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Casser le service public et marchandiser la santé et l’éducation

Publie le mardi 26 mai 2009 par Open-Publishing

Du 15 au 17 mai la coordination nationale des hôpitaux et maternités de proximité organisait ses 12ème rencontres. Une universitaire est intervenue pour montrer l’intérêt de la convergence dans les luttes pour les services publics


Brève comparaison entre la loi « hôpital, patients, santé et territoire » (dit Bachelot) et les lois Pécresse (mai 2009) HOPITAL / UNIVERSITE

Idée : L’université emprunte le même chemin que l’hôpital public - l’hôpital a, si l’on peut dire, une longueur d’avance sur l’université

Au départ, deux convictions (côté gouvernement)

1/ alléger les dépenses publiques, c’est se donner les moyens d’alléger les impôts, donc de libérer l’épargne des plus riches : c’est leur donner les moyens d’investir dans l’économie, de créer des entreprises, de créer des emplois, de donner du pouvoir d’achat aux gens, et de relancer la croissance

=> des riches plus riches, c’est bon pour la collectivité nationale

2/ le progrès passe par le développement de l’esprit de compétition : c’est comme ça que chacun est encouragé à se dépasser, à faire mieux, donc à faire du bien aux autres

2 objectifs principaux

1/ réduire les impôts, donc réduire les dépenses publiques

2/ introduire de la concurrence là où il n’y en a pas ou peu

Où ça ?

 là où il y a des fonctionnaires, c’est-à-dire dans les trois grandes fonctions publiques : celle de d’Etat, celle des collectivités territoriales, celle de l’hôpital

 là où on dépense l’argent public (services publics étatiques notamment)

 là où prévaut autre chose que la logique de la compétition (solidarité, coopération, redistribution…)

En disant quoi ?

 que les dépenses publiques sont improductives (ce qui est faux : investir dans les routes, les écoles, les transports, la sécurité, le développement des territoires, c’est bon pour « l’économie réelle », ça contribue à élever la productivité d’un pays)

 qu’elles ont abouti à d’immenses bureaucraties qui fonctionnent mal (ce qui est vrai en partie)

 qu’il faut donc recentrer l’Etat sur son « cœur de métier » (emprunt au management) : défense, sécurité intérieure, justice, économie/finances

 qu’il faut donc réduire son périmètre d’intervention : non seulement dans les services publics dits industriels et commerciaux (qui ont presque tous été privatisés - La Poste étant le dernier à y passer) mais aussi dans tous les autres services publics où prévalait jusque là, au nom de leur caractère fondamental, un principe de gratuité ou de quasi-gratuité : notamment la santé, l’éducation, la culture

Au nom de quoi ?

de la stratégie de Lisbonne (« faire de l’UE l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde d’ici 2010) => domaines privilégiés = recherche, éducation, santé

I. ­ Logique d’ensemble : un système à 2 vitesses

affaiblir le service public pour favoriser le développement d’une offre privée

Hôpital (scénario prévisible) : lois qui visent à substituer à la notion de « service public hospitalier » celle de « missions de service public » qui pourraient être assurées par tous les établissements du secteur

• on laisse les hôpitaux se paupériser, les soins se dégradent, les plus aisés se tournent vers les cliniques (qui refusent de prendre en charge les plus pauvres et les pathologies les moins « rentables »), les plus pauvres restent à l’hôpital, l’écart de prestations (et de coûts : pathologies plus lourdes et moins « rentables » à l’hôpital) s’accroît

• ce qui est rentable est transféré au privé, on laissera au public les moins rentables (personnes âgées, pauvres, précaires, patho lourdes)

• les plus aisés vont finir pas ne plus vouloir payer pour d’autres qu’eux (« moins d’impôts ! »), les pressions sur le système hospitalier (réduction des sites, des coûts…) vont s’accroître

=> suppression à terme de services publics non rentables

=> développement parallèle de l’assistance (organisations caritatives)

=> fort essor des cliniques et « hôpitaux privés »

=> un système à 2 vitesses se met en place

Université (scénario prévisible)

• on laisse les universités de taille petite et moyenne (pluridisciplinaires) se paupériser, l’offre éducative et de recherche se dégrade, elles sont transformées en « collèges universitaires » (niveau L)

=> les étudiants plus aisés se tournent vers les universités de grande taille + grandes écoles + établissements sup privés

=> les plus pauvres restent dans les « collèges » (où on ne fait plus de recherche)

=> fort essor d’un enseignement sup privé

=> système à 2 vitesses, inégalités territoriales et sociales accrues

II. ­ Outils de mise en place des réformes

1) Pas de réforme avec tambour et trompettes mais une avalanche de réformettes : plus on bombarde l’adversaire de réformes, plus on l’affaiblit (il ne sait plus où donner de la tête, il est à la fois sur tous les fronts et nulle part)

Hôpital : loi hospitalière de 1991, ordonnances Juppé de 1996, plans "Hôpital 2007" puis "Hôpital 2012", et maintenant la loi HPST

Université : réformes (LRU, Pécresse, etc.) sur les conditions de gestion des U (décollégialisation), conditions de recrutement des EC et de gestion de leur carrière (fin du jugement par les pairs), conditions de formation des enseignants du primaire et du secondaire (assèchement concours de la fonction publique), éclatement CNRS, etc.

2) Pas de débat démocratique

 une phraséologie qui subvertit le sens originel des mots « réforme » = destruction service public

 une rhétorique bien rodée

. « le service public est en crise ! il ne fonctionne pas bien ! »

. « nous sommes en retard sur les autres : il faut à tout prix rattraper ce retard »

. « regardez votre place dans les palmarès : on est trop bas, il faut remonter ! »

 un processus présenté comme inéluctable

 des décisions tranchées par des experts, un débat enclos dans l’espace technocratique

=> des réformes dont la logique d’ensemble ne se découvre que progressivement et dont l’éclatement nuit à l’organisation de résistances et d’une contre-mobilisation

3) Une logique de division

Outils ?

* des calendriers différents : repères temporels différents. Exemple : Universités : 3 « vagues »

* une logique « dilemme du prisonnier » => jeux d’anticipations croisées sur ce que fait le voisin qui nuit à la coopération et à la solidarité

Universités : « l’université d’à côté ne va-t-elle pas remonter ses maquettes de diplômes ? Dans le doute, remontons les nôtres »

4) Modalités concrètes de mise en œuvre SFR (acronyme de mon cru)

. on Supprime (les établissements, les activités, les emplois de fonctionnaires, via le non remplacement des départs en retraite)

. on Fusionne (au nom de la lutte contre les « doublons », les services redondants…)

. on Réduit (le périmètre d’activité, le nombre de services)

Hôpital : mise en place de « communautés hospitalières de territoire », qui permettront de mutualiser certaines fonctions ou activités.

Argument ? améliorer les coopérations locales et les parcours de soins

Universités : série de plans (PRES, pôle de compétitivité, plan Campus…) qui contraignent universités à « mutualiser » activités et services autour d’un seul et même pôle d’excellence.

=> ce sont là les préconisations de la vaste réforme qui affecte toute la fonction publique d’Etat, la RGPP (Révision générale des politiques publiques qui a été pensée par des hauts fonctionnaires, des chefs d’entreprise, des experts en management et des responsables de cabinets de consultants) qui est mise en œuvre depuis 2009

=> inégalités s’accroissent, services publics qui contribuent pourtant à la productivité du pays sont de plus en plus affaiblis, et investissements attendus n’ont pas eu lieu (le désir de faire de l’argent pour de l’argent l’a emporté)

5) Des instruments d’action étatique à distance (relevant du nouveau management public)

Un exemple comptable et budgétaire

Hôpital : la « T2A », la tarification à l’activité

principe : hôpital réduit à un pourvoyeur d’actes de soins (critère privilégié : durée de séjour des pathologies)

visée : réduire cette durée, éliminer les « soins » non rentables et trop coûteux en personnel (gériatrie, psychiatrie, soins palliatifs)

Université

avant on avait San Remo : qui prenait en compte des effets de taille, de coûts de fonctionnement différents par classe de formation

désormais on a « SYMPA » Logiciel "Système de répartition des moyens à la performance et à l’activité" (opérationnel depuis le 1er janvier 2009) : avec lui, on ne peut augmenter la masse salariale (le gouvernement agit à distance)

=> répartition de la dotation au prorata des étudiants (4 pondérations dont : inscrits, présents aux examens, ayant réussi, etc.) et des enseignants-chercheurs publiants.

6) Un exemple de technique incitative : le benchmarking (comparaison-émulation)

 Ça consiste en quoi ? à donner aux gens des moyens de se comparer constamment avec les autres et de mesurer les écarts entre sa position et celle des autres. Ça va de pair :

. avec le développement des méthodes d’évaluation (reporting, emprunté au privé) : fixation d’objectifs, de critères, de délais, résultats, bilan, récompenses/sanctions + nouveau cycle d’objectifs-critères-délais-récompenses/sanctions, etc.

. avec un discours de valorisation des « meilleurs » et de stigmatisation publique des « médiocres »

 Pourquoi ça marche ? parce que c’est une forme douce de coercition

Hôpital : palmarès des hôpitaux

=> critères contestables (taux d’infections nosocomiales, de morts, etc.) qui ne tiennent pas compte des caractéristiques globales de la population des patients et du territoire

Université palmarès des « licences pro », des « masters », des « universités », palmarès de Shangaï (construit n’importe comment)

=> critères contestables qui ne tiennent pas compte des caractéristiques globales de la population des étudiants, des EC et des C

III. Conséquences : affaiblissement services publics

« Verticalisation » des deux systèmes

1/ mise en place d’exécutifs forts qui rendent des comptes directement au gouvernement,

=> le directeur d’hôpital rend des comptes au directeur d’agence régionale de santé qui rend des comptes à la ministre

=> le président d’U rend des comptes au recteur qui rend des comptes à la ministre

2/ pas de contre-pouvoirs

Une bureaucratisation croissante

renforcement des pouvoirs administratifs au détriment des « professionnels »

Hôpital renforcement des exécutifs locaux : directeur de l’UNCAM, des hôpitaux, des ARS (hauts fonctionnaires révocables par le gouvernement)

personnification du pouvoir : le directeur de l’H en devient le seul et unique « patron »

Université renforcement et personnification des exécutifs locaux : président, staff rapproché, direction administrative des composantes…

personnification du pouvoir : le directeur de l’U en devient le seul et unique « patron »

Vers l’extinction de la fonction publique

1/ suppressions de postes (départs en retraite non remplacés)

Hôpital 20 000 emplois menacés sur toute la France. Rien que l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) : 1 000 emplois doivent disparaître en 2009.

Universités - 1 090 postes

2/ précarisation embauches sous statut précaire (CDD) : bon instrument pour rendre les gens dociles

Universités : externalisation et disparition progressive des administratifs de catégorie C (par ex. dans la restauration)

3/ rémunération à la « performance »

Hôpital article 10 du projet de loi HPST crée un nouveau statut contractuel pour les médecins exerçant à l’hôpital : part de rémunération variable liée à la réalisation d’objectifs financiers

Universités ça commence : chaires d’excellence, primes accordées par le président, etc.

Conséquences négatives à long terme

Vision court-termiste. Or à long terme :

Hôpital : réduction de l’offre sanitaire à la population (qualité, diversité, sécurité)

Universités : réduction de l’offre d’enseignement et de recherche (qualité, diversité, accès quasi gratuit : hausse prévue des frais d’inscription)

Source : cordination nationale des hôpitaux et maternités de proximité

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