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Entretien : Danielle Tartakowsky, professeur d’histoire sociale à Paris-VIII

Publie le lundi 27 septembre 2004 par Open-Publishing

de Caroline Cordier

"Ces formes de contestation traduisent une crise actuelle de la démocratie représentative"

Le texte de cet entretien a été relu et amendé par Mme Tartakowsky.

Le recours à la désobéissance civile par des élus est-il un phénomène nouveau ?

Le choix de désobéir à la loi est motivé, au départ, pour un citoyen, par un problème éthique personnel, mais il peut se politiser, au sens large du terme, en donnant lieu à des mouvements collectifs, à partir de prises de position publiques de personnalités - le "Manifeste des 121", pendant la guerre d’Algérie, pour le droit à l’objection de conscience, ou le "Manifeste des 343 salopes" en 1971, pour la libre disposition de son corps. Quant à la transgression de la loi par des élus, l’histoire en offre des exemples. Certains maires communistes refusaient de célébrer le 14-Juillet ou plaçaient des drapeaux rouges sur les frontons des hôtels de ville. Et pendant les années 1920, des élus étaient en première ligne aux côtés des ouvriers dans les grèves, alors considérées comme une faute et un trouble à l’ordre public.

Ces actes de désobéissance civile traduisent-ils un affaiblissement de la démocratie ?

Dans le contexte de dépolitisation actuelle, toute forme d’action politique - même illégale ou illégitime aux yeux de certains, comme la désobéissance civile, qui vise à défendre des droits - est susceptible d’améliorer la santé de la démocratie. Ces formes de contestation traduisent une crise actuelle de la démocratie représentative et une plus forte demande de démocratie participative ou délibérative. Et les "désobéissants" aspirent à changer la loi, à produire du droit ; c’est un rapport aux institutions qui peut être inexistant pour un manifestant. Enfin, le degré d’implication des "désobéissants" est fort, puisqu’ils sont prêts à prendre le risque d’être sanctionnés ou marginalisés.

La propension à privilégier une forme de contestation plutôt qu’une autre dépend-elle de son appartenance politique ?

Les grands partis, qui reposent sur une culture du collectif bien française, ont longtemps été très mal à l’aise avec les initiatives contestataires individuelles - à la différence des partis jeunes, comme les Verts, où les mécanismes d’élaboration des décisions sont différents, et la discipline interne moins forte. De plus, les Verts ont tissé nombre de liens avec les associations qui se multiplient pour défendre des droits précis, le droit au logement par exemple, puisqu’ils étaient eux-mêmes une association avant de former un parti. Ils en ont gardé certains caractères, en ne faisant pas toujours passer leurs stratégies électorales au premier plan, et en ne craignant pas, parfois, d’être impopulaires.

Choisit-on une forme de contestation en fonction de ses revendications ou du degré d’efficacité présumé de cette action ?

Les revendications de ceux qui choisissent de désobéir à la loi correspondent souvent à des problématiques de société non consensuelles au moment où elles émergent, comme le mariage entre homosexuels aujourd’hui, ou le droit à l’avortement par le passé. Au moment où le problème est posé par certains individus, il n’a pas fait l’objet de luttes collectives et populaires et peut apparaître comme minoritaire, voire marginal. De plus, les actions de désobéissance sont centrées sur une revendication précise, quand une manifestation peut n’être qu’un moyen, pour une organisation, de compter ses forces. Et même si, depuis les manifestations de 1984 en défense de l’école libre, une dizaine de lois ou projets de loi est tombée sous la pression de la rue, ces formes d’actions paraissent, aujourd’hui, plus à même de faire aboutir des exigences inédites.

Propos recueillis par Caroline Cordier

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