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Cesare Battisti : TROIS QUESTIONS A... IRENE TERREL

Publie le lundi 23 août 2004 par Open-Publishing

"Une procédure d’extradition abusive"

Irène Terrel, est avocate au barreau de Paris et Conseil de Cesare Battisti

Propos recueillis par Clément Moulet

Comment expliquer cette présumée fuite, ou du moins, cette disparition soudaine de Cesare Battisti ?

 Avant de parler de fuite, je tiens à préciser qu’il est encore trop tôt pour en arriver à une telle conclusion. Il convient de prendre du recul et d’attendre de voir ce qui s’est réellement passé. Je trouve surréaliste qu’il y ait un tel emballement médiatique autour de quelqu’un qui était sur le point d’être naturalisé Français. Il n’avait que quelques heures de retard par rapport à son contrôle judiciaire, il n’y avait pas de quoi s’affoler. Il faut remettre les choses dans leur contexte, on est pas en train de traquer un criminel notoire qui risque de récidiver dès le lendemain, mais une personne qui est sous le coup d’une procédure d’extradition abusive. Il est l’objet d’un véritable harcèlement judiciaire, il est normal qu’il ait craqué, c’est humain.

En ce qui concerne son état de santé, nous sommes en possession d’une expertise réalisée par quelqu’un au dessus de tout soupçons, le Docteur Hervé Boissin, Médecin Expert près la Cour d’Appel de Paris, et agréé et membre du Comité Médical ministériel du Ministère de l’Intérieur et de la Préfecture de Police. Il fait état d’une dépression sévère, et nous savons tous ce que cela veut dire. Mais il faut aussi se rappeler que le cas de Battisti n’est pas isolé. Il concerne tous ces réfugiés italiens des "années de plomb" qui ont bénéficié de l’asile français et qui se retrouvent, à la faveur des caprices politiques dans des situations terribles. Sur un plan typiquement franco-français, les poursuites engagées contre Battisti sont irrecevables. Pendant vingt ans, notre pays lui a donné des papiers, il était proche d’être naturalisé, et voilà que les autorités ressortent des dossiers vieux de trente ans, qui plus est en les interprétant de manière erronée, pour justifier un revirement de politique. Mitterrand lui avait accordé, en 1985, l’asile, on avait parlé à l’époque de "doctrine Mitterrand", bien que ça n’en soit pas une.
Si cette décision avait été discutée un an ou deux après, pourquoi pas, mais on ne peut le faire vingt ans après, c’est ignoble. Jacques Chirac, lors de son premier mandat ne s’est jamais opposé au droit d’asile accordé à Battisti, alors même qu’il était au courant de toute l’affaire. Alain Juppé lui a délivré une carte de séjour en pleine connaissance de cause. On assiste là a un reniement du droit d’asile. On entre là dans le cadre de la politique spectacle, c’est le seul moyen qu’ait trouvé le gouvernement pour communiquer sur le terrorisme. Et bien non, on ne communique pas de la sorte, les gens ne sont pas des marionnettes.

Que risque Cesare Battisti en France, s’il est à nouveau appréhendé et s’il est avéré qu’il s’agit d’une fuite ?

 S’il est appréhendé, nous nous présenterons à nouveau devant la Cour. Le procureur demandera très certainement la révocation de son contrôle judiciaire, ce qui serait la pire des hypothèses, dans la mesure où cette décision serait synonyme d’un nouvel écrou extraditionnel. Du coup, cela relancerait des procédures à n’en plus finir, et nous en auront pour encore des mois de combat.
De notre coté, si le cas se présente, nous ferons valoir son état médical. Mais ça fait beaucoup de "si", et ce ne sont que des supputations. A l’heure qu’il est, il est peut être dans un hôpital entre les mains des médecins, vu son état, rien ne m’étonnerais moins. Pour l’instant, nous n’en savons rien.

La fuite présumée, ou du moins la disparition de Cesare Battisti ne fait-elle pas le jeu de ses détracteurs ?

 Si vous faites référence à la possibilité qu’il s’agisse là d’un aveu, c’est du délire complet. Plaçons nous dans l’hypothèse de la fuite, imaginons qu’il soit allé chercher refuge dans un autre pays. Ca ne serait pas normal qu’il le fasse ? Il vit sous la menace d’une condamnation à perpétuité, malgré le fait qu’il n’ait jamais trahit son asile. Il sauve sa peau. A supposer que ça soit ça, mais ça n’est pas du tout certain, et il est beaucoup trop tôt pour produire cette analyse, quel être normal, confronté à sa situation ne tenterait pas de le faire ? C’est de l’instinct de survie et de plus, c’est un instinct légitime. D’autant plus que pendant treize ans, il a eu une vie irréprochable en France.
Alors pourquoi laisserait-il la France le jeter dans la gueule du loup ? C’est pour cela que je récuse le terme de fuite. De notre coté, nous espérons que la France va se ressaisir dans ce dossier italien, car cette situation est déshonorante et indigne de notre démocratie. En ce qui concerne Battisti, il se trouve dans un état psychique dégradé, et s’il s’est effectivement enfui, personne ne pourra venir le lui reprocher. Ce serait normal. Mais pour le moment, nous n’en sommes pas là, il est encore trop tôt pour se prononcer. Nous allons peut être être amenés à nous expliquer avec lui afin de savoir pourquoi il a eu cette défaillance. Mais nous ne sommes pas encore dans un délai suffisamment raisonnable pour privilégier l’hypothèse de la fuite.

http://permanent.nouvelobs.com/societe/20040823.OBS5278.html