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50 ans de la Révolution Cubaine : Qu’est la liberté ?

Publie le mercredi 15 avril 2009 par Open-Publishing
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de Cristina Castello

L’indifférence —contraire de l’amour— est étrangère à la Révolution Cubaine et à Fidel Castro. Ils réveillent Éros ou Thanatos, l’éden ou l’enfer, l’amour ou la haine, d’après la vision de chacun. Découvrir son essence est une tâche cyclopéenne.

Plus que connaître l’histoire, il importe de penser à cette île avec ses lumières et ses ombres ; et aussi avec un peuple qui a une mystique. Il s’agit de désapprendre le regard capitaliste que —quoique nous le déplorions beaucoup— dans une plus ou moins grande mesure, nous avons intégré. Et de sonder l’essence même de la liberté ; de nous demander ce qui signifie être libre. Le sommes-nous, nous-mêmes ?

Tout le processus révolutionnaire qui a fait de Cuba un pays socialiste dès 1959, est connu comme la Révolution Cubaine. Précisément, le premier jour de 2009 fut le 50º anniversaire de son commencement, quand un groupe rassemblé autour de Fidel Castro a battu le dictateur Fulgencio Batista (1952-1958), et a pris le Pouvoir. Le Président a nommé magistrat Manuel Urrutia, et Castro a assumé le poste de Premier ministre jusqu’à 1976, date à partir de laquelle il a assumé la présidence.

La révolte fut initiée par l’assaut du Quartier Moncada le 26 juillet 1953 et, d’avance, Castro avait appelé à la grève générale avec cette consigne : « Révolution, oui ; coup d’État, non ». Le débarquement du yacht Granma en 1956, a donné l’impulsion définitive à la guerre. Quatre-vingt-deux francs- tireurs, avec entre autres Ernesto « Che » Guevara, Camilo Cienfuegos et Raúl Castro, ont pris pied sur cette terre ce jour-là. «  Ici nous sommes ! / le mot nous vient humide des bois, / et un soleil énergique se fait jour dans les veines », résonnaient les vers de Nicolás Guillén.

Ils portaient des armes : ils voulaient destituer Batista, un assassin qui a semé la mort, la faim et la corruption. Ils portaient des rêves, des valeurs —ces semences fondamentales pour Fidel—, et se repaissaient des idéaux de l’écrivain, poète et héros national de Cuba, José Martí : « Être cultivés pour être libres ».

Fidel s’est maintenu à cette charge jusqu’à 2006, quand —à la suite d’une affection intestinale sérieuse— son frère Raúl lui a succédé. En 2008, celui-ci a été choisi par le Parlement, après le renoncement de Fidel, il est de nos jours le commandant en Chef des Forces Armées Révolutionnaires, et le premier secrétaire du Parti Communiste.

Dès 1959, le « Commandant » —l’une des personnalités les plus importantes du XXème siècle— a subi plus de 600 attentats contre sa vie, et les États-Unis d’Amérique du Nord n’ont jamais reconnu les attaques contre l’Île. Il y a 47 ans ils ont imposé le blocus économique le plus cruel et prolongé qu’on ait connu. Son objectif était de détruire la Révolution Cubaine « […] à travers le désenchantement et le découragement fondés sur l’insatisfaction et les difficultés économiques […], refuser à Cuba l’argent et l’approvisionnement, pour diminuer les salaires réels et monétaires, pour causer la faim, le désespoir et le renversement du gouvernement […] ».

Pendant ce temps, ils accusaient Fidel d’être un dictateur. Mais, toujours les adversaires doivent se rendre à l’évidence de ce que, malgré le blocage et l’isolement, les indices d’éducation, de santé et d’alimentation placent l’île à la hauteur des pays développés.

Le terrorisme d’État des USA

Le blocus est un composant fondamental de la politique de terrorisme d’état de l’Amérique du Nord qui —sans pitié— blesse toute la population sans distinction. Depuis le triomphe de la Révolution, l’Empire s’est entêté à la battre. Il a commis des centaines d’attentats, même dans des lieux publics.

Dès que Fidel a pris le Pouvoir, a fait la réforme agraire, a commencé les transformations pour la santé, et a initié l’alphabétisation : la clameur par la culture de José Martí devenait certaine dans le petit pays. « J’ai vu / que j’ai déjà appris à lire, / à compter, que j’ai déjà appris à écrire et à penser/et à rire » (Nicolás Guillén).

Quand il était au cœur de la lutte pour la croissance du peuple, le 15 avril 1961 des avions américains déguisés avec des insignes cubains, ont attaqué trois aéroports et ont causé la mort de centaines d’innocents. Pendant ces deux jours, les USA se sont servis de mercenaires recrutés par la CIA au Nicaragua et ont envahi la Baie des Cochons, notamment sur Playa Girón.

Habillés pour tuer, ils ont dévasté l’île, par terre, mer et ciel, mais le gouvernement cubain a réussi à les battre en soixante-douze heures. Dans cet endroit, aujourd’hui, un musée existe qui reprend les détails de ce fait historique. Après cet assaut américain, Cuba a renforcé ses liens avec l’Union soviétique de l’époque et a reçu son appui.

Les attaques ont continué, certes. En 1962, John F. Kennedy a dénoncé la présence de missiles nucléaires soviétiques à Cuba, et l’URSS a retiré les armes tandis que le président américain a promis que les invasions seraient suspendues. Mais les pressions et les attaques ont suivi, avec les différents gouvernements du Nord. Quand l’URSS s’est effondrée, après la chute du Mur de Berlin, elle a révoqué l’aide à ses amis cubains et l’économie s’est violemment écroulée. L’île subit le blocus et était à nouveau dans la solitude.

Comment Castro surmonta-t-il la tempête du blocus ? Selon l’écrivain Gabriel García Márquez, Castro a pu le faire parce que sa vision de l’avenir de l’Amérique latine est la même que celle de Bolivar et Martí ; parce qu’il la voit comme une communauté intégrée et autonome, capable de bouleverser le destin du monde.

Il est certain que la Révolution Cubaine est « blanche ou noire » : pour la majorité, il ne semble pas exister de « gris » qui consisterait à prendre ce qui est bon et à repousser ce qui mérite d’être rejeté.
Bien qu’elle ne s’applique presque pas, à Cuba existe la peine de mort, qui a été utilisée —avec ou sans législation— par presque tous les pays, pour punir des crimes ou des idées, ce qui n’excuse rien.

En mars 2003, le Gouvernement a emprisonné 75 adversaires, des mercenaires qui recevaient de l’argent des États-Unis pour trahir la patrie ; et en avril, tandis qu’un exode massif de Cubains survenait, trois ravisseurs ont été fusillés — « les trois principaux, les plus actifs et brutaux, des ravisseurs d’une chaloupe »— et le monde a rugi. Le regard éthique, où je m’inclus, a crié ; me concernant, je n’accepte pas la peine capitale ni en temps de guerre ni en temps de paix. De nulle manière.

Quoi qu’il en soit, il faut se demander pourquoi le monde n’a pas tonné tous les jours, avec les morts en Palestine, au Liban, en Irak, en Afghanistan ... ; des morts dont la responsabilité est majoritairement de Georges W. Bush, un « terroriste » allié avec le sionisme. Pourquoi n’a-t-il pas éclaté avec tous les massacres que l’Empire a produits, y compris en Amérique latine ? Pourquoi ne rugit-il pas quand quelques pays théoriquement civilisés d’Europe agissent —de plus en plus— comme des États policiers, assassinent, torturent et emprisonnent ? Sans justice ni morale.

Il me semble qu’en principe, il y a deux raisons, la première est de toute évidence : la répulsion réactionnaire envers les gauches. Concernant le progressisme vrai ou supposé : ne sera-t-il pas qu’on exige le plus de celui qui a plus à donner ? Les mots de José Saramago, lors des fusillades de 2003, résonnent encore : « Jusqu’ici, je suis arrivé avec la Révolution Cubaine ».

Mais ... qui est Fidel ?

Ceux qui l’abominent, disent que c’est un dictateur, qu’il est responsable des tortures qu’il nie, ainsi que du manque de liberté d’expression, et critiquent la peine de mort.

Pour les spécialistes et les politologues, Fidel est un grand stratège militaire et un homme politique qui a créé une politique extérieure comparable à celle d’une puissance mondiale. Et il l’a fait avec le peuple, depuis une île qui est 84 fois plus petite que l’Amérique du Nord.
Selon certains sondages absurdes faits par certains médias, genre « The Times », il occupe la neuvième place des barbus du monde. La première et inamovible place est pour Karl Marx ; et les suivants sont Raspoutine et l’acteur Anglais Brian Blessed, puis Darwin, le père de la Théorie de l’Évolution et... Mince ! Jésus-Christ est le quatrième dans cette compétition futile. Quelle mascarade !

Curieusement, les premières influences idéologiques de Fidel, ont été les écrits de Primo de Rivera et la Phalange espagnole. Son père était galicien et il l’a fait étudier dans un collège religieux. Son « guide spirituel », le jésuite espagnol Armando Llorente, a rappelé qu’ils chantaient ensemble l’hymne phalangiste « Face au soleil ».

Après il a obtenu son diplôme de docteur en Droit Civil et fut licencié en Droit Diplomatique. Et le temps a volé. En 1958, devant l’interrogation de Llorente si la révolution en marche était d’un caractère communiste ou humaniste, Castro n’a pas douté : « Père, d’où je vais hériter le communisme si mon père est plus franquiste que vous ! ». Bon !

Mains de bisaïeul, Fidel a 82 ans, tête brillante et âme bondissante, a dit à Oliver Stone, dans le film « Commandant », que, ne pas se raser, lui a permis des économies de beaucoup de mois. On l’accuse d’être « totalitaire », et il dit qu’il l’est parce qu’il compte sur l’appui de la « totalité de la population » : Il a de l’humour. Certes, qu’on a fait de lui des milliers d’interviews, quelques films, vidéos, et livres.

Pourtant, apparemment personne ne lui a rien demandé directement et concrètement, avec dates, noms, données et témoignages, sur les martyres de tous ceux qui disent avoir subi les tortures supposées ; ni sur le manque de liberté d’expression, ou la prison. Non plus que sur l’exclusion de beaucoup d’artistes, voire de maints écrivains —des dissidents, certainement— , dont quelques-uns soldats des USA ; parmi eux Heriberto Padilla, Cabrera Infante, Reynaldo Arenas et Orlando Mediavilla. La personnalité de Castro est bien séductrice, c’est clair, et les vrais journalistes, capables de dévoiler toutes les vérités, ne sont pas au rendez-vous. Alors donc, où la vérité est-elle ?

Fidel. Il lit l’anglais mais ne le parle pas, il n’est jamais allé chez un psychiatre, et il l’attribue à sa confiance en lui-même ; il raconte que les plus grandes douleurs de sa vie ont été la mort de sa maman et celle du « Che ». Il a cessé de fumer pour avoir l’autorité de se battre contre le tabagisme, il aime cuisiner, il fait de la gymnastique et de la natation ; il aime la science, rêve que ses scientifiques découvrent le vaccin contre le cancer ; il est patient et discipliné, et a une imagination puissante.

À force de vivre, l’homme de La Havane sait qu’apprendre à se reposer est aussi important qu’apprendre à travailler. Très cultivé, c’est un lecteur invétéré d’économie, d’histoire, de littérature et de poésie. Il n’écrit pas de poèmes, mais il vise une cadence et une musicalité poétique pour ses textes.

Fanatique des films de Chaplin, il jouit de Cantinflas et de Gérard Depardieu ; il n’a déjà pas de préjugés envers les homosexuels, et dans la rue, les citoyens l’appellent par son nom, le tutoient, le contredisent : les gens se sentent en famille avec lui. Ennemi du culte de la personnalité, il n’est pas grandiloquent, mais réservé. Austère, à l’île on ne pourra voir un portrait ni une sculpture de lui ; et non plus des timbres postaux ou monnaies à son effigie : rien. La sobriété est l’une de ses marques.

Et, de sa vie privée, il ne parle pas, contrairement au cirque de l’intimité que les hommes politiques du monde ont commencé à montrer, surtout à partir de 1990. Sa compagne, depuis trente ans, est Dalia Soto del Valle, qui a eu cinq fils, dont les noms commencent tous avec la lettre A. On dit qu’il a eu au moins trois fils de plus, mais le seul qui est connu est Fidelito, fruit de son mariage avec Mirta Díaz-Balart.

Il refuse de s’exhiber ce qui ne l’empêche pas de reconnaître de vieilles rêveries avec Sophia Loren ou Brigitte Bardot. Nonobstant, on pense que son grand amour fut Celia Sanchez, amie et combattante depuis la lutte contre Fulgencio Batista. Vénérée par les Cubains, c’était le visage féminin des années 60-70 et elle est morte en 1980.

Et maintenant, quoi ?

Cuba et son peuple mythique « a cette substance connue / qui façonne une étoile ». Peuple renaît comme tel à partir de la « Révolution Cubaine », parce que jusqu’alors maintes gens avaient boité face à Washington. L’île était seulement une petite tache sur la carte, où les maffias faisaient leur nid. Aujourd’hui, quand dans la majorité des pays les êtres humains semblent orphelins au milieu de la multitude désabritée l’île a une mystique de la fraternité, et un grand amour pour la patrie.

Il y a une autre Cuba, c’est certain : celle de la maffia de Miami, où les dissidents travaillent pour l’Empire. Mais aussi ... pourquoi certains veulent-ils s’échapper ?

Par ailleurs, si nous empruntons la pensée de Simón Bolívar concernant « si un homme est nécessaire pour soutenir l’État, cet État ne devra pas subsister, et à la fin il n’existera pas », il faut se demander pourquoi Fidel n’a pas formé des jeunes pour assurer la continuité quand il aura quitté le monde.

« Condamnez-moi, l’histoire m’absoudra », a dit Castro dans le jugement du Moncada, le 16 octobre 1953. Qu’en dire ? Chacun a son opinion, à partir de la question : qu’est-ce qui est la liberté ?

Anesthésiés par les hot-dogs et la limonade multinationale, strictement surveillés dans un pays terroriste, les citadins nord-américains sont-ils plus libres sous le joug de l’Empire ?

Qui est-ce qui a moins de liberté : celui qui ne peut pas sortir de son pays mais a : maison, nourriture, éducation, santé ... ? Ou celui qui possède son passeport, tandis que manque l’indispensable : un toit, un travail, une école ? Rappelons que quand la Révolution a débuté, il y avait 30 % d’analphabètes et 60 % d’analphabètes fonctionnels, pendant que seulement 10 % avaient une certaine culture générale. Aujourd’hui 99,8 % de sa population est alphabétisée ; et 67 universités forment chaque année, gratuitement, 800 mille étudiants ; il y a 1médecin pour 260 habitants, et tout le service de santé —de la meilleure qualité scientifique— est gratuit.

Par hasard, les immigrants qui peuvent sortir de leur patrie pour trouver un lieu dans le monde... où on les assassine ou emprisonne sont-ils davantage libres ? Sont-ils libres, les chômeurs de plus en plus nombreux sur la planète, ou sont-ce les cubains, sachant qu’ils ont un travail ?

Est-il libre le pays le plus puissant de la terre, s’il transforme chaque ville en prison et que chaque personne devient suspecte ? Sont-ils libres, les habitants d’un pays qui annonce la Justice et ne l’exerce pas ? En un mot : qu’est la liberté ?

Le Géant du Nord, depuis dix ans, tient captifs les fameux Cinco (Cinq) Cubains, prisonniers de l’Empire. Ils sont accusés d’espionnage — et condamnés— sans preuves, ce qui mérite la réprobation du monde et des organismes internationaux concernés.

Un jour, Fidel Castro étant un étudiant avide de connaissances, on lui a défendu d’entrer dans une classe à cause de son militantisme politique. Il avait 20 ans.

Alors, il est parti à la plage, a médité et a abaissé sa bouche vers le sol en embrassant le sable. Après il est revenu, bien qu’il ait su qu’ils pouvaient le tuer.

Ce jour il a pleuré.
Qui pleure dans l’île aujourd’hui ?

* Cristina Castello est une poète et journaliste argentine bilingue (espagnol-français) qui vit entre Paris et Buenos Aires.

http://www.cristinacastello.com

http://les-risques-du-journalisme.over-blog.com/

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