Accueil > L’invité de la semaine Roger Martin Écrivain

L’invité de la semaine Roger Martin Écrivain

Publie le lundi 13 septembre 2004 par Open-Publishing

Il est aisé de refaire l’Histoire après coup. Chacun peut y aller de son analyse, vouer aux gémonies le salaud ou encenser le juste et rebâtir la cité idéale. Le monde réel, hélas ! ne se réduit pas à la unhappy few qui va chercher en profondeur, loin de l’information coup de poing, les causes des problèmes de notre temps.

Cesare Battisti a disparu. Beaucoup s’en félicitent. Sa fuite - compréhensible ô combien ! - est cependant dramatique. Sauf à confondre cinéma et réalité, il est clair que ses responsables disposent de moyens illimités et de réseaux internationaux pour mener à terme une logique politique implacable. En témoigne l’arrestation au Mexique d’une ancienne activiste quelques jours avant prescription, mise en scène sadique où le chat rattrape in extremis la souris.

Démonstration a été faite qu’au-delà d’appréciations différentes portées sur les activités passées de Battisti ou la façon dont a été organisée sa défense, le respect de la parole donnée et la reconnaissance d’une situation particulière qui a nom années de plomb auraient dû lui rendre une liberté totale. Tout le reste n’est que politique politicienne. Je n’entamerai pas ici un nouveau plaidoyer - d’autres l’ont fait et mieux que moi - je ne poserai pas la question de son innocence parce que j’ai signé aussi pour des militants d’Action directe qui revendiquaient encore leurs actes. Je n’aborderai pas la personnalité de Battisti, que je connais à peine, parce que les dreyfusards se souciaient peu que Dreyfus fût bon père ou de commerce agréable.

Car c’est devant un problème politique que nous nous retrouvons. Comme beaucoup, je suis persuadé que Chirac, Perben et consorts mesurent parfaitement la solidité du dossier présenté par Fred Vargas et Claude Mesplède. Mais si les prolétaires de tous les pays ont cessé de s’unir, les tenants de l’horreur économique ont su, eux, serrer les rangs. L’attaque frontale lancée contre Battisti et d’autres réfugiés italiens marque une nouvelle étape des violations des droits de l’homme, aussi dépourvue d’humanité que son pendant économique, les délocalisations sauvages. Il s’agit d’une démonstration de force contre tous ceux qui entendent protester et faire valoir leurs droits.

Comment ne pas considérer que cette extradition réclamée par Berlusconi et des ministres issus de l’extrême droite est un avertissement au peuple italien ? Une menace explicite au cas où il serait tenté de revenir à un radicalisme politique qu’on ne trouve plus guère actuellement que dans les rangs de certains Verts italiens et de Rifundazione Communista.

Une stratégie d’intimidation sur fond de chantage. L’ignominie, ce n’est pas tant que des politiques italiens - certains ont eu des liens avec la Mafia, d’autres ont exercé des responsabilités importantes dans des mouvements fascisants, ont été membres de la loge P2 et se sont livrés dès 1945, en collaboration étroite avec la CIA, à des tentatives reconnues de déstabilisation de l’Italie - veuillent faire un exemple et transformer Persichetti, Battisti et leurs semblables en épouvantails rappelant à tous ceux qui voudraient lever le doigt de la couture de pantalon le sort qui les attend.

Non, l’ignominie c’est que Chirac, élu avec nos voix, Perben ou Sarkozy, se réclament de De Gaulle pour faire passer les méthodes de Pétain, foulent au pied une certaine tradition française, couvrent de leurs cris d’orfraie les voix vibrantes de Victor Hugo dressé pour l’amnistie des Communards, de Zola en lutte pour la réhabilitation de Dreyfus et reçoivent, pâmés devant ses roucoulades calamistrées, le baiser qui tue du capo di tutti capi du capitalisme européen !

http://www.humanite.presse.fr/popup_print.php3?id_article=400272