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Entretien avec Besancenot : « Notre stratégie peut paraître frustrante... »

Publie le jeudi 29 janvier 2009 par Open-Publishing
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Naissance du NPA. Entretien avec Olivier Besancenot : « Notre stratégie peut paraître frustrante mais il n’y a pas pire qu’un espoir déçu »

Tentatives d’ouverture ? Sortie du champ minoritaire ? Invention d’un nouvel anticapitaslime ? Olivier Besancenot tente de répondre à ces questions. Mais s’il affirme que le dialogue avec l’ensemble de la gauche de gauche n’est pas fermé, il ne cache pas non plus sa méfiance. Entretien.

A un mois du congrès fondateur du NPA, quel est votre sentiment sur le processus que vous avez lancé ?

Olivier Besancenot. Je crois que cette étape sera réussie au regard des objectifs que nous nous étions fixés. Il s’agissait de franchir une étape quantitative et qualitative par rapport à la Ligue, et je pense que le contrat est rempli. Qualitativement, il y a des gens qui viennent d’horizons différents, qui dépassent les seuls sympathisants de la Ligue. Quantitativement, on sera dans la fourchette que nous nous étions fixée, c’est-à-dire deux à trois fois plus que les 3 000 que nous étions à la Ligue.

Environ 10 000 ?

O.B. On verra. De toute façon, on n’avait jamais voulu faire un téléthon militant. Le souci, c’est de voir ce qui va en rester. L’engouement pour un processus, c’est une chose. C’en est une autre que de trouver un fonctionnement militant stable qui permette que chacun puisse y trouver sa place et à d’autres de venir, un fonctionnement qui soit suffisamment souple, à la fois dans la taille, dans les rythmes et les durées de réunion, pour que chacun puisse contrôler toutes les décisions du parti. Ce n’est qu’à l’épreuve des faits qu’on pourra le vérifier.

Comment se passe le passage d’un parti trotskyste à un autre, plus large ? A-t-il été difficile de quitter le « dogme révolutionnaire » ?

O.B. Mais il n’a jamais été question d’abandonner nos idées ! On a toujours dit qu’on voulait puiser dans différentes traditions, des histoires les plus anciennes aux apports les plus récents des mouvements sociaux et de les fusionner dans la pratique et la réflexion. Cela n’a jamais été de renier son héritage, quel qu’il soit. Avoir des militants qui viennent de la culture syndicale CGT et des militants de l’écologie radicale et de la décroissance, forcément cela fait des étincelles. Il y a aussi des approches générationnelles, sociales, qui ne sont pas forcément les mêmes. Le plus difficile, c’est de pousser les uns et les autres à avoir une vision globale. Car chacun vient à cet outil politique avec sa propre approche, ce qui est légitime. Mais ce nouveau parti ne peut pas être la somme d’interventions sur tel ou tel sujet. Nous avons toujours dit que nous allions apprendre en marchant. On assume notre statut un peu paradoxal, qui le sera un peu moins à l’issue de notre congrès de fondation, fin janvier. Et quand bien même on existera, tout n’aura pas été réglé.

Certaines questions programmatiques et d’orientation resteront en suspens. Je dirais, pour faire un peu de provocation, que le sujet même de notre outil politique, c’est une démarche de refondation programmatique autour de l’anticapitalisme. Ensuite, l’idée d’un nouveau parti est un vieux projet. La LCR n’était plus l’outil politique le plus adapté à la période. Et à la différence des années 1990, il y a eu une opportunité, au bon sens du terme, politique et sociale, pour en créer un nouveau. Ensuite, je crois qu’il y a eu la fin de deux illusions : celle qu’on pouvait fédérer la gauche radicale en recollant les vieux morceaux du mouvement ouvrier avec le dernier épisode de 2005, cette idée de recomposer autour d’un cartel, d’une alliance unitaire en partant par le haut plutôt que par le bas ; et celle que le mouvement social pouvait se suffire à lui-même. Mais à force de se suffire à lui-même depuis 1995, le mouvement a surtout servi de boîte à idées aux partis de la gauche institutionnelle.

Pour des militants comme vous, qui ont eu pour berceau politique la LCR, est-ce douloureux de la fermer ?

O.B. A titre personnel et militant, vraiment pas. Daniel Bensaïd parle de se « sublimer ». Je n’ai pas du tout l’impression de renier aucune de mes idées. C’est vrai qu’il y a une certaine injustice pour les militants de la Ligue en général et ceux de ma génération en particulier, car le travail de renouvellement de refondation programmatique, nous l’avons déjà fait au sein de la Ligue. Mais, autour de nous, beaucoup de personnes n’étaient pas prêtes à entrer à la Ligue. Il faut être cohérent : si on veut écrire une nouvelle page avec d’autres, il faut forcément tourner une page sur sa propre histoire et dire qu’on ne veut pas faire un nouveau parti trotskyste. Cela n’est pas simple pour certains, il y a toujours des réticences.

Dans la sphère militante, syndicale et politique, beaucoup de personnes s’interrogent sur le fait de rejoindre le NPA et, pour le moment, n’y vont pas. Est-ce que cela vous soucie ?

O.B. Le problème, ce sont les rencontres et les démonstrations. Pour le moment, ce qui est important, c’est de consolider notre espace. J’avais cité à l’université d’été pour lancer l’appel pour un NPA, le poète cubain José Marti, qui dit que « le meilleur moyen de dire, c’est faire ». On n’a pas la prétention de tout représenter, on fait à notre échelle et on continue d’avancer. Ce qui veut dire être attentif à ce que vous dites. Nous constatons déjà une rotation importante en notre sein et nous savons bien que certains autour de nous attendent de voir. Mais nous ne pouvons rien répondre d’autre que le fait que ce processus continue d’en être un, un processus qui va du bas vers le haut, et pas le contraire.

Ensuite on discute et on continuera de discuter avec toutes les mouvances politiques et sociales qui le souhaitent, avec toutes les organisations de la gauche radicale, avec LO, avec le PCF, avec les Alternatifs, avec Jean-Luc Mélenchon, avec la nouvelle Fédération qui s’est montée, avec Alternative libertaire, avec les militants d’AC le Feu, etc. Pour résumer, et sans faire de démagogie, nous cherchons à faire le mélange entre le vieux et le neuf. On ne fait pas le parti des ex et des déçus ! Il y a une recomposition politique qui s’accentue et c’est tant mieux. Entre le PS et nous, beaucoup de choses sont en train de se passer. Mais je crois que la polarisation de la politique va continuer à s’accentuer. Notre propos, c’est de cristalliser un pôle un peu stable, qui donne un point de repère.

A plusieurs reprises, dans la manière dont vous avez expliqué cette polarisation, on a pu avoir l’impression que pour vous, il n’y avait que deux pôles, le NPA d’un côté, le PS de l’autre et rien d’autre au milieu…

O.B. Bien sûr que non ! Nous n’avons jamais pensé ni dit qu’entre le PS et nous, il n’y avait rien. Pour prendre un seul exemple, on n’a même eu de cesse de proposer une riposte unitaire au PCF, qui l’a systématiquement rejetée. Cette polarisation s’effectue à gauche entre deux grands types d’orientation, celle du PS, de plus en plus libérale, et celle d’une logique anticapitaliste, indépendante du PS, dont nous avons toujours dit que nous n’en étions pas les seuls représentants. Il y a en effet un débat au sein de la gauche radicale. Certains pensent qu’un autre espace est possible, celui que j’appellerai l’espace d’un réformisme conséquent. C’est ce que dit Mélenchon. Sa sortie du PS va dans le bon sens. Mais il dit qu’il n’est pas d’accord avec le choix stratégique du NPA. Son idée, c’est de faire une sorte de Die Linke et donc il se rapproche du PCF. Die Linke et le PCF ont un point commun : gérer ensemble des collectivités locales avec la social-démocratie et laisser ouverte la question de la participation gouvernementale. On a deux options, soit essayer de peser de l’intérieur de la gauche, soit renforcer un pôle indépendant pour construire une autre gauche et contester l’hégémonie du PS. Ce n’est pas jeter l’anathème contre qui que ce soit. Premièrement, nous n’avons pas d’ennemis dans le camp de la gauche radicale. Deuxièmement, nous allons discuter et faire tout ce qu’on pourra faire avec les uns et les autres. Les médiations politiques, ça existe, et on va continuer à les mener.

Vous posez comme préalable à des alliances avec le reste de la gauche radicale la non-participation à des exécutifs où le PS est présent. Comprenez-vous que ce préalable, dans sa généralité et en dehors de toute analyse des rapports de force, fait débat ? Est-ce que toutes les expériences de participation à des exécutifs avec le PS doivent être reniées ?

O.B. Notre stratégie peut paraître frustrante mais il n’y a pas pire qu’un espoir déçu. Nous avons conscience de l’urgence sociale et de la nécessité de peser au plus vite. Nous ne faisons pas la politique du pire : tout ce qu’on peut arracher, on va l’arracher maintenant y compris dans le cadre institutionnel. Le problème, c’est de faire émerger, à partir de ce qui existe au niveau social, un correspondant politique qui ne sera pas pris dans l’engrenage du pouvoir et qui ne sera pas satellisé par le PS. Car dans ce cas, on recrée de la désespérance. C’est vrai que notre stratégie de rupture et d’indépendance a un coût : en l’absence de proportionnelle, et en refusant les alliances avec le PS, nous ne sommes, pour le moment, pas représentés à la hauteur de ce que nous pesons réellement. Dans le mouvement social, il y a eu beaucoup d’expériences, je le sais bien. Certains ont été présents sur des listes, d’autres ont participé à des exécutifs. Je continue à les estimer. Certains sont des écorchés vifs, on sait bien qu’ils et qu’elles ne se laissent pas instrumentaliser.

Mais quand on rentre dans une logique collective, la seule garantie politique pour ne pas se laisser absorber par ce système institutionnel-là ne peut pas être d’avoir que des écorchés vifs dans les postes où il faut. Il faut être cohérent. Si la droite est reconduite, il faut lui opposer une gauche radicale, unitaire, indépendante, capable d’apporter un débouché politique aux luttes sociales. Si le PS l’emporte, il lui faut une opposition très forte à sa gauche. Contrairement aux trente dernières années, il pourra y avoir alors une incidence sur le rapport de force, y compris sur le système institutionnel. Du point de vue de l’espoir, nous pensons que notre stratégie est la bonne. On peut aussi regarder ce qui s’est passé au niveau international, par exemple ce qu’a fait Rifondazione Comunista en Italie ou ce que s’apprête à faire la direction de Die Linke en Allemagne. On n’a pas le droit de décevoir demain les espérances d’aujourd’hui.

Mais le mouvement social, les luttes expriment souvent leur besoin d’élus, qui se battent et qui pèsent…

O.B. Oui, mais dans quel système institutionnel ? Car la question du pouvoir comme question stratégique, elle n’épargne personne. Ce n’est pas seulement la gauche politique qui doit en discuter. Et cette réflexion, on doit l’avoir non seulement en France mais aussi depuis l’expérience du Venezuela ou du mouvement zapatiste. Notre idée, c’est de « prendre le pouvoir sans se faire prendre par le pouvoir ». En effet, si on veut faire un nouvel objet politique, en termes de révolution culturelle, c’est aussi admettre que nous ne sommes pas condamnés à être éternellement minoritaires. On peut créer des majorités d’idées et notre but, c’est qu’un jour, ces idées gouvernent. Mais même avec un gouvernement anticapitaliste, quel que soit son échelle, le problème du type de fonctionnement du pouvoir demeure. Et toutes nos options impliquent qu’il y ait une masse de la population, sans parler du mouvement social organisé, qui fasse irruption sur ce terrain-là. Sinon, cela ne marchera pas.

Le NPA veut être le parti des luttes. Mais ce n’est pas si évident pour le mouvement social d’avoir « son » parti. L’échec de Rifondazione Comunista en Italie en a aussi montré la difficulté. Comment l’appréhendez-vous ?

O.B. Le problème, c’est d’être le carrefour entre une gauche sociale et une gauche politique. En France, on nous fait le procès que nous ne sommes pas tentés par le jeu institutionnel. Mais on a été vacciné par l’expérience brésilienne et l’expérience italienne ! Rifondazione apparaissait comme un correspondant possible à une mobilisation sociale forte. Et la gauche s’est suicidée, notamment à cause de la logique de la solidarité de gestion. On a ainsi vu certains parlementaires de Rifondazione qui manifestaient contre l’envoi des troupes en Afghanistan et qui se retrouvaient ensuite sur les bancs du Sénat et de l’Assemblée italiens à voter l’envoi des troupes en raison de la solidarité de l’exécutif avec Romano Prodi. On ne peut plus aujourd’hui se permettre cette désillusion. Dans les discussions qu’on a entre nous en ce moment, il est justement question de consolider nos liens avec des nouvelles organisations, en Italie, en Allemagne, en Pologne, en Suède, en Irlande, pour essayer de bâtir une nouvelle force anticapitaliste européenne. Le PSE a son parti, les Verts et le PC aussi. Cet espace politique de l’anticapitalisme, il va falloir l’occuper.

Vous avez reçu froidement l’idée d’une alliance avec le Parti de gauche et le PCF pour les élections européennes. A votre dernier Comité d’animation nationale, la discussion a semblé moins close. Le camp antilibéral n’a pas de divergences programmatiques majeures. Qu’est-ce qui empêcherait des listes communes ?

O.B. Ce qui nous anime, c’est autre chose. Toute la gauche a les yeux braqués sur les élections européennes. C’est bien beau, mais on a une autre perspective, celle de la grève générale du 29 janvier prochain et, vu ce qui se passe en Italie et en Grèce, je pense vraiment que ça peut tout changer. Je trouve ça hallucinant qu’on puisse se réfléchir à partir des échéances électorales. Après, nous allons discuter. Pour le moment, il y a comme un parfum de déjà vu : si c’est pour faire du réchauffé de l’après 2005 et de la candidature unitaire, en oubliant ce qui n’a pas pu se faire à l’époque, non, merci ! Les raisons de l’échec n’ont pas été réglées depuis. On ne peut pas remettre cent balles dans la machine simplement pour faire un score à deux chiffres. Si c’est ça la discussion, je passe mon tour !

Par contre, si on a une discussion sur le contenu, sur quel type d’alternative on fait naître à partir des luttes et de la crise du système capitaliste, c’est différent. Ensuite, il est faux de dire que nous sommes d’accord sur tout. Ce n’est pas vrai. Par exemple, nous proposons un service public bancaire unique qui ait le monopole du crédit et non pas un pôle public qui évoluerait dans un espace privé. On propose de réunifier toutes les banques publiques et privées, en expropriant les intérêts privés sans rachat, sans indemnité, pour financer un plan de relance sociale, en augmentant les salaires, en interdisant les licenciements et en développant les services publics. Il ne s’agit pas de laisser de la concurrence. Est-ce qu’il s’agit de laisser de nouveau de la place pour le keynésianisme ou s’agit-il d’avoir une option clairement anticapitaliste ? La discussion est profonde et doit avoir lieu.

Vous voulez dire qu’actuellement, cette discussion-là n’existe pas ?

O.B. Non, cela veut dire qu’on va l’avoir. Mais on va prendre le temps. On ne va pas nous refaire le coup du score à deux chiffres et de l’unité, au détriment de ça. On a assez donné. J’ai passé des mois, après 2005, à mener une campagne où je disais qu’il y avait un problème de contenu entre nous. On me répondait : « Non, tu casses l’ambiance. » J’avais raison, puisque juste après la présidentielle, Marie-George Buffet a été voir Ségolène Royal, et José Bové, entre les deux tours, apparaissait comme ministrable. C’était leur droit le plus strict. Mais j’aurais aimé qu’on débatte de ce désaccord, avant et devant la base. Cela veut dire qu’il faut qu’il y ait un débat et qu’il soit assumé en tant que tel.

L’alternative anticapitaliste, c’est clairement ne pas donner l’illusion qu’on pourrait d’une manière ou d’une autre, moraliser le capitalisme. Entre un plan de sauvegarde pour le peuple ou un pour les banques, il faut choisir. Quand je discutais du réformisme sincère, j’aimerais avoir la discussion de fond avec eux. Est-ce qu’il y a encore de la place pour le réformisme, au sens premier et historique du terme ? Ceux qui sortent du PS ou de la gauche radicale, qui ne veulent pas aller au NPA, je l’entends et je le respecte. Mais ce que j’aimerais, c’est qu’on discute pourquoi. Il y a une séquence nouvelle qui est en train de s’ouvrir et nous allons y prendre notre place. Mais nous ne lâcherons pas la proie pour l’ombre.

Au-delà de la discussion que vous aurez sur le nom de votre parti, ne croyez-vous pas qu’il faudrait construire autour de l’idée du post-capitalisme plutôt que de l’anticapitalisme ?

O.B. Nous sommes bien conscients que le nom de « NPA » a un inconvénient, dans la mesure où nous apparaissons d’abord en négatif. En même temps, il a le mérite d’être clair. La refondation programmatique d’un projet d’émancipation sociale qui fera vibrer à nouveau des millions de personnes, cela ne va pas naître du NPA seul, de la réflexion féconde de tel ou tel intellectuel. Cela naîtra d’expériences fondatrices. Nous ne sommes qu’aux prémices d’un cycle de remobilisation dans lequel il commence à y avoir quelques expériences fondatrices. Mais il en faudra plein d’autres. Peut-être que ce projet de société s’appellera autrement, écosocialisme, communisme, autogestion libertaire, etc. Un nouveau nom finira par s’imposer. Dans l’Histoire, chaque fois qu’un mot a apporté quelque chose, c’est parce qu’une expérience collective le portait et que cela ne faisait plus débat à ce moment-là.

Entretien réalisé par Emmanuelle Cosse, le 16 décembre 2008

Paru dans Regards n°58 janvier 2009

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