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L’HOMME APPARTIENT-IL A LA NATURE ?

Publie le vendredi 2 juillet 2004 par Open-Publishing
6 commentaires


de Patrick MIGNARD

Question apparemment saugrenue. Pourtant, tout dans son attitude, dans ses rapports avec elle montre qu’il se situe, sinon en dehors de la Nature, du moins dans un statut qui le place en marge d’elle.

Le rapport de l’homme à la nature n’a rien à voir, fondamentalement, avec les rapports qu’entretiennent les autres créatures vivantes avec celle-ci. L’Homme ne vit pas « dans » la nature, « avec » la nature…. il l’instrumentalise. Elle est son objet… elle n’est pas le lieu de son existence, elle est l’instrument de ses conditions d’existence.

C’est une question que nous devons poser pour espérer résoudre sur le fond et socialement les problèmes écologiques qui sont entrain de nous tomber dessus.

LE DIVORCE HOMME / NATURE

Dans les temps immémoriaux de ses origines, l’homme était un animal au même titre que les autres, il appartenait à la nature et il vivait de la nature, c’est-à-dire de ce qu’elle lui procurait directement. Il ne vivait pas en harmonie avec la nature, il vivait « de la Nature », « dans la Nature ».

Très vite l’Homme a essayé de donner un sens à ce qu’il observait, à ce qu’il vivait. Les phénomènes naturels dont il était le bénéficiaire, mais aussi la victime, il ne les a pas simplement subi comme font tous les animaux, il a essayé de les comprendre, de leur donner un sens, de les interpréter. Dans cette démarche il a soumis la Nature à ses propres désirs et fantasmes. La Nature s’est peuplée de ses divinités et a pris un sens exclusivement dépendant de l’esprit humain. Dès lors, on ne peut plus dire que l’Homme et la Nature ne font qu’ « un »… l’Homme regarde la Nature d’un œil « extérieur ». Il « est » et la Nature « est » de son côté… d’ailleurs n’a -t-il pas l’impression d’être une créature divine ?. Il a un avenir qui n’appartient pas à la Nature,… qui est ailleurs… un « autre monde » étranger à celle-ci.

La découverte du feu l’a totalement distingué et séparé des autres animaux. Tous avaient, et ont, peur du feu… lui a maîtrisé sa peur et a maîtrisé le feu… il est devenu le Maître…. C’est tout le mythe de Prométhée.

Pour expliquer, ou accepter, ce qu’il ne maîtrise pas, la Mort, il a trouvé « la solution » en dehors de la Nature…Dieu. La nature est explicable, maîtrisable, objet de connaissance. Dieu est objet de foi et de mystère. L’Homme a inventé Dieu pour expliquer la seule chose qu’il est sûr de ne pas comprendre : sa Mort. L’Homme n’a de compte à rendre qu’à Dieu… il n’a pas de compte à rendre à la Nature.

LE BESOIN DE DEPASSEMENT DE LA NATURE

La seule limite à l’Homme c’est Dieu qui signifie l’objet de son mystère, la Mort. La seule limite de l’Homme au regard de la Nature c’est la connaissance. Or, la connaissance progresse sans cesse, elle renforce la maîtrise de l’Homme au détriment de la Nature qui cède du terrain à celui qui en dévoile ses secrets, ses lois.

Savoir. Le fait de vouloir « savoir », peut importe la raison qui motive ce désir, change le rapport à la Nature. On peut, sans trop craindre de se tromper, affirmer que ce besoin, ce désir de savoir est une des caractéristiques de ce qu’est l’Homme. Doué d’une intelligence spéculative et pratique, il dispose ainsi de l’outil lui permettant d’aller au-delà de ce qu’est la vie animale : la réalisation de besoins essentiellement guidés par l’instinct… il se crée son propre univers de besoins et pour cela « plie » la Nature à ses désirs. Dés lors la Nature prend à ses yeux un caractère nouveau, elle n’est plus « celle qui donne », il est « celui qui prend ».

Etre en harmonie avec la nature devient alors pour l’homme une chimère, pire, un non-sens. Un tel état est vécu comme une capitulation de son pouvoir, de sa maîtrise. Cela dit il ne veut pas détruire la Nature, il veut d’ailleurs plus que l’utiliser… il veut l’instrumentaliser, c’est-à-dire la soumettre à ses besoins. Ses besoins il les décrète souverains… pour cela il prélève comme bon lui semble, il régule, il modifie, il transgresse les lois de la nature. Il utilise la connaissance qu’il a des lois de la Nature pour la forcer dans la relation qu’il a avec lui. Il ne la respecte plus. Il la viole…. Il n’y a pas d’autres mots !

MARCHANDISATION DE LA NATURE

C’est le stade ultime de l’instrumentalisation, de l’aliénation, de la soumission de la Nature à l’Homme.

Il l’a dépouillé du caractère un peu mystique et poétique qu’il lui avait jadis donné. Il l’a réduite, à un système d’équation (les lois de la physique), non pas dans un souci de l’avilir, mais de la comprendre… et enfin de l’utiliser. Doté de cette connaissance il est persuadé d’en avoir, à terme, la maîtrise, avilissant ainsi la connaissance en la mettant au service de la marchandise.

Au stade de la marchandisation l’homme va au-delà de la simple instrumentalisation technique de la Nature… il ne la soumet même plus au besoin de la collectivité, il l’a soumet à une entité nouvelle : le marché. Et là s’opère une extraordinaire mutation puisque le marché est déclaré… naturel (?) ce qui est le comble du cynisme.

Le développement de la puissance productrice de l’Homme s’est accompagné d’un développement aussi important des nuisances induites. Celui-ci comptait sur celle là pour les recycler et en éliminer les « dommages collatéraux »…comme il en avait été ainsi dans le passé,… mais les forces productives avaient atteint un tel niveau de développement que… le calcul était faux. Sa puissance de nuisance a dépassé les capacités de recyclage de la Nature. A trop la dominer, il l’étouffe, et par la même s’asphyxie ! Car la logique de production, et donc d’exploitation de la Nature qu’il a mis en place, ne connaît pas de limites, ni techniques, ni éthiques.

Mais il y a encore plus cynique que de faire croire que « le marché c’est naturel », c’est de faire croire qu’il y a compatibilité entre les lois du marché et la préservation de l’environnement. Le « développement durable », ce concept, pur produit idéologique d’un système en manque de justification, et de plus en plus sur le banc des accusés, est entrain de polluer la prise de conscience naissante.

En effet, on assiste aujourd’hui à un renversement de la démarche de l’Homme envers la Nature. Sa connaissance lui dit qu’elle l’a conduit au bord de la faillite de son entreprise. Les excès engendrés par les conditions marchandes de production et de consommation menacent, à terme, la vie sur la planète.

La Nature, in fine,et au seuil de l’agonie, se rappelle à l’Homme dans des termes qu’il connaît et qui lui font peur…la Mort. La dialectique de la Vie et de la Mort, passé par « pertes et profit », au profit, c’est le cas de le dire, d’une existence où tout est tarifé nous est rappelée alors que le système nous promettait l’abondance et le « bien être »…

Le rapport marchand créateur de Mort nous signifie clairement que la vie qu’il nous propose, qu’il nous impose, est bien une « non-vie »… au sens qu’il n’est pas capable d’assurer, sur le plan social on savait, mais y compris sur le plan de l’environnement, la préservation de la planète.

Aux delà des discours démagogiques et pseudo écologistes des petits et grands spéculateurs de la pensée politicienne, il va bien falloir un jour poser les vrais problèmes…et montrer que l’on peut vivre autrement : produire non pas pour l’accumulation du profit, mais les besoins ; consommer pour satisfaire des besoins et non pour permettre au capital de se valoriser… Il n’y va plus simplement de notre crédibilité en tant que créature intelligente… ou d’un quelconque choix idéologique… il y va tout simplement de notre vie. et /ou de celles et ceux qui viendront après nous.

Messages

  • Il n’y a pas de différence entre la nature et l’homme puisque l’homme n’est pas extérieur à la nature. Il est une partie de la nature. Il est un produit de la nature. Si la nature en a permis l’émergence c’est que, par nature, elle n’avait d’autre choix que de le faire. La nature fonctionne selon des lois physico-chimiques. Si ces lois exigent que l’homme disparaissent avec la nature qu’il détruit, il en est ainsi. Si on veut absolument injecter du sens dans ce processus(anthropomorphisme) on peut dire que le seul moyen qu’ait trouvé ’la nature’ pour se débarasser de l’homme c’est de s’auto-détruire en utilisant l’homme comme vecteur.Ce faisant on ré-introduit la distinction fallacieuse entre ’nature’ d’un côté et ’Homme’ de l’autre.

    La nature telle que nous la concevons ne survivra peut-être pas à notre destruction mais cela n’a aucune importance. La nature existe sur Mars même si ce type de nature ne nous sied pas. Ce type de nature a au moins le mérite de rendre encore notre existence impossible. Ce faisant, la nature en empêchant notre existence, empêche aussi toutes nos exactions....

    Si l’homme est une aberration de la nature, alors la nature fait oeuvre salutaire en se débarrassant de lui. Sa surmultiplaction à la surface de la terre est le moyen qu’elle a trouvé pour qu’en détruisant son éco-système il se détruise lui-même.

    On connaît les grandes étapes de l’évolution humaine allant de l’Homo erectus en passant par l’Homo habilis jusqu’à l’Homo sapiens ( celui qui sait).

    Il est étonnant que les anthropologues aient arrêté leurs recherches à l’Homo sapiens sapiens ( celui qui sait qu’il sait ) alors que notre 20ème siècle a vu l’apparition d’une dernière variante tout à fait fascinante : l’Homo buffonus irresponsabilis.

    L’Homo buffonus irresponsabilis s’inscrit bien entendu dans la grand lignée de ses illustres prédécesseurs. Il possède comme son ancêtre Sapiens sapiens les 3 cerveaux dont on doit la découverte du Dr Paul Mc Lean ( le cerveau reptilien des instincts, le système limbique des émotions et le cortex de la réflexion).
    A son corps défendant il est, lui aussi, tributaire de cet héritage qui a condamné ses aïeux à développer des couches successives de matière grise pour résister aux duretés de la nature.
    On sait que devenus suffisamment intelligents pour circonvenir les menaces qui pesaient sur eux, ces mêmes aïeux l’ont été aussi pour s’apercevoir qu’ils étaient mortels ( "je sais que je vais mourir"). En élaborant des défenses intellectuelles qui leur ont permis de survivre c’est-à-dire en augmentant régulièrement la puissance de leur "ordinateur personnel" ils ont involontairement mis au point le logiciel leur permettant de devenir conscients de leur finitude. On sait que cette prise de conscience correspond à la disparition du jardin d’Eden.

    On peut donc se demander si cette soudaine et douloureuse révélation n’est pas à l’origine de la fuite en avant qui a trouvé son apothéose dans l’Homo buffonus irresponsabilis. Fuite devant une menace ( conscience de sa propre mort) que malheureusement on transporte avec soi et qui ne cesse de vous déséquilibrer.
    Cette schizophrénie initiale est vraisemblablement à l’origine de comportements qui nous sont devenus tellement familiers que nous ne les percevons plus :

    -L’Homo buffonus irresponsabilis a envahi massivement la surface de la terre en se reproduisant inconsidérément
    -L’Homo buffonus irresponsabilis est fier de se reproduire.
    -L’Homo buffonus irresponsabilis ne reconnaît plus les siens et s’attaque à sa propre race qu’il extermine ou qu’il torture ( Shoa, Rwanda, Arménie…).
    -L’Homo buffonus irresponsabilis s’attaque à une bonne partie du règne animal pour se nourrir.
    -L’Homo buffonus irresponsabilis a transgressé les lois de la nature en matière de nourriture animale. (ESB).
    -L’Homo buffonus irresponsabilis a quasiment pillé toutes les ressources de la terre et est en voie d’ éliminer une bonne partie des autres espèces.
    -L’Homo buffonus irresponsabilis a mis en péril sa survie-même en fragilisant la planète qui l’hébergeait jusqu’ici généreusement ( effet de serre).
    -L’Homo buffonus irresponsabilis ne croit pas à ce qui lui arrive et reste toujours étonné devant les conséquences des actes auxquels il a largement contribué. ("Que fait la police ?" ; "Plus jamais ça !" "J’habite ici depuis 40 ans, je n’ai jamais vu ça !" )

    Placé dans l’incapacité de se penser en tant qu’espèce nuisible, habité par l’angoisse existentielle issue de la conscience qu’il a de sa propre fin, il fuit la menace qui l’obsède par une consommation effrénée et compulsive qui rend cette menace chaque jour plus probable. Déjà une nouvelle branche mutante apparaît l’Homo buffonus irresponsabilis dollaru$…
    La conscience que lui a donné son cortex est en fait une inconscience qui, si elle lui a été confortable pendant quelques millénaires, s’avère désormais terriblement dangereuse .
    On peut cependant lui reconnaître l’intelligence de participer très activement à sa propre élimination et s’émerveiller devant le zèle dont il fait preuve !

  • L’homme s’entretue , et les arbres non.
    Pourtant j aime ma condition d’homme.
    Il faudrait avant toute chose admettre que nous sommes des vecteurs de destruction de la nature. C’est ainsi….à quel moment de l’histoire de l’humanité a t on aidé la nature ? sourire.
    La nature de l’homme est d’utiliser la nature. S’il s’agit de trouver un équilibre entre l’utilisation de la nature et la capacité de cette dernière à se régénérer, je ne me fait aucun souci là dessus, la nature a été capable à partir de la soupe initiale, ou rien n’était joli, à créer ce débat …. On peut lui faire confiance non ?
    Que les humain étouffent dans leur pollution c’est déjà has been. Tout comme la guerre il recommence encore et encore à tuer , et si demain les trois quart des humains meurent par effet de pollution il recommenceront à polluer. J’en suis convaincu.
    Qui peut croire que l’homme prendra soin des arbres tant qu’il tuera son frère qui ne veut pas se résoudre de son plein grès à être son esclave…
    Est on prêt à remettre en question le droit de propriété ?
    Souriez les enfants vous regardent.
    Allez zou je file à l’eau voir si les girelles sont d’accord…

  • Bonjour,

    J’ai découvert très récemment cet article grâce à un lecteur qui l’a chaudement conseillé (il a écris, à lire absolument !) sur mon forum regard naturaliste (http://fr.groups.yahoo.com/group/regard_naturaliste/)

    J’ai tout d’abord envoyé le liens à beaucoup de connaissances, mais étonnemment peu d’entre elles ont réagit. Et pourtant... le moins que l’on puisse dire est que cet article est éclatant de vérité. Je suis cependant surpris, voir déçu, des réactions que je lis sur ce présent forum.

    Laissez moi tout d’abord préciser (sans rentrer dans les détails de mon CV) que je donne des cours pour une formation en ornithologie, notamment le cours de Taxonomie des oiseaux, science qui découle de l’évolution des êtres vivants à travers le temps. Et justement, cela m’a ouvert les yeux sur plein de nouvelles questions, notamment résumées dans l’article dont on parle. Je suis encore très profondément passionné pas ma science, l’ornithologie, mais de plus en plus j’ai envie de regarder tout ça dans un cadre plus large. Une de mes première démarche a été de créer le forum que je cite plus haut, et je reprend une partie de son introduction :

    "En m’intéressant de façon très approfondie (professionnelle) à l’ornithologie j’ai constaté que les questions qu’ouvrent la compréhension de l’apparition d’espèces, et surtout les questions concernant la protection de nos amis à plumes sortent largement du cadre strict de l’ornithologie. Respect des êtres vivants, agriculture, comportement par rapport à l’environnement, en bref, la position de l’homme dans la nature (et certaines questions philosophiques attachées) se posent tout naturellement aux passionnés de nature et de vie ouverts d’esprit."

    J’espère via ce forum, et d’autres discussions comme ici, découvrir comment on peut intégrer ces questions dans notre vie quotidienne. Car c’est bien beau de penser ceci ou celà, mais si c’est pour continuer à être un acteur de l’auto-destruction de nous même, cela ne sert à rien.

    De plus, bien que je sois entièrement d’accord avec l’article dans son ensemble, je pense que l’être humain (mais c’est pas le seul) a des "capacités" intéressantes, inexpliquées, qui montre que des tas de questions passionnantes restent en suspend. Que la vie est une exploration extraordinairement riche.

    D’ailleurs, tout ce que je souhaite, est que tout le monde profite de cette richesse (je parle pas d’argent) de notre vie, mais tout en respectant autrui, Homo sapiens, comme tout espèce animale et végétale.

    Cela semble pourtant si simple et si inaccessible...

    Enfin, inaccessible à l’ensemble pour l’instant, mais simple... qui a lu Krishnamurti ? Selon lui, cette exploration n’est peut-être qu’une exploration à l’intérieur de nous même où se situent toutes les réponses à nos questions... lorsqu’elles ont un sens !

    J’espère ne pas avoir été trop long

    Valéry Schollaert
    valeryschollaert@skynet.be

    • Bonjour,

      Je viens de retrouver cet article en rangeant mes documents, car l’ayant beaucoup apprécié je l’avais imprimé. Je l’ai relu avec autant de "plaisir"..et j’aimerais en prendre quelques extraits pour le livre sur lequel je travaille en ce moment. Ceci dit, il est possible que toutes ces crises que nous vivons par notre propre faute, imbécilité ou ignorance....ou encore perversité ne sont là finalement que pour éveiller notre conscience. Je pense que seul l’éveil de la conscience pourrait nous sauver de l’extinction....

      Je pense qu’A.Einstein avait raison quand il disait :

      "Il est indispensable que l’humanité formule un nouveau mode de pensée si elle veut survivre et atteindre un plan plus élevé" ;

      Merci encore pour ce très bon article, je m’étonne aussi des réactions négatives à son sujet.

      Eléonore