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LETTRE OUVERTE D’UN MÉDIOCRE A SON MINISTRE

Publie le mercredi 24 février 2010 par Open-Publishing
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Cette lettre est une missive PERSONNELLE ouverte envoyée par un quidam (votre serviteur) à son ministre en novembre 2009. Cette missive a été reprise au bond par d’autres quidams et une version vidéo de celle ci a été réalisée...

La voici :

Voici la lettre :

« Monsieur le ministre

Je suis français. Je suis musicien, compositeur. Je suis fatigué.

Vous participez à un gouvernement issu d’un bord politique qui depuis des années détruit l’image de la création, celle des créateurs. Afin de pouvoir mieux détruire la création elle-même.

Ce bord politique a été accusé de « guerre contre l’intelligence » il y a quelques années par de grands esprits lors d’une pétition lancée par le magazine « les Inrockuptibles ». Depuis, certains de ces esprits se sont éteints, d’autres sont las ; la guerre continue de plus belle. Vous y participez. Du mauvais coté de la ligne de front.

Je pourrais choisir de vivre cette guerre symbolique – mais pas seulement symbolique - avec indifférence, et c’est d’ailleurs mon parti la plupart du temps.

Tous les jours je préfère travailler, sans me soucier du qualificatif prononcé par votre prédécesseur à mon endroit. Ainsi, j’assume pleinement le fait d’être un « médiocre » parmi les « médiocres » tels que les définissait monsieur Aillagon il y a quelques années.

Lorsque je pense au prochain spectacle dont je vais composer la musique, ou lorsque je prépare mon prochain concert, je ne me pose pas la question de l’image que véhiculent de mon métier des édiles incultes, suffisants et méprisants par le dessous.

Je pense à mon œuvre et à mon public. Il est certes fort peu nombreux selon les modes de calcul de vos services. Il n’existe d’ailleurs peut-être même pas pour vous lorsque je joue dans les lieux les plus vivants de la vraie création alternative. Mais il existe. Jouant à travers l’Europe dans les marges, je fais œuvre dans la capillarité de la vie.

Je n’ai pas l’appétit du lucre, la réussite me fait horreur quand elle consiste à porter une Rolex. Ces deux dernières affirmations me placent certainement dans une position « antisociale » dans un pays où les gens ont voté pour « travailler plus pour gagner plus ». Mais je suis fier de cette position.

Tous les jours, je travaille. C’est ça être créateur : c’est travailler tous les jours, à chaque instant. Être créateur c’est comme ajouter à la difficulté d’être – inhérente à chacun – celle spécifique d’être créateur. On ne choisit pas. C’est une nécessité intérieure.
Mais tout cela vous le savez, ce sont des lieux communs.

Tous les jours, cela m’exalte et me fatigue. Mais certains jours, je suis très fatigué. Ce sont les jours où je dois appeler mes ami(e)s conseiller(s) des ASSEDIC pour me faire expliquer ma situation, pour essayer de sauver les meubles. Parce que comme tous les intermittents, j’ai vu mes revenus fondre d’un tiers depuis les diverses « réformes ».
Des revenus fondus d’un tiers, ça se voit très bien dans un frigo : il y avait trois étages de nourriture. Il n’y en a plus que deux.

Comme la plupart de mes amis créateurs, depuis 2007 je travaille plus et je gagne moins.

Dans l’esprit des éléments de langages véhiculés par vos services, « le problème des intermittents est résolu ». Par la grâce de l’union de notre premier magistrat et d’une joueuse de guitare, on nous a fait croire que ceux-ci – les artistes - étaient dès lors protégés.

Je vous affirme le contraire.

Je viens de vous écrire qu’il m’était indifférent de gagner plus ou moins. Si cette perte de revenu était liée à un projet sociétal de redistribution, je n’en serais certes pas fâché. Mais ce n’est pas le cas.

Aujourd’hui j’ai appelé les ASSEDIC. Ma fatigue a grandi. Suis-je paranoïaque ? Je pense que cet imbroglio administratif que vient de me décrire une conseillère fait partie d’une stratégie de nettoyage de mon métier.

J’en viens à la réflexion suivante : dans mon cas personnel, j’aurais le droit de rester intermittent non pas parce que je travaille suffisamment pour l’être – car je travaille beaucoup et tout le temps, j’ai de nombreux projets et je collabore avec de nombreux autres artistes – non ! Je pourrai rester intermittent parce que je sais me battre avec un système plein de pièges et de chausse-trappes perverses imaginé par des gens (les « partenaires ? sociaux ») que maintenant je considère comme dégoutants.

Un système pervers, dont les règles changent à couvert, dans lequel tout est exclusif, un système qui chasse les créateurs les plus faibles sociologiquement parlant, et qui favorise les plus forts administrativement parlant.

Où se trouvent les créateurs les plus intéressants et créatifs dans cette dichotomie ? Votre réponse m’amuserait. J’ai la mienne.

Je reviens à mon cas personnel (mais qui est malheureusement général) : au jour le jour, je travaille beaucoup – « je cours le cachet » pour être plus trivial – et malgré cela, je rencontre CHAQUE ANNEE des difficultés et des doutes quant au renouvellement de mon dossier ASSEDIC. Ce faisant -"courant le cachet"- j’ai le sentiment de vivre une précarité grandissante, une instabilité sociale, un danger de chaque instant qui m’empêche de faire convenablement mon métier. J’en conclus que le système est mauvais et inadapté à notre métier.

En gros : puisque auprès des ASSEDIC, celui qui sait bien « ouvrir sa gueule » obtient d’être un peu moins mal traité, j’affirme que cet état de fait constitue une inégalité de fait entre les gens instruits ou malins et ceux qui ne le sont pas.
Pour élargir le propos : je suis français. « Identité nationale ». Fierté d’être français. Est-ce possible en l’occurrence ?

Non. Je ne suis pas fier d’être ressortissant d’un pays qui méprise autant les fragiles. Je ne suis pas fier de constater que la vie créatrice de mon pays s’écroule parce que ses édiles font le calcul à court terme d’évacuer ce qu’ils ne peuvent pas comprendre et ceux qu’ils ne peuvent pas comprendre.

Vous ne pouvez pas nous comprendre. Mais laissez-nous faire ce que nous avons à faire, participer de la vraie fierté d’un pays comme la France : être un pays de culture vivante, intense et vibrante, même si vous et ceux de votre bord faites tout pour nous précipiter à terre.

Soyez en assuré : la nécessité intérieure fera que, même au sol, je ferai partie de ceux qui y continueront à créer.

De la hauteur de vos sphères, regardez-y parfois, au sol. Dans la boue de votre indifférence il y a une colère qui s’installe irrémédiablement. Vos courtisans ne vous la raconteront pas. Elle existe.

David CHAZAM, musicien, 23 novembre 2009 »

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