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Haïti-thon, la charité à la carte

Publie le dimanche 24 janvier 2010 par Open-Publishing

Chroniques 23/01/2010 à 00h00

Par mathieu lindon

Le drame haïtien a au moins cette vertu, pour nous, de permettre le libre exercice de la charité. Les dernières grosses opérations humanitaires, en France, on n’avait pas trop eu notre mot à dire : c’était le pouvoir qui avait décrété la charité envers les banques après avoir légiféré sur la charité envers les riches ainsi qu’on peut définir le bouclier fiscal. Là, on choisit nos victimes. C’est la charité à la carte, volontaire. On ne mégote pas avec les catastrophes quand elles sont naturelles, il y a des limites à l’injustice. Dire que, après ce carnage, il y a à Haïti des gens qui dorment dehors, sans domicile fixe. Par cette chaleur. Au demeurant, il y a quelque chose de réconfortant à voir cette solidarité à l’œuvre même s’il est navrant qu’elle ne se dévoile que dans la tragédie. Ça laisse une impression de gâchis. On doit payer de sa personne pour bénéficier de la charité. Ça ne suffit pas d’être misérable, il faut être mort, soi ou ses proches. En aidant les Haïtiens, on se félicite de ne pas être des brutes dans un monde de brutes, c’est excellent pour l’image. Ce devrait être déductible des péchés à l’heure du Jugement dernier, une sorte de bouclier moral. Et, de fait, tant mieux si on achète sa bonne conscience à ce prix, ça vaut mieux que d’en conserver une mauvaise qui n’aide personne. La psychologie au service de l’humanitaire, c’est l’idéal.

On a l’impression que les informations télévisées, avec leurs sauvetages miraculeux, pépites d’or au milieu du désastre, ont pour but de nous faire mettre la main à la charité. Mais est-ce bien raisonnable que des journalistes prennent de tels risques pour ça ? Et s’il y avait une nouvelle secousse ? Quand on pense que les otages de France 3 en Afghanistan se voient reprocher par le pouvoir d’en avoir trop fait. Que la presse se mêle d’une catastrophe naturelle, très bien. Qu’elle enquête sur un pays en guerre, de quoi elle se mêle ? Il faut des bémols à l’investigation. Mais s’il y a tellement de risques en Afghanistan, est-ce bien raisonnable d’envoyer des gens là-bas par charters ? Les Talibans ne nous font pas de cadeaux, pas de charité pour les ennemis de la charité.

Avec les catastrophes naturelles, le devoir d’ingérence l’est tout autant. Elles semblent rendre les victimes plus authentiques, plus innocentes. Mais qu’est-ce qu’ils ont fait au Bon Dieu pour mériter ça ? Quand c’est le Bon Dieu le responsable, on se mobilise tous. Ce qui est permis aux humains lui est interdit. Les Américains à Haïti ont trouvé un autre moyen que la guerre pour montrer leur force. Pour le coup, c’est vraiment la lutte contre l’axe du mal, identifié par tous comme tel. On comprend mieux le fiasco de Copenhague quand on voit ce dont est capable la nature. Et il faudrait la sauver ? Chassez-la et elle revient au centuple galop. La nature, voilà l’ennemi du peuple. Si était présentée une loi contre les séismes, et comment qu’on la voterait, unanimes dans la condamnation ! Non, nous ne serons pas complices des tremblements de terre. Ah, charité, que de bienfaits on commet en ton nom.

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