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L’hôpital-entreprise rend les médecins malades

Publie le jeudi 12 novembre 2009 par Open-Publishing
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L’hôpital-entreprise rend les médecins malades

Beaucoup se croyaient protégés. Mais, comme les autres composantes de la communauté hospitalière, les praticiens n’échappent pas aux conséquences de réformes sacrifiant le service public à la rentabilité. Harcèlement moral, démotivation, épuisement professionnel…

Des médecins réclament l’assistance d’autres médecins. « Depuis trois-quatre mois, on a des coups de fil incessants de collègues, de toutes spécialités, qui nous demandent de l’aide, qui sont dans une souffrance psychique terrible », raconte Nicole Smolski, anesthésiste à l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon et vice-présidente de son syndicat professionnel, le SNPHAR. « On est tous en train de gérer trois-quatre cas de collègues qui vont vraiment très mal. » Demandes de soutien psychologique, de conseil juridique  : le phénomène interpelle d’autant plus que les médecins ne sont pas réputés pour avoir la plainte facile. « On est conditionnés à endurer beaucoup de choses. On ne doit pas montrer sa souffrance », rappelle une jeune praticienne. Après tout, le métier lui-même n’est-il pas un stress que des personnes « fragiles » ne peuvent pas supporter  ? Seulement voilà, l’explication ne tient plus face à la vague de mal-être qui submerge la profession. « C’est l’histoire de France Télécom qui nous a ouvert les yeux », remarque Nicole Smolski. Et qui a amené les syndicalistes médecins à regarder différemment les signaux de souffrance dans leur entourage, y compris les gestes de désespoir. « On a tous connu un ou deux collègues qui se sont suicidés au travail. »

Que disent les toubibs dans leurs SOS  ? « Ils parlent d’un isolement au travail, face à leur chef de service, leur chef de pôle, leur direction, d’une pression sur les épaules qui n’existait pas avant, avec l’exigence de rentrer dans un certain moule, une certaine rentabilité. Et puis d’une perte d’autonomie de décision qui fait que les gens, non seulement souffrent, mais ont l’impression d’être harcelés quand ils ne rentrent pas dans le moule », rapporte Nicole Smolski. Après s’être « longtemps crus protégés » par « leur statut, leur aura », ils subissent de plein fouet, comme les autres composantes de la communauté hospitalière, les conséquences des « réformes », de la restriction de moyens, d’effectifs, mais aussi de l’autoritarisme croissant des gestionnaires, qui, obnubilés par les économies, laissent de moins en moins de place à l’avis médical. Catherine (*), jeune praticienne dans un hôpital de l’est de la France, a, dit-elle, « toujours souhaité travailler dans les hôpitaux car (elle a) une notion de service public qui (lui) tient à cœur », et elle veut encore y croire. Catherine vient pourtant de décider de jeter l’éponge, provisoirement, en demandant une mise en disponibilité d’un an. Décision « très difficile », « cas de conscience », mais seule issue, à ses yeux, à une situation devenue insupportable. « Mon service était très déficitaire. Le chef de pôle a proposé une restructuration afin de combler le déficit, sans aucune concertation, prévoyant des suppressions de postes, de médecins, d’infirmières. Mes collègues et moi, nous avons totalement refusé car on ne pouvait plus travailler en équipe. » De surcroît, comme pour justifier sa décision, le supérieur hiérarchique de Dominique tient des propos « extrêmement méprisants » contre sa spécialité, jugée « responsable du déficit du pôle ». Après avoir cherché, en vain, l’écoute de la direction de l’établissement, constatant qu’elle allait se « retrouver en sous-effectif, avec un chef ayant manifesté un grand mépris envers (sa) spécialité », elle s’est dit qu’elle « ne pouvait plus continuer à exercer à l’hôpital de cette façon », raconte Dominique. Et d’évoquer « une démotivation croissante » parmi ses collègues. Psychiatre dans les hôpitaux de Lyon, Françoise, elle, est plus proche de la retraite. « Mais pas encore à la date de péremption  ! » s’insurge-
t-elle. Pourtant, à la suite de multiples restructurations qui ont touché son activité, et alors qu’elle doit faire face à de lourds ennuis familiaux, cette psychiatre s’est retrouvée, au retour d’un arrêt maladie, « placardisée », confinée dans un bureau à « ne rien faire », privée de consultations au motif de sa « fragilité ». Avant d’être invitée par son chef de service à avancer son départ en retraite. Sans même pouvoir faire valoir qu’avec ses « multiples diplômes », elle « pouvait encore servir à quelque chose, quelque part ». « Dégoûtée », ne cachant pas des idées suicidaires, Françoise, qui a demandé l’aide du SNPHAR, constate  : « On est rattrapés par des choses dont je pensais que c’était plutôt dans le privé. »

Constat semblable chez Dominique, anesthésiste, qui, recrutée comme contractuelle dans un hôpital du sud de la France, vient de voir son contrat brutalement interrompu, du jour au lendemain, par sa direction. Au mépris du préavis obligatoire de deux mois. Motif  ? Alors qu’elle était déjà soumise, dit-elle, à « une charge de travail énorme » en anesthésie, dans un service « en sous-effectif » l’astreignant, entre autres, à être « de garde tous les week-ends », elle a refusé de prendre une charge supplémentaire  : la responsabilité des urgences, le soir, la nuit et les week-ends, lorsque le responsable de ce service est appelé à intervenir à l’extérieur. Dominique a eu beau expliquer que cela ne relevait pas de sa spécialité, qu’il « y avait une responsabilité juridique que les assurances n’allaient pas couvrir », faire valoir que l’Ordre des médecins lui donnait raison, le directeur n’a rien voulu entendre. « Vexée » de « se faire virer alors qu’on n’a pas fait de faute », contrainte de chercher en catastrophe des remplacements, elle se dit aujourd’hui persuadée que sa mésaventure n’est qu’un avant-goût des abus qu’entraîneront les pleins pouvoirs donnés par la réforme Bachelot aux directeurs.

« L’hôpital est-il une entreprise de soins comme une autre entreprise, ou une communauté humaine œuvrant dans l’intérêt collectif  ? » interroge le SNPHAR. Au-delà de toutes les mesures d’accompagnement, le sort des praticiens en souffrance dépendra, dans une large mesure, de la réponse à cette question.

Yves Housson

(*) Les prénoms ont été modifiés.

Repères :

 On compte environ 40 000 médecins hospitaliers de toutes spécialités.
 47,9 % affi rment être insatisfaits ou très insatisfaits des possibilités de donner à leurs patients les soins dont ils ont besoin, selon les résultats de l’enquête Sesmat, sur la satisfaction professionnelle des médecins, réalisée en 2007-2008.
 67,3 % se déclarent insatisfaits du soutien psychologique reçu au travail.
 Les urgentistes, les gériatres et les pharmaciens sont plus fréquemment victimes que la moyenne de burn-out (épuisement professionnel).
 Les troubles musculo-squelettiques sont fréquents chez tous les spécialistes et touchent 55,8 % d’entre eux.

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source, ajoutée par bellaciao :

http://www.humanite.fr/2009-11-09_Politique-_-Social-Economie_L-hopital-entreprise-rend-les-medecins

Messages

    • Le capitalisme est en train d’épuiser et de tuer les travailleuses et les travailleurs dans le but de faire du profit. Tout le corps hospitalier devraient réagir rapidement car ils sont de monter les malades contre les toubibs, les infirmiers-eres et tous ceux qui travaillent dans ce milieu professionnel.Cordialement Alain 04

  • On ne peut se réjouir de voir des gens souffrir,à moins d’être sadique-ce qui n’est pas le propos du jour-Quand on voit donc des médecins-chirurgiens souffrir de ne pas pouvoir exercer vraiment leur profession sous prétexte de rentabilité,alors que beaucoup se sont cru à l’abri des conflits sociaux en rentrant dans le métier,je souris:leur souffrance vient BIEN APRES celle de toutes les autres catégories socio-professionnelles des Hôpitaux de France,mais elle est venue, ENFIN !Car tout le personnel paramédical a besoin que les médecins- locomotives bougent contre l’ignominie du Libéralisme sans scrupule ni coeur envers les Patients et les "petites mains" POUR que le service public Santé ne soit plus saccagé comme il l’est actuellement par des Financiers ressemblant plus à des racketteurs mafiosis qu’à des Responsables du Service public !Seule une mobilisation nationale de tous les Hôpitaux Publics et Cliniques sans but lucratif peut encore sauver le Devoir de Sérieux que tout Soignant DOIT au Patient !Tous sommes citoyens et sommes liés à l’exigence de pouvoir exercer les soins dans les meilleures conditions possibles et NON L’INVERSE !Cet irrespect de la vie par les Libéraux est une insulte à La vie démocratique et même à la vie tout court !Il faut que cela cesse dès 2010 !Il faut que l’argent redevienne un outil de meilleure Santé pour tous et non une occasion de précariser et tyranniser trop de monde au nom de la dite "rentabilité" cachant bien mal en vérité un bon prétexte pour que certaines "élites" s’octroient des privilèges indus sans même devoir aller en taule après des détournements colossaux d’argent public !Car l’argent est là quand les élites en ont besoin pour elles,non pour le Peuple,non pour les nouveaux -et anciens-précaires qu’ils ont fabriqué à partir de leur logique de fric totalement psychiâtrique !Donc,que les Médecins bougent ENFIN,et les Hôpitaux montreront aux "élites" combien leur logique anti-démocratique est HAÏE au coeur des établissements publics, bâtis non pour dépendre des caprices de quelques incultes cyniques en mal de pouvoir néo-féodal à l’encontre de concitoyens traités en "sujets",mais bâtis pour redonner santé,forces,goût de revivre auprès de concitoyens victimes trop souvent-donc pas toujours il est vrai-de cette logique hyper-libérale où l’Homme passe après la Rentabilité-(cf les suicides à Télécom)-Que les citoyens libres qui connaissent les Droits de l’Homme se réveillent,et nous vaincrons cette Barbarie économique sans âme !