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Nouvel accident dans une centrale nucléaire nippone

Publie le mardi 10 août 2004 par Open-Publishing

La polémique est relancée après le sinistre d’hier, qui a fait 4 morts et 7 blessés.

Par Michel TEMMAN

Les trois derniers accidents nucléaires en date dans le monde se sont déroulés au Japon théâtre hier d’un quatrième incident. De quoi relancer la polémique, toujours à vif ici, sur l’insécurité du nucléaire dans l’Archipel. Le premier bilan de l’accident survenu hier dans l’après-midi à la centrale nucléaire de Mihama, dans la préfecture de Fukui, à 320 kilomètres à l’ouest de Tokyo, est de quatre morts et de sept blessés. D’après les premiers éléments fournis par l’Agence pour la sûreté industrielle et nucléaire nippone, une fuite de vapeur s’est produite à 15 h 28 au niveau des turbines du réacteur n° 3, d’une puissance de 826 000 kilowatts. Un plan d’urgence a été déclenché pour secourir les victimes et sécuriser tous les systèmes. Kansai Electric Power, propriétaire de la centrale, en a aussitôt stoppé l’activité. Onze personnes ont été hospitalisées. Quatre ont succombé, victimes d’insuffisances cardiaque et pulmonaire. Et au moins trois blessés seraient dans un état critique.

Choc. L’accident résulte-t-il d’une défaillance humaine ? D’une panne du condenseur de la turbine ? La fuite était-elle chargée d’éléments radioactifs ? Une enquête a été diligentée. Les réacteurs de Mihama sont à eau pressurisée (PWR) et dotés de deux circuits séparés. « Le circuit primaire est radioactif. Mais pas en principe le circuit secondaire, qui alimente les turbines à vapeur, explique un scientifique à Tokyo. Ce qui explique que la fuite de vapeur ait été annoncée comme non radioactive. Mais à 280 degrés, cela tue aussi. » La nouvelle a d’autant plus choqué hier que, dans un pays où le rejet du nucléaire est pour beaucoup une question de principe, l’accident a coïncidé jour pour jour avec la célébration du 59e anniversaire du bombardement atomique de Nagasaki (9 août 1945).

Méfiance. Afin de contrecarrer tout vent de panique, les autorités de Fukui ont voulu rassurer la population locale, répétant qu’il n’y avait « pas de fuite radioactive hors des infrastructures ». Mais quand il s’agit d’accident nucléaire, les Japonais se méfient. En particulier depuis celui survenu dans un laboratoire expérimental de la centrale de Tokaimura le 30 septembre 1999. Dans un premier temps, les autorités locales en avaient minimisé l’impact. Il s’est vite avéré qu’il s’agissait du plus grave accident nucléaire depuis celui de Tchernobyl. Avec un bilan pour le moins lourd : 2 techniciens tués (ils avaient reçu une dose de radiation 17 000 fois supérieure à leur exposition moyenne annuelle) et 439 personnes, dont 209 habitants, exposées à des doses de radiation plus ou moins élevées. En avril 2003 encore, la première compagnie d’électricité japonaise, la Tokyo Electric Power (Tepco), a dû stopper net 17 réacteurs nucléaires « pour raisons de sécurité » : des fissures et des fuites avaient été cachées aux autorités.

Si, dans l’Archipel, les mensonges répétés et les silences délibérés du lobby nucléaire font rarement la manchette des journaux, ils ne sont plus un tabou. Mieux : ils sont dévoilés et reconnus. Normal : aussi dépendant du pétrole aujourd’hui qu’il y a trente ans à l’heure du premier choc pétrolier, le Japon, pauvre en énergies fossiles et dépendant à 85 % des énergies importées, a adopté en 2002 un programme visant à augmenter de 30 % son volume d’électricité d’origine nucléaire d’ici à 2010 (43 % de son énergie sera alors nucléaire). En clair, cela signifie 9 à 12 réacteurs nucléaires supplémentaires dans les campagnes nippones. Soit près de 80 réacteurs en 2010, dont celui de Rokkasho, clé de voûte du futur ensemble. L’Etat nippon veut du coup multiplier les garde-fous. Vaste défi. Il y a deux ans, la presse a révélé une kyrielle d’accidents survenus dans plusieurs centrales du pays ces dernières années.

Scandale. L’accident d’hier survient d’ailleurs en plein scandale aux allures d’omerta sur les sommes faramineuses que le Japon dépense pour acquérir son Mox (mixed oxyde, combustible à base d’uranium et de plutonium). Après le ministère du Commerce et de l’Industrie, la Fédération des compagnies électriques et la Commission de l’énergie atomique ont reconnu avoir eu connaissance d’une étude datant de 1996 les informant de surcoûts (de 30 % supérieurs au prix du marché) liés à l’acquisition et à l’utilisation du Mox. Le Japon s’approvisionne en Mox auprès de plusieurs pays, dont la France. Le CEA nippon a préféré ignorer l’étude car elle remettait en cause sa « stratégie nucléaire à long terme ». « Nous n’avions pas l’intention d’ignorer ces données, mais nous pensions qu’elles n’étaient pas dignes d’être publiées », s’est défendu Teruaki Masumoto, vice-président de l’association des électriciens. L’affaire éclate alors que le Japon définit en ce moment même les grandes lignes d’une filière Mox qui ne fait pas l’unanimité. Dans la préfecture de Fukui, des groupes de Japonais contestent le projet du Kansai Electric Power de doter en Mox deux réacteurs de la centrale de Takahama, de peur qu’ils puissent être employés « à des fins militaires ».

Disparition. Si certaines craintes semblent justifiées, c’est parce qu’au Japon nul ne sait exactement si le nucléaire relève bien de la science exacte. L’an passé, en début d’année, un responsable de la centrale nucléaire de Tokaimura a reconnu que l’équivalent en plutonium de vingt-cinq bombes atomiques manquait à son inventaire. Mais pas de souci, assurait-il. « C’est le fait de mesures imprécises et d’erreurs de calcul. »

http://www.liberation.fr/page.php?Article=229433