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Karl Marx, Friedich Engels, la Pologne

Publie le jeudi 23 juillet 2009 par Open-Publishing
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Michel Peyret
23 juillet 2009

KARL MARX , FRIEDRICH ENGELS , LA POLOGNE

Les discours commémoratifs de Karl Marx et Friedrich reproduits ci-dessous sont extraits d’un recueil de leurs textes intitulé : « Le parti de classe » publié en 1973 par Maspero avec une introduction et des notes de Roger Dangeville .

Ils prennent place significativement dans un chapitre qui se rapporte à la préparation de la révolution ( 1843-1848 ) .

Celui de Marx est reproduit le 9 décembre 1847 dans le Deutsche Brüsseler Zeitung qui rend compte de leurs discours tenus à Londres à l’occasion de la Fête des nations organisée pour commémorer le soulèvement polonais de 1830 .

Celui de Engels est daté du 22 février 1848 . Il est prononcé à Bruxelles en l’honneur de l’insurrection de Cracovie de février1846 lors d’un meeting organisé par l’Association démocratique de Bruxelles .

Deux phrases de Marx peuvent exprimer et résumer les propos des deux orateurs : « Pour que les peuples puissent véritablement s’unir , il faut que leur intérêt soit commun . Pour que leur intérêt puisse être commun , il faut abolir les rapports de propriété actuels , qui déterminent l’exploitation des peuples entre eux . »

Les deux discours sont précédés d’une déclaration de principe de Engels qui exprime pourquoi Marx et lui se qualifient de « communiste » et jamais de « social-démocrate » :

« On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d’employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.

« Il en va autrement aujourd’hui, et ce mot peut passer à la rigueur, bien qu’il ne corresponde pas davantage aujourd’hui à un parti dont le programme économique n’est pas seulement socialiste en général, mais directement communiste, c’est-à-dire un parti dont le but final est la suppression de tout État et, par conséquent, de la démocratie. »

Engels, préface de 1894 à Internationales aus dem Volksstaat, 1871-1875.

LE DISCOURS DE KARL MARX

Nous venons de recevoir les informations suivantes sur le contenu des discours tenus à Londres par MM. Marx, Engels et Tedesco (de Liège) [1]. Nous reproduirons plus tard le discours de ce dernier, tenu en français. Karl Marx dit :

L’union et la fraternité des nations est un mot d’ordre que l’on trouve dans la bouche de tous les partis, et notamment des libre-échangistes bourgeois. De fait, il y a une certaine fraternité entre les classes bourgeoises de toutes les nations. C’est la fraternisation des oppresseurs contre les opprimés, des exploiteurs contre les exploités.

De même que la classe des bourgeois d’un pays fraternise et s’unit contre les prolétaires d’un même pays, malgré la concurrence et la rivalité existant entre les membres individuels de la bourgeoisie, de même les bourgeois de tous les pays fraternisent et s’unissent contre les prolétaires de tous les pays, malgré leurs luttes mutuelles et leur concurrence sur le marché mondial.

Pour que les peuples puissent véritablement s’unir, il faut que leur intérêt soit commun. Pour que leur intérêt puisse être commun, il faut abolir les rapports de propriété actuels, qui déterminent l’exploitation des peuples entre eux. Or, seule la classe ouvrière a intérêt à éliminer les conditions de propriété actuelles, de même qu’elle seule en a les moyens.

La victoire du prolétariat sur la bourgeoisie sera en même temps la victoire sur les conflits des nations et des économies qui, de nos jours, poussent chaque peuple contre l’autre. La victoire du prolétariat sera donc le signal de la libération de tous les peuples opprimés.

LA RUINE DE LA VIEILLE SOCIETE

La Pologne d’ancien régime est certes ruinée, et nous sommes les derniers à vouloir la restaurer. Mais il n’y a pas que la vieille Pologne qui soit ruinée, la vieille Allemagne, la vieille Angleterre et toute la vieille société le sont aussi.

Mais la ruine de la vieille société n’est pas une perte pour nous, qui n’avons rien à perdre dans la vieille société, comme c’est également le cas pour la grande majorité de la population.

Au contraire, nous avons tout à gagner dans la ruine de la vieille société qui conditionne la formation d’une société ne reposant plus sur des oppositions de classes.

De tous les pays, l’Angleterre est celui où l’antagonisme entre prolétariat et bourgeoisie est le plus développé.

La victoire des prolétaires anglais sur la bourgeoisie anglaise sera décisive pour la victoire de tous les opprimés sur leurs oppresseurs.

C’est pourquoi la Pologne n’est pas à émanciper en Pologne, mais en Angleterre.

C’est pourquoi vous, les chartistes, vous n’avez pas à formuler de vœux pieux pour la libération des nations : renversez vos propres ennemis à l’intérieur, et vous pourrez avoir la fière conscience d’avoir défait toute la vieille société [2].

Notes

[1] Cf. Deutsche Brüsseler Zeitung, 9 décembre 1847. Ce journal avait déjà, la semaine précédente, rapporté un compte rendu succinct des discours de Marx et Engels à la Fête des nations organisée pour commémorer le soulèvement polonais de 1830. Nous ne reproduisons pas le discours d’Engels, tenu au même meeting. On en trouvera le texte français dans Marx-Engels, Écrits militaires, p. 148-149.

Les textes qui suivent rendent compte des interventions de parti de Marx-Engels dans des meetings ou débats publics. Ils valent certes par leur effet de propagande à l’extérieur et leur effort d’organisation des éléments révolutionnaires, mais plus encore par leur contenu qui annonce et prépare la révolution de 1848-1849.

Les Écrits militaires, qui ont recueilli les textes sur la préparation de la révolution de 1848, ont groupé, de manière logique, les écrits dans lesquels Marx-Engels ont élaboré pour l’heure de l’affrontement physique, la théorie et la stratégie de lutte du prolétariat européen.

C’est, en effet, dans le domaine militaire que les analyses marxistes se font les plus concrètes et les plus tranchantes.

Quoi qu’il en soit, nous ne reproduisons pas ici ce schéma d’ensemble de la prévision révolutionnaire qui rend compte pourtant de l’une des tâches fondamentales du parti — la prévision et la préparation de la révolution à venir, qui justifient le rôle dirigeant du parti dans la classe prolétarienne.

Les quelques textes que nous avons recueillis pour cette période témoignent essentiellement des efforts d’organisation à l’échelle internationale.

Dans ce recueil, nous avons encore écarté des textes, pourtant fondamentaux, notamment ceux qui ont trait à la préparation révolutionnaire dans tous les sens du terme, pour l’Allemagne.

Un exemple en est l’article de Marx contre Heizen, dont le passage suivant montre comment les mots d’ordre de la future révolution sont préparés par les polémiques : « Les ouvriers savent que l’abolition des rapports de propriété bourgeois ne peut être réalisée en conservant les conditions féodales. Ils savent que, par le mouvement révolutionnaire de la bourgeoisie contre les états féodaux et la monarchie absolue, leur propre mouvement ne peut être qu’accéléré. Ils savent que la lutte pour leur propre cause contre la bourgeoisie ne peut commencer qu’à partir du jour où la bourgeoisie a triomphé. Néanmoins, ils ne partagent pas les illusions bourgeoises de Monsieur Heinzen. Ils peuvent et doivent se résigner à accepter la révolution bourgeoise comme condition de la révolution ouvrière, mais ils ne peuvent la considérer, ne fût-ce qu’un instant, comme leur but final. » (Marx, « La Critique moralisante et la morale critisante », 1847.)

Ce thème sera encore au centre des débats intérieurs de la Ligue communiste tout au long de la période brûlante de 1849, et la scission finale se fera sur cette question.

Le contenu de l’ouvrage en allemand de Herwig Förder, Marx et Engels à la veille de la révolution — L’élaboration, des directives politiques pour les communistes allemands (1846-1848), Akademie-Verlag. Berlin. 1960 témoigne des activités suivantes de Marx-Engels pour la période en question.

1.Fondation du Comité de correspondance communiste à Bruxelles et les premières controverses sur les questions de politique de la classe ouvrière (1846) : le début de la lutte contre le « socialisme vrai » ; les divergences avec le communisme utopique de Weitling ; la circulaire contre Kriege (11-5-1846) ; l’écho des séances du Comité de Bruxelles du printemps 1846 dans le Westphälischer Dampfboot ; les directives politiques aux communistes de Rhénanie (été 1846) ; les premières répercussions du Comité de correspondance sur l’évolution des communes parisiennes et londoniennes de la Ligue des justes (été 1846).

2.Le tournant de 1846-1847 — transition et départ : de la Ligue des justes à la Ligue des communistes (novembre 1846 à Juin 1847) ; l’Anti-Proudhon (Misère de la philosophie) ; la mise en lumière par Engels du caractère réactionnaire du « socialisme vrai » (printemps 1847) ; la convocation de la Diète unie en Prusse et la « brochure sur la Constitution » d’Engels (février-avril 1847).

3.Les questions politiques de la révolution allemande en marche au travers des polémiques de presse de l’été et de l’automne 1847 : la Deutsche Brüsseler Zeitung et les premières contributions du cercle du Comité de correspondance communiste (mars- Juillet 1847) ; une contribution de ce comité à la Kommunistische Zeitschrift de Londres (août 1847) ; un essai d’Engels sur la signification du protectionnisme et du libre-échange pour le développement bourgeois de l’Allemagne (juin 1847) ; un article de Marx contre la démagogie « gouvernementale socialiste » du Rheinischer Beobachter (septembre 1847) ; une déformation « socialiste vraie » de la ligne politique de Marx-Engels par Moses Hess ; le renforcement de l’influence du Comité de correspondance communiste de Bruxelles sur la ligne politique du Westphälischer Beobachter.

4.Le Manifeste du parti communiste : contribution à l’histoire de sa genèse ; un programme pour la démocratie et le socialisme à la veille de la révolution démocratique-bourgeoise en Allemagne.

[2] Les mots d’ordre que Marx assigne dans son discours aux révolutionnaires internationalistes rassemblés à la Fête des nations impliquent une connaissance précise des mécanismes qui relient les phénomènes d’oppression des classes à ceux de l’oppression des nations, bref, une vision achevée de l’impérialisme, sans laquelle le marxisme ne serait pas une théorie générale.

C’est à tort que l’on a attribué à Lénine, comme une nouveauté (inconnue ou méconnue du marxisme antérieur), l’élaboration de la théorie de l’impérialisme : le simple fait que Lénine l’ait exposée dans « un essai de vulgarisation » démontre qu’il n’a fait que reprendre sur ce point comme ailleurs la théorie classique du marxisme.

Si le marxisme, comme théorie, est né en Allemagne, c’est — comme le répètent inlassablement Marx-Engels parce que ce pays, de par ses conditions économiques, politiques et sociales, ainsi que ses rapports avec le marché mondial et les autres pays, était celui qui suggérait le plus clairement et pleinement tous les éléments de la théorie générale du prolétariat.

Or, l’Allemagne des années 1840 était un amas de toutes les formes de société et de productions successives de l’histoire, du fait qu’aucune révolution n’y avait balayé de la scène sociale les vestiges de classes et de modes de production du passé.

À toutes les couches et classes qui se superposaient ainsi l’une à l’autre pour opprimer les masses laborieuses venaient s’ajouter les facteurs d’oppression nationaux, l’Allemagne étant soumise à l’hégémonie commerciale anglaise, à l’occupation étrangère, à la division nationale, à l’influence russe, française, tandis qu’elle-même, par l’intermédiaire de la Prusse et de l’Autriche, opprimait la Pologne.

Le marxisme n’est que la transcription par Marx-Engels des conditions historiques et sociales réelles de la vivante lutte de classe, là où elles étaient les plus saisissables, donc à la fois les plus tranchantes et les plus universelles.

LE DISCOURS DE FRIEDRICH ENGELS

Messieurs,

L’insurrection dont nous célébrons aujourd’hui l’anniversaire a échoué [1] Après quelques jours de résistance héroïque, Cracovie a été prise, et le spectre sanglant de la Pologne, qui s’était dressé un instant devant les yeux de ses assassins, redescendit dans la tombe.

C’est par une défaite que s’acheva la révolution de Cracovie, une défaite bien déplorable. Rendons les derniers honneurs aux héros tombés, plaignons leur échec, vouons nos sympathies aux vingt millions de Polonais dont cet échec a resserré les chaînes.

Mais, Messieurs, est-ce là tout ce que nous avons à faire ? Est-ce assez de verser une larme sur le tombeau d’un malheureux pays et de jurer à ses oppresseurs une haine implacable, mais jusqu’à présent peu puissante ?

Non, Messieurs ! L’anniversaire de Cracovie n’est pas un jour de deuil seulement, c’est pour nous, démocrates, un jour de réjouissance ; car la défaite même renferme une victoire, victoire dont les fruits nous restent acquis, tandis que les résultats de la défaite ne sont que passagers.

LA VICTOIRE DE LA JEUNE POLOGNE

Cette victoire, c’est la victoire de la jeune Pologne démocratique, sur la vieille Pologne aristocratique [2].

Oui, la dernière lutte de la Pologne contre ses oppresseurs étrangers a été précédée par une lutte cachée, occulte, mais décisive au sein de la Pologne même [3], lutte des Polonais opprimés contre les Polonais oppresseurs, lutte de la démocratie contre l’aristocratie polonaise.

Comparez 1830 et 1846, comparez Varsovie et Cracovie. En 1830, la classe dominante en Pologne était aussi égoïste, aussi bornée, aussi lâche dans le corps législatif qu’elle était dévouée, enthousiaste et vaillante sur le champ de bataille.

Que voulait l’aristocratie polonaise en 1830 ? Sauvegarder ses droits acquis, à elle, vis-à-vis de l’empereur. Elle bornait l’insurrection à ce petit pays qu’il a plu au congrès de Vienne d’appeler le royaume de Pologne ; elle tenait l’élan des autres provinces polonaises ; elle laissait intactes le servage abrutissant des paysans, la condition infâme des juifs. Si l’aristocratie, dans le cours de l’insurrection, a dû faire des concessions au peuple, elle ne les a faites que lorsqu’il était déjà trop tard, lorsque l’insurrection était perdue.

Disons-le hautement : l’insurrection de 1830 n’était ni une révolution nationale (elle excluait les trois quarts de la Pologne) ni une révolution sociale ou politique ; elle ne changeait rien à la situation antérieure du peuple : c’était une révolution conservatrice [4].

LELEWEL

Mais, au sein de cette révolution conservatrice, au sein du gouvernement national même, il y avait un homme qui attaquait vivement les vues étroites de la classe dominante.

Il proposa des mesures vraiment révolutionnaires et devant la hardiesse desquelles reculèrent les aristocrates de la Diète.

En appelant aux armes toute l’ancienne Pologne, en faisant ainsi de la guerre pour l’indépendance polonaise une guerre européenne, en émancipant les juifs et les paysans, en faisant participer ces derniers à la propriété du sol, en reconstruisant la Pologne sur la base de la démocratie et de l’égalité, il voulait faire de la cause nationale la cause de la liberté ; il voulait identifier l’intérêt de tous les peuples avec celui du peuple polonais [5].

L’homme dont le génie conçut ce plan si vaste et pourtant si simple, cet homme, ai-je besoin de le nommer ? C’était Lelewel.

En 1830, ces propositions furent constamment rejetées par l’aveuglement intéressé de la majorité aristocratique. Mais ces principes mûris et développés par l’expérience de quinze ans de servitude, ces mêmes principes nous les avons vus écrits sur le drapeau de l’insurrection cracovienne de 1846.

À Cracovie, on le voyait bien, il n’y avait plus d’hommes qui avaient beaucoup à perdre ; il n’y avait point d’aristocrates ; toute décision qui fut prise portait l’empreinte de cette hardiesse démocratique, je dirais presque prolétaire, qui n’a que sa misère à perdre, et qui a toute une patrie, tout un monde à gagner.

Là point d’hésitation, point de scrupules ; on attaquait les trois puissances à la fois ; on proclamait la liberté des paysans, la réforme agraire, l’émancipation des juifs, sans se soucier un instant si cela pût froisser tel ou tel intérêt aristocratique [6].

LA REVOLUTION DE CRACOVIE

La révolution de Cracovie ne se fixa pas pour but de rétablir l’ancienne Pologne, ni de conserver ce que les gouvernements étrangers avaient laissé subsister des vieilles institutions polonaises : elle ne fut ni réactionnaire ni conservatrice. Non, elle était le plus hostile à la Pologne elle-même, barbare, féodale, aristocratique, basée sur le servage de la majorité du peuple.

Loin de rétablir cette ancienne Pologne, elle voulut la bouleverser de fond en comble, et fonder sur ses débris, avec une classe toute nouvelle, avec la majorité du peuple, une nouvelle Pologne, moderne, civilisée, démocratique, digne du XIXe siècle, et qui fût, en vérité, la sentinelle avancée de la civilisation.

La différence de 1830 et de 1846, le progrès immense fait au sein même de la Pologne malheureuse, sanglante, déchirée, c’est : l’aristocratie polonaise séparée entièrement du peuple polonais et jetée dans les bras des oppresseurs de sa patrie ; le peuple polonais gagné irrévocablement à la cause démocratique ; enfin, la lutte de classe (…), cause motrice de tout progrès social, établie en Pologne comme ici.

Telle est la victoire de la démocratie constatée par la révolution cracovienne ; tel est le résultat qui portera encore ses fruits quand la défaite des insurgés aura été vengée.

LA CAUSE POLONAISE DEVENUE CELLE DE TOUS LES PEUPLES

Oui, Messieurs, par l’insurrection de Cracovie, la cause polonaise, de nationale qu’elle était, est devenue la cause de tous les peuples ; de question de sympathie qu’elle était, elle est devenue question d’intérêt pour tous les démocrates.

Jusqu’en 1846, nous avions un crime à venger, dorénavant nous avons à soutenir des alliés — et nous le ferons.

Et c’est surtout l’Allemagne qui doit se féliciter de cette explosion des passions démocratiques de la Pologne. Nous sommes, nous-mêmes, sur le point de faire une révolution démocratique [7] ; nous aurons à combattre les hordes barbares de l’Autriche et de la Russie.

Avant 1846, nous pouvions avoir des doutes sur le parti que prendrait la Pologne en cas de révolution démocratique en Allemagne.

La révolution de Cracovie les a écartés.

Désormais, le peuple allemand et le peuple polonais sont irrévocablement alliés : Nous avons les mêmes ennemis, les mêmes oppresseurs, car le gouvernement russe pèse aussi bien sur nous que sur les Polonais.

La première condition de la délivrance et de l’Allemagne et de la Pologne est le bouleversement de l’état politique actuel de l’Allemagne, la chute de la Prusse et de l’Autriche, le refoulement de la Russie au-delà du Dniestr et de la Dvina.

L’alliance des deux nations n’est donc point un beau rêve, une charmante illusion ; non. Messieurs, elle est une nécessité inévitable, résultant des intérêts communs des deux nations, et elle est devenue une nécessité par la révolution de Cracovie.

Le peuple allemand, qui pour lui- même jusqu’à présent n’a presque eu que des paroles, aura des actions pour ses frères de Pologne ; et de même que nous, démocrates allemands, présents ici, offrons la main aux démocrates polonais, présents ici, de même tout le peuple allemand célèbrera son alliance avec le peuple polonais sur le champ même de la première bataille gagnée en commun sur nos oppresseurs communs [8].

Notes
[1] Marx et Engels tinrent, le 22 février 1848, un discours en l’honneur de l’insurrection de Cracovie de février 1846 au meeting organisé par l’Association démocratique de Bruxelles.

L’activité du parti se greffe sur des événements de portée révolutionnaire véritablement historique, et c’est à l’occasion de manifestations suscitées par eux que se nouent des rapports de solidarité entre révolutionnaires, voire que se créent les organisations ouvrières.

Les deux discours que nous reproduisons ci-après expliquent l’intérêt — aussi bien théorique que pratique — porté par Marx et Engels aux mouvements nationaux démocratiques, même bourgeois, tant qu’ils sont progressifs et préparent les conditions de la lutte du prolétariat.

La I° Internationale fut précisément créée dans de telles conditions. Comme on le sait, la réunion inaugurale de l’A. I. T. fut convoquée pour proclamer la solidarité des ouvriers européens avec les Polonais (à la suite d’une circulaire des ouvriers anglais aux français) et avec les Arméniens opprimés par la Russie.

De fait, la révolte des Polonais en 1863-1864 fut le point de départ des luttes qui aboutirent à la systématisation des nations modernes d’Europe centrale et méridionale en 1870 et au renversement du bonapartisme, donc à la glorieuse Commune de Paris.

La pleine solidarité ouvrière avec la revendication d’indépendance nationale de la Pologne opprimée par le tsarisme et les oligarchies autrichienne et prussienne a donc une importance primordiale : elle n’exprime pas seulement un jugement historique formulé dans des écrits théoriques, mais encore un véritable déploiement politique des forces pour la future Ire Internationale.

En offrant à la Pologne l’appui total des classes ouvrières européennes, la révolte polonaise devenait le levier pour une situation révolutionnaire internationale : la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie (Commune de Paris). Cf. « Facteurs de race et de nation dans la théorie marxiste », p. 130- 139 : « La Question polonaise ; l’Internationale et la question des nationalités », Fil du temps, no 5.

Pour relier la révolte polonaise à la création de l’Internationale ouvrière, il ne suffisait pas aux chefs du parti ouvrier d’avoir du flair. Il leur fallait aussi un sens révolutionnaire exceptionnellement aigu, puis — surtout une connaissance scientifique de l’histoire européenne, des mécanismes qui relient les bouleversements de la base économique aux phénomènes de volonté d’une classe qui doit s’organiser pour intervenir dans les rapports sociaux.

Il fallait, par exemple, connaître le poids de la contre-révolution du tsarisme russe dans l’équilibre conservateur de toute l’Europe, et l’importance de toute révolte contre cet ennemi numéro un des révolutions du XIX° siècle. Cf. Marx-Engels, La Russie, 10/18, 1973.

De nos jours, le mouvement d’émancipation des peuples coloniaux joue le même rôle de détonateur pour le mouvement ouvrier : cf. Marx-Engels, La Chine, 10/18, p. 187-188, note 19.

[2] Tant que la lutte se fait pour des objectifs « démocratiques », le parti communiste utilise une tactique « indirecte » qui s’applique aussi longtemps que les tâches bourgeoises restent progressives dans un pays.

Dans tous les textes de cette période que nous reproduisons, le parti adopte cette tactique « indirecte ». Au chapitre final du Manifeste, Marx-Engels formulent de manière concise cette tactique valable pour les communistes des pays attardés, par exemple la Pologne et l’Allemagne : « Chez les Polonais, les communistes soutiennent le parti qui voit dans une révolution agraire la condition de l’émancipation nationale, c’est-à-dire le parti qui déclencha, en 1846, l’insurrection de Cracovie.

« En Allemagne, le parti communiste lutte ensemble avec la bourgeoisie, sitôt que celle-ci agit révolutionnairement contre la monarchie absolue, la propriété féodale et la petite bourgeoisie.

Mais il ne néglige à aucun moment de dégager chez les travailleurs une conscience aussi claire que possible de l’antagonisme radical de la bourgeoisie et du prolétariat, afin que, l’heure venue, les ouvriers allemands sachent tourner aussitôt, en autant d’armes contre la bourgeoisie, les conditions sociales et politiques que la bourgeoisie doit introduire en même temps que sa domination : ainsi dès la chute des classes réactionnaires en Allemagne, la lutte pourra s’engager contre la bourgeoisie elle-même.

« C’est sur l’Allemagne que les communistes concentrent surtout leur attention. Ce pays se trouve à la veille d’une révolution bourgeoise. Cette révolution, l’Allemagne l’accomplit donc dans des conditions plus avancées de civilisation européenne en général et avec un prolétariat plus développé que l’Angleterre et la France n’en possédaient aux XVIIe et XVIIIe siècles. Par conséquent, en Allemagne, la révolution bourgeoise sera nécessairement le prélude de la révolution prolétarienne.

« Bref, les communistes y appuient partout les mouvements révolutionnaires contre les institutions sociales et politiques existantes. »

Ces mots d’ordre, tirés de longues études et luttes militantes dans des cercles restreints, se transformeront à l’heure de la crise révolutionnaire (de 1848-1849) : la théorie deviendra une réalité brûlante, et les discours des coups de fusil !

[3] Souligné par nous.

[4] Le stratège militaire qu’est Engels ne manque jamais de considérer les attitudes de classes les unes vis-à-vis des autres au sein d’une nation pour déterminer les chances d’un soulèvement : « Les Piémontais — après les Espagnols, les Allemands, etc. — ont commis d’emblée une grave erreur en opposant uniquement une armée régulière aux Autrichiens, c’est-à-dire dire en voulant mener contre eux une honnête et traditionnelle guerre bourgeoise. Un peuple qui veut conquérir son indépendance ne doit pas s’en tenir aux moyens de guerre conventionnels. Soulèvement en masse, guerre révolutionnaire, guérilla générale, voilà les seuls moyens dont dispose un petit peuple pour vaincre une grande nation, les seuls moyens permettant à une armée moins forte de tenir tête à une armée plus forte et mieux organisée. (« La Défaite des Piémontais ». La Nouvelle Gazette rhénane. 1-4-1849. trad. fr. : Marx-Engels, Écrits militaires, p. 243-244.)

[5] Les grandes expériences tirées d’une crise révolutionnaire ne sont jamais perdues pour les pays parvenus au même stade de leur histoire, si le parti — dont c’est l’une des fonctions premières — a su les accumuler pour en faire son programme d’action : « La guerre magyare de 1849 a beaucoup de traits communs avec la guerre polonaise de 1830-1831. Mais elle s’en distingue en ce qu’elle a maintenant pour elle toutes les chances qui manquaient alors aux Polonais. On sait qu’en 1830 Lelewel réclama avec force, mais sans succès : l. que l’on enchaînât à la révolution la grande masse de la population en émancipant les paysans et les juifs ; 2. que l’on transformât en guerre européenne [qui relancerait la révolution prolétarienne de Paris en 1850] la révolution de la vieille société polonaise, en impliquant dans une guerre les trois puissances qui se partageaient le pays. Ce qui s’imposa en 1831 aux Polonais alors qu’il était trop tard, c’est par quoi commencent aujourd’hui les Magyars. La révolution sociale à l’intérieur et la destruction du féodalisme, telle fut la première mesure en Hongrie ; l’implication de la Pologne et de l’Allemagne dans la guerre, telle fut la seconde mesure : dès lors, c’était la guerre européenne. Celle-ci est un fait accompli avec l’entrée du premier corps d’armée russe en territoire allemand. » (La Hongrie, La Nouvelle Gazette rhénane, 19-5-1849, trad. fr. : Marx- Engels, Écrits militaires, p. 261-262.)

[6] L’un des secrets de l’échec de la bourgeoisie allemande dans sa révolution nationale démocratique, c’est son incapacité de coordonner son action avec celle de la paysannerie asservie par les puissances féodales afin de la gagner à sa cause. La bourgeoisie française avait magistralement su mener à bien cette alliance politique, en engageant massivement les paysans dans les rangs de l’armée révolutionnaire.
En politique prolétarienne, c’est Lénine qui a compris toute l’ampleur du potentiel révolutionnaire paysan, et a su l’utiliser. Il a su ainsi renouer avec Marx-Engels, qui n’ont jamais sous-estimé l’importance de la question agraire pour le mouvement révolutionnaire. Engels, auteur de La Guerre des paysans (1850), ouvrage souvent incompris des marxistes ultérieurs, analyse comme suit la défaillance politique de la bourgeoisie allemande en 1848-1850 : « En Prusse, la paysannerie avait profité de la révolution, tout comme en Autriche, bien qu’elle fît preuve d’une énergie moindre — puisqu’elle se trouvait en général un peu moins opprimée par le féodalisme—, pour se débarrasser d’un seul coup de toutes les entraves féodales. Mais la bourgeoisie se tourna aussitôt contre elle, sa plus vieille et sa plus indispensable alliée. Les démocrates — aussi épouvantés que la bourgeoisie par ce qu’on appelait des attentats contre la propriété privée — se gardèrent également de la soutenir, et c’est ainsi qu’après trois mois d’émancipation, après des luttes sanglantes et des expéditions militaires, notamment en Silésie, le féodalisme fut rétabli par les propres mains de la bourgeoisie, hier encore antiféodale. Ce faisant, elle s’est condamnée elle-même de la façon la plus définitive et la plus rigoureuse. Une trahison semblable de ses meilleurs alliés, de soi-même, jamais aucun parti dans l’histoire ne l’a commise. Quelles que soient les humiliations, quels que soient les châtiments réservés au parti bourgeois par ce seul acte, il les aura mérités tous sans exception. »
Au cours des événements eux-mêmes, Wilhelm Wolff — à qui Marx dédia plus tard Le Capital — traita longuement de cette question dans La Nouvelle Gazette rhénane. Ces articles furent publiés sous le titre « Les Milliards silésiens », avec une introduction d’Engels.
En général, on n’attribue pas la place qui lui revient à la paysannerie, dont dépendit le sort de la révolution de 1848 aussi bien que de la Commune de 1871 : cf. « Le Marxisme et la question agraire », in Fil du temps, no 7, p. 81. Sur les neuf numéros parus de la collection Fil du temps, trois sont consacrés à la question agraire, d’importance vitale non seulement dans l’économie et la vie sociale, mais encore dans la théorie et la politique du parti révolutionnaire.

[7] Cette phrase est une variante de celle du Manifeste qui prescrit les tâches à accomplir dans la révolution qui approche : « C’est sur l’Allemagne que les communistes concentrent surtout leur attention. Ce pays se trouve à la veille d’une révolution bourgeoise », démocratique et bourgeoise étant synonymes. Il n’est pas contradictoire pour un communiste de souhaiter une révolution bourgeoise tant qu’elle est progressive, car elle se heurte à l’ordre établi, bouleverse les conditions existantes et permet sur sa lancée de continuer la lutte pour le socialisme. C’est pourquoi d’ailleurs les bourgeoisies des pays déjà capitalistes se liguent systématiquement contre une révolution bourgeoise dans un pays nouveau, comme l’a démontré de manière classique la Révolution française de 1789 qui vit naître la Sainte-Alliance de tous les États déjà établis.

[8] L’initiative de fonder une Internationale des travailleurs devait s’appuyer sur le prolétariat le plus avancé de l’époque, celui de l’Angleterre, très préoccupé des questions impérialistes.
En février 1846, le chartiste Harney déclara dans une réunion de l’Association de Londres des communistes allemands : J’en appelle aux classes opprimées de tous les pays pour s’unir pour la cause commune. La libération du joug russe et autrichien ne suffit pas à elle seule. Nous n’avons pas besoin d’un royaume d’Italie. Nous avons besoin de la souveraineté du peuple de ces pays. Et de préciser que cette cause du peuple, c’est « la cause du travail, du travail asservi et exploité », car les revendications et la misère ne sont-elles pas les mêmes chez les ouvriers de toutes les nations ? Par conséquent, pourquoi leur bonne cause ne le serait-elle pas ? Un coup porté à la liberté sur le Tage est un coup porté contre les amis de la liberté sur la Tamise ; un succès du républicanisme en France signifierait la fin de la tyrannie dans d’autres pays ; et la victoire des chartistes démocratiques anglais signifierait la libération de millions d’hommes dans toute l’Europe.
C’est en se fondant sur la lutte pour la libération du joug absolutiste que fut créé un comité international, embryon de la future I° Internationale.
En novembre 1847, Schapper, au nom de l’organisation de Bruxelles, fut mandaté pour discuter de la convocation en 1848 d’un « congrès des travailleurs de toutes les nations pour instaurer la liberté dans le monde entier ». Il proclama : « Ouvriers anglais ! Remplissez cette mission, et vous serez estimés comme émancipateurs de toute l’humanité. » Les organisateurs anglais répondirent : « La conjuration des rois, la Sainte-Alliance, doit être combattue par celle des peuples. Nous sommes persuadés que l’on doit se tourner vers le vrai peuple, les prolétaires qui, chaque jour, versent leur sang et leur sueur sous la pression du système social actuel, pour qu’il réalise la fraternité. »

Messages

  • Michel,

    Tu pourrais mettre la source quand même non ?

    Me dis pas que t’as tout recopié à la main.... ;-)

    Ces textes ont déjà été publiés ici plusieurs fois.

    Et même je crois bien une première fois par toi. Bref....

    En général (je me réserve le bénéfice du doute au cas où tu disposes d’une autre soruce), cette version est extraite de l’excellent site trotsko-marxiste "marxists.org" Marxists Internet Archives - tu veux pas partager tes sources de "savoir" ?

    Texte de Hengels ici

    http://www.marxists.org/francais/marx/works/00/parti/kmpc024.htm

    Texte de Marx + intro Engels ici

    http://www.marxists.org/francais/marx/works/00/parti/kmpc023.htm

    Et puis, s’il te plait, peux tu prendre l’habitude de distinguer soigneusement par un trait de section ou une typo particulière voire une indication claire ... ce qui "t’appartient" et ce qui appartient à autrui ? De même de bien marquer la séparatio nentre des textes différents ?

    La plupart de ce que tu copies colles ici est illisible - et nous ne sommes pas ton secrétariat - et je pense que c’est une des raisons (pas la seule mais bon) qui fait que tu n’as quasiment jamais de commentaires sous ce que tu publies ici.