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La Décroissance serait-elle un concept économique ?

Publie le mercredi 21 octobre 2009 par Open-Publishing
8 commentaires

de Michel MENGNEAU

Comme on pourra le constater lors de la lecture ce paragraphe de "L’insurrection qui vient" est sans concession à propos de la Décroissance, tant mieux ! Cette critique est constructive car un regard différent que celui de ceux plantés au cœur de l’objection de croissance permet de faire ressortir ce que l’on pourrait appeler une intellectualisation trop forte des idées de Décroissance.

Sans doute un manque de pragmatisme et une forme utopique de la Décroissance sont probablement les quelques péchés de jeunesse de ce mouvement qui commence à agiter les consciences. Cependant, avec la mise en politique de l’Objection de croissance celle-ci commence à s’épurer de ses déviances pour donner une image plus positive aux citoyens, elle devient donc de façon constructive une espérance d’avenir...

Chaque éclaircissement du front est ainsi marqué en France par l’invention d’une nouvelle lubie. Durant les dix dernières années, ce fut ATTAC et son invraisemblable – dont l’instauration aurait réclamé rien moins que la création d’un gouvernement mondial –, son apologie de l’« économie réelle » contre les marchés financiers et sa touchante nostalgie de l’État. La comédie dura ce qu’elle dura, et finit en plate mascarade.
L’insurrection qui vient. (134/391)

Une lubie remplaçant l’autre, voici la décroissance. Si ATTAC avec ses cours d’éducation populaire a essayé de sauver l’économie comme science, la décroissance prétend, elle, la sauver comme morale. Une seule alternative à l’apocalypse en marche, décroître. Consommer et produire moins. Devenir joyeusement frugaux. Manger bio, aller à bicyclette, arrêter de fumer et surveiller sévèrement les produits qu’on achète. Se contenter du strict nécessaire. Simplicité volontaire. « Redécouvrir la vraie richesse dans l’épanouissement de relations sociales conviviales dans un monde sain. » « Ne pas puiser dans notre capital naturel. » Aller vers une « économie saine ». « Éviter la régulation par le chaos. » « Ne pas générer de crise sociale remettant en cause la démocratie et l’humanisme. » Bref : devenir économe. Revenir à l’économie de Papa, à l’âge d’or de la petite bourgeoisie : les années 1950. « Lorsque l’individu devient un bon économe, sa propriété remplit alors parfaitement son office, qui est de lui permettre de jouir de sa vie propre à l’abri de l’existence publique ou dans l’enclos privé de sa vie. »
L’insurrection qui vient. (135/391)

Un graphiste en pull artisanal boit un cocktail de fruits, entre amis, à la terrasse d’un café ethnique. On est diserts, cordiaux, on plaisante modérément, on ne fait ni trop de bruit ni trop de silence, on se regarde en souriant, un peu béats : on est tellement civilisés. Plus tard, les uns iront biner la terre d’un jardin de quartier tandis que les autres partiront faire de la poterie, du zen ou un film d’animation. On communie dans le juste sentiment de former une nouvelle humanité, la plus sage, la plus raffinée, la dernière. Et on a raison. Apple et la décroissance s’entendent curieusement sur la civilisation du futur.
L’insurrection qui vient. (136/391)

L’idée de retour à l’économie d’antan des uns est le brouillard opportun derrière lequel s’avance l’idée de grand bond en avant technologique des autres. Car dans l’Histoire, les retours n’existent pas. L’exhortation à revenir au passé n’exprime jamais qu’une des formes de conscience de son temps, et rarement la moins moderne. La décroissance n’est pas par hasard la bannière des publicitaires dissidents du magazine Casseurs de pub. Les inventeurs de la croissance zéro – le en 1972 – étaient eux-mêmes un groupe d’industriels et de fonctionnaires qui s’appuyaient sur un rapport des cybernéticiens du MIT.
L’insurrection qui vient. (137/391)

Cette convergence n’est pas fortuite. Elle s’inscrit dans la marche forcée pour trouver une relève à l’économie. Le capitalisme a désintégré à son profit tout ce qui subsistait de liens sociaux, il se lance maintenant dans leur reconstruction à neuf sur ses propres bases. La sociabilité métro-politaine actuelle en est l’incubatrice. De la même façon, il a ravagé les mondes naturels et se lance à présent dans la folle idée de les reconstituer comme autant d’environnements contrôlés, dotés des capteurs adéquats.
L’insurrection qui vient. (138/391)

À cette nouvelle humanité correspond une nouvelle économie, qui voudrait n’être plus une sphère séparée de l’existence mais son tissu, qui voudrait être la matière des rapports humains ; une nouvelle définition du travail comme travail sur soi, et du Capital comme capital humain ; une nouvelle idée de la production comme production de biens relationnels, et de la consommation comme consommation de situations ; et surtout une nouvelle idée de la valeur qui embrasserait toutes les qualités des êtres. Cette « bioéconomie » en gestation conçoit la planète comme un système fermé à gérer, et prétend poser les bases d’une science qui intégrerait tous les paramètres de la vie. Une telle science pourrait nous faire regretter un jour le bon temps des indices trompeurs où l’on prétendait mesurer le bonheur du peuple à la croissance du PIB, mais où au moins personne n’y croyait.
L’insurrection qui vient. (139/391)

« Revaloriser les aspects non économiques de la vie » est un mot d’ordre de la décroissance en même temps que le programme de réforme du Capital. Éco-villages, caméras de vidéosurveillance, spiritualité, biotechnologies et convivialité appartiennent au même « paradigme civilisationnel » en formation, celui de l’économie totale engendrée depuis la base. Sa matrice intellectuelle n’est autre que la cybernétique, la science des systèmes, c’est-à-dire de leur contrôle.
L’insurrection qui vient. (140/391)

Pour imposer définitivement l’économie, son éthique du travail et de l’avarice, il avait fallu au cours du XVIIe siècle interner et éliminer toute la faune des oisifs, des mendiants, des sorcières, des fous, des jouisseurs et autres pauvres sans aveu, toute une humanité qui démentait par sa seule existence l’ordre de l’intérêt et de la continence. La nouvelle économie ne s’imposera pas sans une semblable sélection des sujets et des zones aptes à la mutation. Le chaos tant annoncé sera l’occasion de ce tri, ou notre victoire sur ce détestable projet.
L’insurrection qui vient. (141/391)

Je n’ai pas voulu dans le préambule présentant ce passage de « l’Insurrection qui vient » soulever la vraie question qui est posée : « la notion de l’économie en tant que science et moteur de nos sociétés. Les auteurs de cet ouvrage collectif rejettent le principe de l‘économie marchande et autres et donc par conséquence la Décroissance qui, à leur yeux, serrait essentiellement un critère économique. Si l’on va dans se sens là, est donc fait abstraction du coté humain de l’objection de croissance pour n’en voir que son aspect économique, ce qui est restrictif et ne correspond pas tout à fait au notions que veulent apporter les membres de l’AdOC.

Certes, le système capitaliste à fait de ce terme son cheval de bataille, c’est-à-dire que d’une société qui pourrait être d’échanges, il en à conçu un modèle où la valeur spéculatif est la pierre d’achoppement, le but servant à apporter plus encore de profit, le terme «  » résumant à peu près tout. Effectivement si l’on ne raisonne que comme cela, vouloir faire de la décroissance peut aussi être considéré comme une action s’incluant dans un principe économique. Mais c’est oublier que le profit capitaliste est aussi basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme, le travail dans une société capitaliste est un asservissement contraint de l’ouvrier par ce leitmotiv : la rentabilité, rentabilité productiviste dans l’unique but est d’enrichir l’actionnariat, de servir le capital. Lorsque la Décroissance prône avant tout le fait de détruire le productivisme elle s’insère dans un conteste social, puisque par ce biais elle redonne une valeur morale réelle au travail, qui est celui d’une monnaie d’échange, elle fait disparaître par la même occasion la notion de profit, engendrant aussi la fin d’une marchandisation de l’inutile, l’on peut considérer alors que l’on est sorti du substrat économique traditionnel pour une société de partage et de priorités sociétales où n’ont plus comme objet le rentable mais le bien-être de l’individu…

Doit-on alors inclure cette vision de nos sociétés dans un principe économique, je ne le crois pas. C’est pourquoi je ne classerai pas la Décroissance en tant que concept économique, mais en tant que concept sociétal et moral !

http://le-ragondin-furieux.blog4ever.com

Messages

  • Bon, ben, je ne suis pas emballé par votre exposé bien que grandement intéressé par le sujet : la décroissance.

    D’abord j’ai lu par ailleurs le petit bouquin que vous citez : consternation quant à son contenu qui démarre de façon assez intéressante et se vautre par la suite dans un échaffaudage d’opinions dans lequel j’ai cherché en vain une idée fondatrice théorique, économique, sociale, ou morale.

    En revanche

    dans ce que vous dites, là il y a des pistes.

    A mon avis, la décroissance à son origine n’est pas un concept vers lequel on propose de tendre, mais une conséquence de ce que l’on propose en considération de déterminismes économiques dont les effets du capitalisme font parties.

    Je veux dire par là, que c’est à la suite d’analyses de la situation économiques à diverses échelles, ainsi que des analyses diverses du fondement et des mécanismes capitalistes et particulièrement néo-libéraux, que découle l’idée de décroissance non comme quelque chose à atteindre mais comme indice que les propositions de remédiations aux effets destructeurs du capitalisme sur toutes les économies font de l’effet positif !

    Ensuite, vous indiquez en quoi la décroissance serait pour vous plus un concept moral qu’économique : c’est une idée très intéressante pour moi car elle rejoint la mienne qui est de refonder toute construction sociale et économique sur une morale des relations humaines dont font parties les relations économiques.

    Mais là encore, je pense que la décroissance est un effet et non une cause, un indice qu’une intention se réalise et non pas la finalité d’une intention. Là où je vous rejoints c’est sur l’idée de la simplicité volontaire par exemple qui elle peut être effectivement un concept moral générant finalité économique et par la suite induisant sur l’évolution ou depuis l’évolution actuelle une décroissance.

    Ce que je veux dire, c’est que de refonder les économies et les règles sociales sur des concepts moraux d’interdépendance ou de simplicité réaliste ou volontaire induira de fait une décroissance des indices de productions actuels. Mais que par la suite ces mêmes indices révélateurs des activités humaines devront évoluer vers un équilibre en relation avec les autres indices d’évolution de l’activité humaine comme par exemple la démographie. Et que éventuellement, ce n’est que parce que les fondements moraux des régulation sociales et économiques auront évolués que les indices comme celui de la démographie évolueront aussi vers une stagnation ou une décroissance... les comparaisons qui suivront seront donc elles mêmes soit des stagnation, soit des décroissances, soit des croissances... toujours des effets !

  • Le but de cet article est de démystifier des idées reçues, des perceptions incomplètes sur la Décroissance. Cest la raison pour laquelle j’ai pris l’exemple de ces quelques lignes de "l’insurection qui vient" car à travers celles-ci ressortent des critiques souvent superficielles auxquelles naturellement je ne souscris pas...C’est pourquoi, comme ce livre est pris parfois comme référence qu’il me semblais bon de lui opposer une autre façon de voir la Décroissance de peur que les propos qui sont tenus dans cet ouvrage soient pris pour argent comptant, c’est pourquoi, que même si la critique est souhaitable, elle est aussi discutable !

    Par contre, si vous voulez des précisions sur les propositions de l’AdOC (association d’Objecteur de Croissnce) il suffit d’aller sur le site adoc info ou mieux encore sur celui d’Europe Décroissance où une plate-forme de travail est proposée, avec possibilité de débat. D’ailleurs la plateforme est aussi sur ce site, mais je ne souviens plus du lien.

  • Dans une société du peu l’exploitation est encore plus sordide.
    Comment y arriver sans se débarrasser du capitalisme ?
    Car c’est tout de même par là qu’il faut commencer, sachant le potentiel de récupération de celui-ci et ça promptitude à redémarrer dès qu’il y a quelque étincelles ?
    Comment commercer par où débuter ? sans doute par la conscience politique, peuple conscientisé = peuple armé.
    Manger bio, aller à bicyclette, arrêter de fumer et surveiller sévèrement les produits qu’on achète. Se contenter du strict nécessaire. Simplicité volontaire. « Redécouvrir la vraie richesse dans l’épanouissement de relations sociales conviviales dans un monde sain...
    Ce qui est décrit là n’a rien d’enchanteur !
    Une folie de vouloir mettre dans un cadre des comportements humains.
    NB
    Avec le chômage de masse c’est très tendance de décroitre non ?

  • Je n’ai pas lu cet opuscule "l’insurrection qui vient", aux extraits mis en ligne, je ne crois pas en son insurrection.
    Il faut d’abord s’entendre sur le terme décroissance, selon moi, le capitalisme se base uniquement sur la croissance et par la même sur la productivité, les révolutions industrielles sont là pour l’attester. Les plus pauvres se seraient enrichis depuis que la croissance existe, dans l’absolu peut être mais en relativité non, les plus pauvres "citoyens ou pays" s’appauvrissent de plus en plus. Le problème, est que la gauche a aussi vanté les mérites du productivisme, en ventant la valeur travail. Comme le dit Annah Arendt le travail est historique donc sera toujours source d’exploitation et de misère.
    Actuellement, à part les décroissants et certains décroissants car il n’est pas question de retour à l’âge de pierre, sont les seuls à mettre en débat la fin du capitalisme via une société dé-productiviste.
    La décroissance n’est pas que les pauvres continueront à avoir moins, mais bien que ce qui est produit aujourd’hui suffise à tout le monde, question de partage.
    Partage, les riches auront moins que ce soient les pays ou les hommes. Est il normal qu’il y ait assez de nourriture pour 10 milliards d’habitant et que des gens meurent de faim, est il normal que seulement quelques millions de personnes produisent de la nourriture, alors qu’il faudrait une véritable production paysanne de subsistance près des personnes. Autrement dit, pour une agriculture de proximité, paysanne raisonnée, la fin des monopoles.
    Mais la décroissance ne peut se concevoir sans des services publics performants et gratuits, sans des salaires maximums, sans une réduction drastique du temps de travail, sans savoir quoi produire et pourquoi le produire, ces questions doivent être débattus démocratiquement par la population.
    Ce n’est pas un concept économique ni moral, mais un choix de société. L’économie ne devant être qu’au service de la société.