Accueil > L’arnaque du prix ou le prix de l’arnaque

L’arnaque du prix ou le prix de l’arnaque

Publie le mercredi 23 décembre 2009 par Open-Publishing
2 commentaires

de Caleb Irri

Lorsque l’on aborde la notion de prix, on se retrouve rapidement dans une sorte de brouillard opaque d’où il ne ressort aucune lumière. Car le prix n’est pas, contrairement à ce qu’on nous fait croire, le référent objectif déterminant la valeur d’une marchandise, mais une donnée éminemment subjective représentant la valeur d’un bien pour un instant et à un lieu donné.

Le fait de se pencher sur cette évidence doit nous faire prendre conscience que deux des données majeures qui entrent en jeu dans la détermination du prix sont relatives à l’espace-temps, ce qui ouvre des perspectives interprétatives nettement plus philosophiques que mathématiques. En effet, une fois établi que la valeur d’un bien dépend du temps et de l’endroit dans lequel il est vendu (une gourde d’eau dans le désert vaut plus qu’un frigo dans ce même lieu, et un dessin de Van Ghog vaut plus aujourd’hui qu’à ses débuts), il faut regarder la cause de cette fluctuation : la rareté. Et s’il est un fait en économie, c’est que la rareté fait monter les prix. Cela signifie que lorsqu’il existe un nombre d’acheteurs plus important que le nombre de produits disponibles, le prix monte.

La valeur d’un bien dépend donc du lieu, du moment, et de son nombre. Mais pas seulement. Si on comprend aisément que le prix d’une gourde dans le désert vaut plus qu’à proximité d’une source, le dessin que j’ai fait à 14 ans ne vaudra jamais celui d’un grand maître, quand bien même celui-ci serait mon seul dessin. Cela signifie que le prix dépend aussi de sa valeur « reconnue », et cela touche à la fois l’esthétique, la psychologie, la mode, l’Histoire…

Il peut également représenter une valeur technique (une innovation), une valeur sentimentale ou une valeur due à la difficulté, ou au temps de travail passé à la réalisation d’un produit.

Le prix d’une marchandise dépend donc de la valeur qu’on lui attribue, selon une infinité de paramètres impossibles à mettre en équation, et c’est donc bien naturellement que nous sommes en droit de nous poser la question : comment, alors, se détermine ce prix que l’on dit essentiel à la théorie économique ?

C’est à ce moment que nous nous devons d’évoquer le cadre qui régit la fixation du prix : le marché.

Le marché obéit à des règles et est censé fixer la valeur d’un produit : la loi de l’offre et de la demande. Cette formulation est assez pratique car elle permet de résoudre une contradiction philosophique aussi ardue à résoudre que le problème de la poule et de l’oeuf : soit c’est l’offre qui crée la demande, soit c’est la demande qui crée l’offre. quoi ? ça dépend, vous répondront les économistes droits dans leurs bottes. Cela signifie que selon ce la nature du produit, et aussi le rôle dans lequel on se trouve (nous sommes à la fois producteurs et consommateurs), un coup c’est l’offre qui suit la demande, un coup c’est l’offre qui la précède.

On pourrait trouver cela tout à fait cohérent si ce système s’appliquait selon des critères permettant au plus grand nombre de prétendre à un maximum de produits, mais en réalité c’est le contraire qui se produit.
La valeur qu’attribue aux marchandises notre société va à l’encontre de ce principe, car l’offre crée des demandes inutiles, et ne rattrape jamais la demande utile.
Cela revient à dire que le problème du prix dépend de la valeur que notre civilisation accorde à tel ou tel produit. Lorsque le prix de la main d’oeuvre est basse (et oui l’homme est aussi devenu une marchandise !), c’est que sa valeur est jugée moindre que si son prix est élevé. Ce critère de jugement de valeur ne dépend pas de la difficulté du travail, ni même en réalité de la valeur de l’homme qui effectue ce travail, mais tout simplement du principe supérieur qui détermine le prix : la rentabilité.

La rentabilité est le juge de la valeur d’une marchandise : le prix n’est fixé qu’à l’aboutissement du long processus de production, selon des calculs intégrants à peu près toutes les étapes de ce processus, avec pour seul objectif d’atteindre un taux de rentabilité : si le produit est considéré comme utile mais pas rentable on ne le produira pas, mais s’il est considéré inutile mais rentable, alors c’est parti !

C’est pour cette raison que nous achetons des t-shirts très peu chers : nous estimons qu’un tee t-shirt est utile, mais pas au point de vouloir le payer cher. Nous en acceptons donc toutes les conséquences, y compris que les êtres produisant ces tee t-shirts soient sous payés et maltraités : c’est la valeur que nous, à l’heure de notre acte d’achat, leur accordons qui compte.

Quoi, la concurrence ? nous ne sommes quand même pas obligés de changer de tee t-shirt trois fois par jour, ni de téléphone tous les ans ! si ? par qui, par le gouvernement ? oui, sûrement en quelque sorte. Tout ce petit monde travaille ensemble pour la même cause… quoi, la rentabilité ?

Non, la rentabilité c’est une étape : le véritable but c’est le pouvoir… le pouvoir ? et oui, que croyez-vous ? alors qu’autrefois les esclaves étaient vendus à leurs maîtres sous la contrainte, aujourd’hui nous allons nous-mêmes, et parfois joyeusement, nous passer la corde au cou ! c’est comme si les bovins venaient eux-mêmes se faire découper en tranches !

Le marché nous attribue aujourd’hui une valeur qui n’est fixée que par un taux de rentabilité, et nous participons tous plus ou moins volontairement à cet asservissement ! quelle arnaque !

http://calebirri.unblog.fr

Messages

  • Lorsque le prix de la main d’oeuvre est basse (et oui l’homme est aussi devenu une marchandise !), c’est que sa valeur est jugée moindre que si son prix est élevé.

    L’homme n’est pas une marchandise, c’est sa capacité à modifier des événements, des choses, des vertus qu’il vend qui est une marchandise sur le marché des marchandises dont cette aptitude y est devenu une marchandise, ce n’est pas lui-même ; c’est le temps qu’il met pour modifier ces vertus, ces choses, ces événements. En règle général, c’est la femme qui devient une marchandise (dont l’homme peut alors faire ce qu’il peut durant un moment déterminé en fonction de la valeur qu’il accorde à cette étrange transformation) au cours de la prostitution, tout comme à l’enfant d’ailleurs.

    Mais il est vrai que aussi généralement, cette forme de la marchandise et l’autre apparaissent dans une condition identique : une sexualité débile où l’homme est incapable de prendre en main ce qu’il est capable de faire sans se réduire à rien, ou presque, et la femme, ou l’enfant, réduite à un objet de cette incapacité.

  • Bonjour,

    Pour intéressant qu’il soit, cet article en appelle d’autres, complémentaires.
    D’abord à propos du tee-shirt. Un vêtement cher n’est pas forcément produit par une main d’œuvre chère, car certaines marques connues et chères font faire les objets qu’elles vendent (pas forcément des vêtements) à très bas coût salarial.

    D’autre part, le terme a son importance. Quel propriétaire d’entreprise aujourd’hui vendrait son usine à "ses" ouvriers ? A terme, l’autogestion conduirait à l’écroulement du système. La rentabilité ne serait plus là "à terme".

    Analyse incomplète, mais qui a le grand mérite d’être là. Merci donc d’avoir mis ça par écrit et en termes clairs.