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LES CHERCHEURS DECOUVRENT LA LUNE

Publie le mercredi 14 octobre 2009 par Open-Publishing
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Tant qu’elle ne les menaçait pas directement, la casse des services publics laissait les universitaires indifférents. À présent que leurs avantages sont en danger, ils dégainent leurs sabres en bois.

La mobilisation des universitaires engagée au début de l’année 2008 a pris tout le monde au dépourvu, à commencer par le gouvernement. La ministre Valérie Pécresse comptait en effet sur la passivité légendaire de la corporation pour poursuivre la « modernisation » (comprendre « la casse ») de l’Université à travers la loi dite « LRU » (Loi relative aux libertés et responsabilités des universités). L’adoption de cette loi, à l’été 2007, avait déclenché dès la rentrée suivante un vaste mouvement de révolte des étudiants. Mais, au plus fort des luttes contre la réforme, seule une minorité des enseignants-chercheurs statutaires, souvent abonnés au Plan B, s’était engagée activement à leurs côtés.

La majorité, mollement favorable à la réforme, désertait les campus bloqués par les piquets de grève, préférant vaquer à des occupations moins terre à terre, et laissait les présidents d’université régler le problème avec l’aide amicale des CRS. « Les intellos sont des pleutres, confiait alors au Plan B un professeur de sociologie indigné par l’inertie de ses collègues. J’ai toujours été frappé par cette dichotomie – y compris chez des gens que j’admire intellectuellement – entre d’un côté cette hauteur s’agissant des choses de l’esprit et de l’autre la triste médiocrité individuelle. »

La civilisation en danger

Depuis des années que la fonction publique subit les coups de boutoir des gouvernements successifs, la plupart des universitaires n’ont en effet guère brillé par leur pugnacité. Eux, si prompts à disserter sur l’universel, se sentaient-ils seulement concernés  ? Le double démantèlement (à la fois de la structure d’ensemble et des statuts du personnel) qui touche leur secteur relève pourtant de la même entreprise de démolition déjà à l’œuvre contre d’autres services publics, moins prestigieux il est vrai, comme France Télécom ou EDF-GDF. Le réveil a été tardif  : il a fallu attendre que les enseignants-chercheurs comprennent le danger qui les visait directement pour qu’ils se jettent à la remorque du mouvement étudiant. Certains d’entre eux, habitués à envoyer des bataillons d’étudiants passer le Capes, étaient d’autant plus remontés que Xavier Darcos était chargé de réduire les concours d’enseignement à de simples entretiens d’embauche.

Longue à accoucher, la mobilisation n’en fut que plus ardente. Jeunes maîtres de conférences ségolénistes ou doyens de facultés de droit, tous communiaient alors pour exiger le retrait des dispositions les plus scélérates de la loi LRU. Manifestations, grève des enseignements (mais la plupart du temps sans perte de revenus [1]), rétention de notes et tribunes courroucées s’enchaînent  : jamais on n’avait vu les mandarins grimper ainsi aux rideaux. Les saillies du chef de l’État sur « l’immobilisme » de la profession font trembler de fureur les vieilles ganaches de l’Académie des sciences (Marianne 2, 7.2.09). Et, lorsque Xavier Darcos annonce la destruction de la formation des professeurs du secondaire, le Snesup, un des principaux syndicats de l’enseignement supérieur, crie à l’« anti-intellectualisme [qui] rappelle les pires heures de l’histoire de France » (Liberation.fr, 14.2.09).

Entre gens distingués rien n’est simple. La défense basique et légitime d’un statut avantageux devient en deux traits de plume un grand combat pour la Science, l’Amour et l’Intelligence, si ce n’est pour le sempiternel « Avenir de nos enfants », même chez ceux que la casse des concours d’enseignement n’inquiète guère. Puisque l’université n’est plus à l’abri, la lutte serait porteuse d’un « enjeu de civilisation », ainsi que le proclame une tribune publiée dans L’Humanité (18.2.09). Et les bouilleurs de cru  ? Ne cherchaient-ils pas à préserver la civilisation rurale  ? Ancien universitaire recyclé dans le journalisme intello-bobo, Sylvain Bourmeau savoure la soudaine dimension intergalactique de sa rébellion. Il republie en trombe sur le site de Mediapart l’« Appel contre la guerre à l’Intelligence » et pour la résistance aux ploucs, lancé par Les Inrockuptibles en février 2004 [2]. Ce climat insurrectionnel permet aussi à Cyril Lemieux, un sociologue de la complexité, d’exhumer Daniel Cohn-Bendit pour une matinée de bâillements à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Barricades de plumes

En matière de grandiloquence et de fatuité, les grands savants ne reculent devant aucun défi. Pour preuve  : la création d’un « cercle des professeurs et des chercheurs disparus », en riposte aux attaques « contre la pensée elle-même  [3] ». Cette colonne de maquisards en redingote napthalinée compte entre autres commandants le philosophe Alain Caillé, le sociologue Alain Touraine (que beaucoup, il est vrai, croyaient déjà disparu depuis son soutien au plan Juppé en 1995), son confrère Edgar Morin, sa consœur Dominique Méda et le rédacteur en chef de la revue balladurienne Le Débat, Marcel Gauchet. Sabre au clair, ce dernier a investi l’EHESS début février pour dénoncer « la redéfinition du savoir sous le néolibéralisme ». L’année précédente, Gauchet avait pourtant œuvré à cette même « redéfinition » en participant à la conférence sur « L’avenir de la fonction publique » organisée par le ministre du Budget, Éric Woerth. Cette java sarkoziste avait débouché sur la publication d’un très poétique livre blanc visant à contribuer, selon l’expression de Gauchet, au « “réarmement intellectuel” d’une France réconciliée avec la modernité [4] ». Les auteurs du rapport préconisaient notamment « l’ouverture progressive à la concurrence des entreprises publiques ».

Unis dans leur opposition toute fraîche à la réforme de leur statut, et ragaillardis de se trouver si audacieux, les militants du « réarmement intellectuel » fraternisent autour d’un autre nouvel objet d’indignation  : l’attitude des médias, qu’ils jugent insuffisamment favorable à leur résistance héroïque. « Depuis le début de leur mobilisation, les enseignants-chercheurs ont eu à faire face à un adversaire redoutable et plutôt inattendu  : les “grandes plumes” de la presse française », pleurnichent une douzaine d’universitaires sur le site Mediapart d’Edwy Plenel, le roi du téléachat devenu leur avocat le plus exalté (23.2.09). L’université Paris I va même convier Plenel, ainsi que Daniel Schneidermann, chroniqueur dépressif à Libération, pour initier les ronds-de-cuir à la critique moustachue des médias. Comparés aux cheminots, aux dockers de Marseille ou même aux enseignants du secondaire, les universitaires de la Rebelle Académie bénéficient pourtant d’un traitement enviable. Du Monde à Libération en passant par Le Nouvel Observateur ou Les Inrockuptibles, tout ce que le Parti de la presse et de l’argent (PPA) compte de feuilles moribondes mais regauchies par la crise leur déroule un chaleureux tapis de tribunes et d’éditos. Même France Soir salue « la fronde des enseignants-chercheurs » plutôt que de déplorer une énième coalition de glandeurs assoiffés de privilèges.

L’insurrection qui ne vient pas

Il est vrai que les spécimens les plus endurcis du PPA refusent d’en démordre. Christophe Barbier, directeur de L’Express, se déchaîne sur LCI contre la mobilisation « totalement injustifiée » des universitaires, auxquels il rappelle que « Lénine est mort » (3.2.09), tandis que Franz-Olivier Giesberg s’insurge contre « l’idéologie du père peinard » (Le Point, 5.2.09). Sur France Info, Sylvie Pierre-Brossolette glousse  : « C’est vrai que les chercheurs sont meilleurs jusque 45 ans, après on trouve un peu moins. C’est biologique, génétique  ! » (9.2.09). « Est-ce que c’est génétique, de dire des bêtises sur les antennes du service public  ? », rétorque le professeur de littérature Pierre Jourde sur le site du Nouvel Observateur (10.2.09). Sur les blogs, les forums et les listes de diffusion, la colère gronde et les consciences s’éclairent. « Le problème avec les éditorialistes, c’est qu’ils oublient d’être journalistes », lâche, médusé, le professeur de science politique Jean-Philippe Heurtin dans un commentaire posté sur le site du Point. Sur celui du JDD, un jeune maître de conférences prône l’action directe à l’irakienne  : « Et si la chaussure finalement était une meilleure solution  ? » (14.2.09).

Ceux qui n’avaient jamais bronché contre le traitement journalistique infligé aux catégories moins nobles jouent ainsi, le temps d’une valse, les vierges effarouchées. Comme Laurent Bouvet, jeune professeur de science politique, groupie de Tony Blair et de Bertrand Delanoë [5]. La presse parisienne, au sein de laquelle il a table ouverte, l’irrite prodigieusement dès qu’elle rend compte de sa profession. Le 5 février, il adresse une longue lettre au Monde – « mon journal », dit-il affectueusement – pour s’étonner du « caractère erroné » des informations fournies par le quotidien. Fier comme un coq, il bombarde le courrier sur son blog, hébergé par… Le Monde. La semaine suivante, dans les -colonnes du Figaro cette fois, Bouvet s’emporte contre « un nouvel article scandaleux de A à Z, […] un monument dressé à la désinformation et à la manipulation du lecteur ». Il y a de quoi s’inquiéter  : la violence de ces propos ne rappelle-t-elle pas « les pires heures de l’histoire de France »  ?

Notes

[1] L’administration peut difficilement compter les grévistes dans une université.

[2] Au sujet de ce racisme de l’intelligence, relire l’article de PLPL  : « La conjuration des imbéciles », Pour Lire Pas Lu, n° 19, avril 2004  ; accessible sur http://www.homme-moderne.org/plpl/n19/p8.html

[3] http://journaldumauss.net/spip.php?article468

[4] Jean-Ludovic Silicani, Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique, ministère du Budget, avril 2008, p. 15.

[5] Laurent Bouvet, « Socialisme et libéralisme sont-ils compatibles  ? », publié sur le site Telos, 28 mai 2008.

(SOURCE/ LE PLAN B )

Messages

  • Article qui tape juste !

    un exemple : alors que depuis des années l’école primaire , le collège et le lyçée sont attaqués , pas un mot de soutien de la part des collégues ( eh oui , quoi qu’ils en disent ) du "supérieur".....et la seule fois où on les entendait c’était pour hurler avec les loups sur "la baisse des niveau " , "les élèves qui ne savent rien", " ne savent pas écrire" , enfin tout ce que l’on peut lire dans le courrirer du Fig mag.... et là , miracle , ils ont demandé "la convergence des luttes " entre le secondaire et le supérieur ....comme c’est bizarre....
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