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Les policiers étaient divisés sur la surveillance de Cesare Battisti

Publie le lundi 13 septembre 2004 par Open-Publishing

de Ariane Chemin

Avant sa fuite, l’ancien activiste italien avait déjà plusieurs fois échappé aux policiers. Des divergences étaient apparues sur le dispositif à mettre en place. Les enquêteurs ont la conviction que l’écrivain est bien resté en France. Sa fille s’exprime publiquement pour la première fois.

Tout le monde prédisait qu’il allait se mettre au vert, et il est effectivement parti en cavale. Comme à d’autres reprises cet été, la police a perdu, mardi 17 août, la trace de Cesare Battisti - sans comprendre tout de suite, ce jour-là, que c’était pour de bon. Quatre jours plus tard, il ne se présentait pas à son contrôle judiciaire. Depuis, plus personne ne l’a revu, et la police a perdu sa piste, même si elle pense qu’il est resté en France. Mission impossible ? Failles de la police et négligences dues aux sous-effectifs du mois d’août ? Aucune réunion ne s’est en tout cas tenue Place Beauvau, cet été, autour du ministre sur la surveillance de l’ancien membre des Prolétaires armés pour le communisme (PAC), alors que des désaccords s’étaient faits jour sur la manière de le "filer".

Dès le 30 juin, lorsque la cour d’appel de Paris autorise son extradition, le parquet général et les policiers savent que Cesare Battisti risque de partir en cavale. Ses avocats ont déposé un pourvoi en cassation. Le recours sera examiné par la Cour le 29 septembre. Mais, d’ici là, M. Battisti est libre. Il n’est pas assigné à résidence : son contrôle judiciaire le cantonne en Ile-de-France, et lui interdit de fréquenter les aéroports (Le Monde du 2 juillet). La police sait qu’il habite depuis le mois de mai dans le petit studio sur cour prêté par une membre éminente de son comité de soutien, dans le 14e arrondissement de Paris.

Déjà, le jour de la décision d’extradition, des hauts magistrats du parquet général confiaient : "De toute façon, tout l’incite à partir en cavale. La police ne peut le retenir que quelques heures : elle n’a pas de mandat d’arrêt." Cesare Battisti a une carte de résident - une feuille de papier rose -, qui lui permet de passer les frontières européennes. Dix jours après la décision, le préfet de police, Jean-Paul Proust, écrivait au procureur général de la cour d’appel, Jean-Louis Nadal, pour s’émouvoir des difficiles conditions de surveillance, puisque Cesare Battisti n’avait pas été placé sous écrou extraditionnel.

Le vendredi 2 juillet, lorsque les divers services de police échangent leurs impressions, le constat est le même. La mission est très compliquée. Cesare Battisti a l’habitude de la cavale. Il connaît les procédés de filature - il a écrit des romans policiers. Les renseignements généraux de la préfecture de police de Paris sont chargés de le suivre en Ile-de-France, l’Unité de coordination de lutte antiterroriste (Uclat) dresse l’"étude d’environnement" - les réseaux d’extrême gauche, toujours solides, les amitiés à l’étranger, notamment au Mexique, où il s’était réfugié en 1982 pendant dix ans.

Avec les hommes de la brigade de recherche et d’intervention (BRI), les RG parisiens commencent donc sans enthousiasme la filature. Cesare Battisti et plusieurs de ses proches sont placés sur écoutes administratives. Des "piétons", comme on dit dans le jargon, suivent Cesare Battisti dans le métro et le bus - il ne conduit jamais. Trois fois, il les sème, en montant et descendant d’une rame au dernier moment. "On voit ça dans tous les bons films : rien de pire que de filocher quelqu’un dans le métro. Elyette Besse, d’Action directe, qui était moins jeune, nous semait", rappelle l’un d’eux. "Ce n’était pas du fatalisme, mais nous savons que les filatures, c’est techniquement très difficile", dit un autre.

Le ministre de l’intérieur, Dominique de Villepin, sait lui-même que la tâche est ardue. Aucune réunion rassemblant les protagonistes de la filature de Cesare Battisti n’est organisée Place Beauvau. "Normal : c’est le rôle de la direction de la police, répond-t-on au ministère de l’intérieur.Il n’y a jamais eu dramatisation ou consigne particulière, mais n’essayons pas de construire une histoire autour de cette cavale." "C’était une mission comme une autre", dit un responsable policier. "Une priorité pas prioritaire", ajoute un autre.

"NOUS N’EN SAVONS RIEN"

Pourtant, les avis divergent très vite sur la manière de suivre l’ex- activiste italien. Certains sont partisans d’une filature souple et discrète, pour la resserrer fin septembre, avec des caméras de surveillance. D’autres pensent au contraire qu’il faut "mettre le paquet" dès le départ. Cette ligne l’emporte. Au passage du mois de juillet au mois d’août, la police décide de renforcer le dispositif. D’une filature de 8 heures du matin à 8 heures du soir, on passe à une filature "H24" - vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dans le jargon du métier.

Les policiers repèrent presque tous les jours leur homme au Daguerre, le café qui fait l’angle de la rue et de l’avenue du Général- Leclerc. Cinq "sous-marins" différents - ces camionnettes banalisées qui servent de planques aux policiers - sont disposés devant l’immeuble. Cesare Battisti les a évidemment vus, et, une fois, il tapote à la vitre. "On avait des jumelles pour voir à 300 mètres, alors qu’il était sous nos yeux", raconte un policier. Le réfugié italien repère vite, aussi, ces hommes qui saisissent leurs téléphones portables pour se donner une contenance lorsqu’il approche.

Le samedi, avant d’aller pointer au palais de justice de Paris, ses amis élus le retrouvent au Sarah-Bernhard, place du Châtelet. Va-t-il venir, se demandent-ils le 21 août, à deux pas d’officiers des renseignements généraux ? On cherche à l’appeler. Les RG, qui n’ont pas pris sa disparition au sérieux, le 17, comprennent cette fois qu’il ne réapparaîtra pas.

Dans une lettre à ses avocats, le fugitif se dit en France. D’après Libération, il serait à l’étranger. Le 2 septembre, La Repubblica livre des témoignages de trois Italiens, dont un élu d’une petite commune du lac de Côme, qui l’auraient vu dans un bus, à Milan, cheveux teints en blond et blanc - et se faisant passer pour un travailleur embauché en Suisse. La police française n’est pas convaincue par ce témoignage. La fille de Cesare Battisti, âgée de 19 ans, a été suivie pendant ses vacances à Saint-Herblain, en Loire-Atlantique. Les amis "autonomes" de l’écrivain à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, sont aussi sous surveillance.

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