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Le 8 mai 1945. Ce jour-là !

Publie le jeudi 7 mai 2009 par Open-Publishing
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Alors que les cérémonials de circonstance, les gerbes de fleurs et les discours commémoratifs rappellent l’infâme massacre du printemps 45, sur l’autre rive, la fin des dénégations des injustices, des fautes et des crimes du passé se fait attendre.

Certes, ces dernières années, les mea-culpa abondent. La reconnaissance des crimes au nom de l’Etat français a fait un pas non négligeable. Il a tour à tour été question de « tragédie inexcusable », « d’événements qui ont fait insulte aux principes fondateurs de la République » (1), de « fautes impardonnables », de « crimes du passé colonial français » (2) et même d’« épouvantables massacres » et de « déchaînement de folie meurtrière dans lequel les autorités françaises de l’époque ont eu une très lourde responsabilité » (3).

Pour certains, cependant, ces « concessions verbales » ne visent qu’à « préserver les échanges économiques et financiers, donc les intérêts de la France dans ses relations avec l’Algérie » (APS, 7 mai 2008). Soixante-quatre années ont passé, la cicatrice demeure béante. Les multiples colloques organisés sur l’une et l’autre rives n’ont pas encore fait toute la lumière sur ces événements dramatiques qui ont fait des dizaines de milliers de victimes innocentes (4). L’accès aux archives écrites, audiovisuelles et cinématographiques pose encore problème. N’est-il pas temps de dire enfin la vérité ?

Hormis quelques rares historiens et les familles des victimes chez qui la blessure demeure toujours aussi vivace, en vérité, peu de monde sait exactement ce qui s’est passé durant ce mois de mai tragique. Se recueillir pour réveiller et entretenir le souvenir, c’est bien, l’enraciner dans les mémoires et faire face à l’histoire, serait encore mieux. Des décennies durant, des pans entiers de notre passé ont été occultés ou ont à peine été évoquées dans les manuels scolaires.

Alors que dans tous les villages de France et de Navarre, les cloches de la libération fêtaient la capitulation du IIIe Reich grâce au sacrifice des jeunes de Sétif, Guelma, Kherrata, Draâ Benkhedda, Saïda, Bordj Menaïel, Tigzirt, Cap Dinet, Nassiria, Annaba, Batna, etc., dans ces mêmes contrées, au même moment, l’horreur atteignait des limites. L’armée française, aidée par la police, la Légion étrangère et les colons constitués en milices, célébrait la victoire dans l’horreur, en versant le sang des Algériens. 45.000 êtres humains furent sacrifiés sur l’autel de la bêtise. « Nous avons maté la révolte », écrivait fièrement Duval, le responsable en chef de la répression mais, poursuivait-il « s’il n’y a pas de réforme, cela recommencera dans dix ans ». Les « indigènes de la République », ces ouvriers agricoles, ces paysans, ces femmes, ces enfants, ces vieillards, et même les tirailleurs et les goumiers qui venaient de verser leur sang sur les champs de bataille européens, furent victimes d’un véritable crime contre l’humanité qui renvoie aux horreurs de la conquête.

La France coloniale et son rapport schizophrénique à l’histoire

Après des décennies d’amnésie, les langues se délient. La guerre imposée aux Algériens a retrouvé son nom. Les cadavres désignent leurs auteurs. Les suppliciés de mai 1945 commencent à sortir de l’oubli. Emboîtant le pas aux rares journalistes et historiens courageux qui ont osé dénoncer les tortures et les massacres, de hauts responsables politiques, encouragés par les médias, ouvrent à leur tour la boîte de Pandore des exactions coloniales. Effarées, les populations découvrent la terreur qui s’est abattue sur l’Algérie au lendemain de la libération, une terreur qui n’avait rien à envier à celle de l’Allemagne hitlérienne. Ordre était donné par l’Etat français à la police, à l’armée, à l’aviation, à la marine et à toutes les forces terrestres de briser « l’insurrection » et de noyer toute « révolte » dans le sang. Des douars furent brûlés. Des villages entiers furent effacés de la carte. Ratissages, tortures, enfumages, liquidations physiques devinrent le lot quotidien des « arabes » (5), dont 12.000 d’entre eux, sous les ordres du Maréchal Juin et du Général de Montsabert, ont sacrifié leur vie sous le drapeau français à Monte Cassino, en Corse, à l’Ile d’Elbe et sur d’autres fronts.

Le temps, qui s’est écoulé depuis, ne diminue en rien la flamme du souvenir. Les responsables des massacres collectifs n’ont jamais été inquiétés. « Ces crimes de lèse-majesté », comme les a qualifiés A.P. Esquivel, le prix Nobel de la paix de 1981, dont rien ne peut atténuer l’horreur, demeureront à tout jamais imprescriptibles. « On s’honore en disant la vérité, parfois en demandant pardon », disait à juste titre Bertrand Delanoë, le maire de Paris, à propos de « la barbarie de Sétif ». Il est grand temps pour la France d’aujourd’hui de se débarrasser de son complexe et d’affronter l’impensé colonial. De la reconnaissance officielle des responsabilités qui étaient les siennes, elle ne sortira que grandie. Au lieu de tergiverser sur le « rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » (6), l’élite politique ferait mieux de mettre fin à la guerre des mémoires pour s’atteler enfin à l’écriture des pages tragiques de son histoire.

La répression féroce qui s’est abattue contre les manifestants pacifiques du 8 mai 1945 a rendu les fractures plus profondes entre colonisateurs et colonisés. Le sang versé durant tout le mois de mai 45 a rendu inéluctable l’insurrection générale dix années plus tard. Mai fut le grand signal, le prélude à l’éveil des consciences. Les atrocités vécues ont accéléré la conviction de l’indépendance face à un colonialisme à nul autre pareil, qui, 132 ans durant, a piétiné tous les principes moraux et humains. L’amnésie a suivi l’amnistie et le silence a succédé au bruit assourdissant des pages arrachées de l’histoire. La conscience de l’humanité, qui s’indigne chaque année de l’holocauste juif, semble peu concernée par les génocides et ses ethnocides de la colonisation sur lesquels pèse une lourde chape de plomb amnésique.

Exorciser le passé afin de le dépasser

L’histoire coloniale ne semble intéresser personne. Ils sont très peu nombreux les chercheurs et historiens sérieux des deux rives qui tentent de faire la lumière sur ce passé maudit. Ceux qui croisent leurs témoignages ont déjà réussi à faire sortir cette guerre de l’oubli. Ce travail d’histoire doit se poursuivre. Cinéastes, écrivains, journalistes doivent à leur tour s’investir pour faire connaître ce passé tumultueux et passionné, avant que l’hydre xénophobe et raciste, que l’on voit ressurgir, n’alimente les incompréhensions et l’oubli définitif. Tout autant que le cinéma, la télévision continue de bouder la mémoire historique. L’absence de documentaires, de films de fiction et même d’ouvrages sur les périodes tragiques de notre histoire, est assez symptomatique. Mais, dans un pays où l’opportunisme a droit de cité, il est normal que plus de dix mille faux moudjahidine continuent à se remplir les poches en crachant leur venin sur ceux qui ont osé les dénoncer. Avec un sens poussé du ridicule, les apprentis historiens n’hésitent plus à plonger leurs plumes dans les plaies béantes en pratiquant la provocation outrancière (7).

Soutenue avec continuité, obstination, hargne parfois et beaucoup d’aveuglement, l’histoire coloniale officielle s’acharne à masquer les crimes d’Etat contre un peuple. Nous sommes loin du travail précieux d’investigation et des témoignages qui font sortir cette guerre de l’oubli (8). La colonisation, une page d’histoire qui n’en finit pas de s’écrire, une histoire que l’on s’évertue à ne regarder que par le petit bout de la lorgnette. Le rituel est désormais immuable. Pour preuve, la loi du 23 février, toujours en vigueur en dépit du retrait de l’infamant article IV, qui visait à faire enseigner les « bienfaits » de la colonisation. Oublié, le visage hideux de la conquête coloniale. Oubliée, l’OAS fascisante dont on voulait indemniser ses criminels. Oubliés les drames, les pillages, les assassinats collectifs, les tortures. Le contentieux historique appelé « Guerre des mémoires » est bien entretenu. La sémantique est appelée à la rescousse pour faire oublier la reconnaissance des crimes coloniaux. Triste état dans lequel se trouve actuellement le débat historique et politique, avec sa phraséologie outrancière et ses obsessions dénonciatrices, qui continuent d’animer le melting-pot politique préoccupé par la mystification idéologique du passé qui l’aide à régler ses comptes. Lorsqu’on voit des tapis rouges se dérouler devant les nécrophages, ces vers qui viennent se repaître de la décomposition de la chair, il y a de quoi s’inquiéter. A travers leurs pamphlets satiriques et leurs clichés éculés, on constate que la page est loin d’être tournée.

Sur les plateaux des chaînes de télévision, les « témoins » qui se succèdent revivifient ainsi les années traumatisantes au lieu de les exorciser et de les dépasser. A force d’en rajouter ici et là, ils aboutissent fatalement aux clichés et à la démesure. Et comme on ne le sait que trop bien, tout ce qui est excessif est insignifiant. « La France n’entend pas, n’entend plus occulter les faits », disait le diplomate Barjolet. Alors, qu’est-ce qui empêche d’en finir avec les dénégations ? En attendant l’accès aux archives (promis pour... 2037), en attendant que les historiens puissent travailler dans la sérénité et en attendant que les compétences discrètes et efficaces s’expriment, une pensée à tous ceux qui ont subi les affres de la colonisation.

Notes :

* Les manifestations nationalistes du 1er mai 45 avaient été réprimées dans le sang à Oran et Alger. L’AML (Amis du Manifeste et des Libertés) et le PPA (Parti du Peuple Algérien) se sont abstenus de demander aux Algérois et aux Oranais de défiler à nouveau le 8 mai.

1. Hubert Colin de Verdière le 26 février 2004, appuyé par son ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, en visite officielle le 13 juillet 2004.

2. Le Président français, en visite officielle à Constantine, en décembre 2007.

3. Bernard Bajolet, ambassadeur de France, à l’université de Guelma, le 22 avril 2008.

4. L’instrumentalisation du nombre de morts est symptomatique :

de 45.000, on passe à une fourchette de 6 à 25.000 pour les historiens français, pour aboutir à 7.000 victimes pour les autorités françaises.

5. Lire, à ce propos, « L’Algérie hors la loi », Ed. du Seuil 1995, et Mustapha Lacheraf, « Algérie et tiers-monde », Ed. Bouchène 1989.

6. Loi Fillon votée par le Parlement français la veille de la commémoration du 8 mai 1945.

7. « Un mensonge français. Retours sur la guerre d’Algérie », Georges-Marc Benamou, Ed. Robert Laffont, 2003.

8. Lire « Algérie, une guerre sans gloire », Ed. Calmann-Lévy 2005 et Ed. Chihab, Alger. Voir également le film documentaire de Yasmina Adi, 2008, « L’autre mai 45. Aux origines de la guerre d’Algérie », qui lève un voile sur les mécanismes et les conséquences de la répression coloniale qui ont mené au 8 mai 45.

http://www.lequotidien-oran.com/?news=5120424

Messages

  • La France, ce n’est pas tous les Français, Charles Tillon, pourtant ministre communiste et anti-colonialiste de l’aviation, lors des massacres de Sétif a été tenu dans l’ignorance totale de ces ignobles opérations de "maintien de l’ordre colonial.