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Venezuela : "Tous les partisans de Chavez veulent la justice sociale"

Publie le vendredi 13 août 2004 par Open-Publishing

Entretien réalisé par Bernard Duraud

Ce dimanche, les électeurs votent pour ou contre la destitution du chef d’État. Tour d’horizon des forces politiques en présence.

Carmen Teresa Navas Reyes, politologue et professeur à l’Université bolivarienne du Venezuela (UBV), répond aux questions de l’Humanité.

A la veille du référendum révocatoire, quel est votre sentiment sur la situation du Venezuela ?

Carmen Teresa Navas Reyes. Je crois que les gens, massivement, se sont identifiés aux mesures promises par le président au début de son mandat, notamment en matière de justice et de programmes sociaux, et ces promesses ont été tenues. Tout indique que cette relation va être consolidée à l’occasion du référendum de dimanche. En cette période de tensions et de crise, beaucoup pensent que le problème c’est le président Chavez et qu’à un moment donné il n’est plus nécessaire. Les partis et les dirigeants de l’opposition, je dirai également les États-Unis, estiment qu’en le révoquant le problème prendra fin. Ils ont d’ailleurs tout fait pour s’en débarrasser, qu’il s’agisse du coup d’État d’avril 2002, de la déstabilisation économique du début 2003, et maintenant de la carte référendaire qui, je le rappelle, tourne autour de la figure exclusive du président Chavez.

L’opposition regroupée dans la Coordination démocratique peut-elle gagner ?

Carmen Teresa Navas Reyes. J’en doute fort. Les partis politiques traditionnels, comme l’Action démocratique (sociaux-démocrates) et Copei (démocrates chrétiens) ne réussissent plus à mobiliser les opposants au gouvernement. Et la création de la Coordination démocratique est une tentative désespérée de répondre à ce problème. On assiste à un phénomène de dégénérescence de la nature de l’opposition elle-même, dans le sens où elle a cédé son champ d’intervention à des acteurs comme le patronat, les médias ou l’Église qui, eux, ont su tirer profit de l’affaiblissement des partis traditionnels. Quant au programme de la Coordination démocratique, " Consensus pour le pays", c’est une copie conforme de ce que Carmona a voulu mettre en oeuvre au moment du coup d’État raté de 2002 : privatisation du pétrole, ce qui pour Chavez n’est pas négociable, réduction des coûts sociaux et, le comble, suppression du référendum révocatoire !

Quelles sont les forces qui soutiennent Chavez ?

Carmen Teresa Navas Reyes. À l’intérieur de ce courant, coexistent des forces très mûres avec des projets bien définis, et d’autres plus centrées sur l’image présidentielle. Le peuple, dont une partie de la classe moyenne (les fonctionnaires, particulièrement les enseignants), c’est indéniable, appuie le président car il a la conviction d’avoir trouvé en lui un allié. Le référendum va décanter ce soutien populaire. Il y aura aussi des ruptures, car on ne peut pas indéfiniment survivre sur la seule relation d’exploitation de l’image de Chavez, sans projet politique. Quant au MVR (mouvement pour la Ve République), qui comprend aussi des gens de droite et du centre, il est resté sous la forme d’un parti qui prend les gens par la main pour avancer. Mais ses membres ne se sont pas vraiment préoccupés de proposer une alternative claire et de former des militants. Chavez n’avait pas de parti, il lui fallait une machine.

Il y a ensuite Patria por Todos, plus petit mais plus cohérent dans sa vision et dans la formation des cadres. Il a fourni le plus gros contingent pour les ministères ou la haute administration. Il est minoritaire en voix, ne disposant que d’un seul député à l’Assemblée nationale. Je le rapprocherai du PT brésilien, avec une doctrine de gauche, voire une base syndicaliste, notamment dans la sidérurgie. A leurs côtés, il y a une collection de petits partis dont le Parti communiste vénézuélien (PCV) à la légitimité historique et dont est issu le vice-président Rangel. On trouve aussi Podemos, scission du MAS (Mouvement vers le socialisme) qui a un rôle de pivot à l’Assemblée.

Et les cercles bolivariens ?

Carmen Teresa Navas Reyes. La première formation reste le MVR. Mais il n’a pas vraiment réussi à canaliser les forces populaires. C’est pour combler ce vide qu’ont été créés les cercles bolivariens. Avec plus d’un million d’adhérents, ils ont une grande capacité de mobilisation. Mais la faiblesse de ce mouvement serait de n’être qu’une étiquette, perdant de son énergie en luttes internes. J’ajouterai qu’en essayant d’institutionnaliser les cercles, on a affaibli le mouvement. Cela se vérifie chez les étudiants et au sein de la Fédération des travailleurs bolivariens. Toutefois si l’on prend l’ensemble de ces partis et mouvements que l’on trouve derrière Ch vez, je voudrai souligner que tous veulent la justice sociale, ce qu’on appelle nous " l’inclusion ". C’est le dénominateur commun. On ne peut pas parler de communisme.

Hugo Chavez est-il un populiste ?

Carmen Teresa Navas Reyes. Le président revendique parfois haut et fort des concepts en total divorce avec les concepts qui dominent aujourd’hui : globalisation, flexibilisation, mise sous tutelle de la souveraineté nationale ou réduction des politiques sociales. Dans cette vision-là, l’État doit être faible. Chavez au contraire réaffirme la force de l’État pour impulser les grands choix politiques et économiques et pour en corriger éventuellement les erreurs. Je sais qu’en Europe on parle souvent de populisme à son endroit. Mais ici c’est la garantie d’inclure dans la société 80 % de la population qui, ne l’oubliez pas, vit dans la pauvreté.

Où placez-vous l’armée dans cet échiquier ?

Carmen Teresa Navas Reyes. C’est une force en totale rupture. Pendant longtemps le commandement militaire a été très distant de la réalité. Seuls les soldats et les militaires de rang avaient un lien avec la population. Le travail des militaires c’était le théâtre des opérations à la frontière et contre la guérilla. Dès l’arrivée de Ch vez, il y a eu une véritable révolution. Le plan Bolivar 2000 marque le début de ces changements où l’armée et le peuple entrent véritablement en contact. Je crois que c’était une façon d’effacer le précédent de la répression de la révolte populaire de 1989, le " Caracazo ", qui fit des centaines de morts. Le ressentiment a été très fort au sein de la population et même au sein de l’armée. Le président s’est présenté issu des forces armées mais au service de la population. Si l’on compare à la Colombie ou au Pérou, les officiers sont issus des milieux populaires, une minorité provient des classes moyennes ou supérieures. Le militaire subit les mêmes situations que le peuple, son salaire est toujours assez bas. Seuls quelques grands officiers, certains liés à l’oligarchie qui les pousse à agir, ont gardé leurs privilèges. Évidemment il y a eu beaucoup de résistances. Beaucoup de soldats ont voulu revenir dans les casernes tout en n’étant pas préparés à accomplir leurs tâches dans la rue au contact de la population. Il ne faut pas oublier non plus que la cible favorite des médias, c’est l’armée. L’armée et Chavez naturellement.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-08-14/2004-08-14-398779