleurs sont satisfaits de la politique des réformistes, pourquoi se tourneraient-ils vers les révolutionnaires ? En revanche, le désistement conditionnel devrait être efficace en cas de trahison ou de défection du PS. Car alors les révolutionnaires apparaissent comme une possibilité de défendre matériellement (et non dans le monde des discours) les intérêts des travailleurs en se présentant comme des candidats au pouvoir palliant l’abandon des catégories populaires par le PS.

La tactique du désistement conditionnel consiste à entrer dans le champ électoral qui fait la force du PS. Il s’agit d’une pédagogie par l’action. C’est-à-dire de prendre en compte les revendications des travailleurs afin de les faire aboutir. Il paraît faux d’abandonner les revendications des travailleurs au non du fait que la droite serait pire (comme l’indique le PC). Et il paraît également erroné de laisser les travailleurs seuls face à la question électorale et voter ou non pour le PS selon leur conscience (comme le font LO-LCR). D’ailleurs les enquêtes menées sur le sujet montrent que les électeurs de l’extrême gauche au premier tour vont bien souvent voter PS au deuxième, toujours par souci de faire évoluer le cours de la politique. La non prise en compte par les révolutionnaires du second tour contribue à l’éloignement entre les travailleurs et l’extrême gauche.

Il importe d’entrer en résonance avec les préoccupations des travailleurs. Mais ce n’est pas pour se contenter de porter leurs exigences immédiates, généralement de nature syndicales. Le but est d’évoluer avec les travailleurs vers une plus grande conscience des intérêts de la classe ouvrière. Face à ce problème du niveau de conscience de classe, deux positionnements sont inopérants. Le refus de faire évoluer la classe en trahissant ses intérêts pour garder des postes dans l’institution est stérile. Et le fait de ne pas rejoindre dans un premier temps (et dans un premier temps seulement) les aspirations des travailleurs conduit à ne pas pouvoir évoluer avec eux puisqu’il n’y a pas vraiment de liens.

Le PC n’a pas vraiment de stratégie vis-à-vis du PS. Il se contente d’accompagner ce dernier (même si des débats internes portent sur ce point). A terme, le PC n’a donc pas vraiment de raison d’être. La stratégie de l’extrême gauche consiste, elle, à essayer de contourner cet obstacle afin de se développer grâce aux luttes sociales. Cela permet une certaine croissance de ces organisations, mais une croissance qui reste modeste malgré un ancrage électoral déjà remarquable, fruit d’un long et consciencieux travail. Le contournement ne paraît pas être possible. Laisser au PS le terrain électoral, c’est lui permettre de conserver sa position dominante dans la gauche.

Aucune de ces deux voies n’est en mesure de venir à bout de l’obstacle que constitue le PS. Et tant que le PS conserve sa position électorale, les travailleurs n’ont aucune raison de se tourner vers les révolutionnaires. Pour être une alternative au PS, il faut faire la démonstration de la nécessité et de la capacité d’être cette alternative. A quel moment, justement, un déplacement des forces en faveur des révolutionnaires s’opère-t-il ? Cela se produit lorsque le PS fait la démonstration concrète de son incapacité à répondre aux besoins des travailleurs après cinq ans de gouvernement (1997-2002). Mais à l’issue de deux ans de gouvernement de droite, lorsqu’il s’agit de contester cette politique (au régionales de 2004) c’est de nouveau vers le PS que les travailleurs (ceux qui votent encore et qui sont à gauche) se tournent. Ce n’est pas parce qu’ils retombent dans leurs illusions mais parce que le PS apparaît comme une force de gouvernement, une force crédible pour contester la droite. Il revient aux révolutionnaires d’être aussi crédible dans la contestation du PS. C’est pourquoi il est essentiel d’attaquer sa suprématie électorale et le désistement conditionnel apparaît comme étant la possibilité d’aller dans cette direction.

Pour répondre à cet article : militant@le-militant.org