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Ouf, les Islandais ont dit non !

Publie le lundi 8 mars 2010 par Open-Publishing

D’Olivier Bonfond, Jérôme Duval et Damien Millet [1]

Samedi 6 mars, les Islandais se sont rendus aux urnes pour se prononcer
pour ou contre la loi « Icesave ». Cette loi prévoyait la nationalisation
de dettes privées et l’imposition de mesures économiques antisociales afin
de trouver les fonds pour rembourser ces dettes. Avec une participation
qui dépasse les 60%, le Non a remporté sans surprise une écrasante
victoire : environ 93% des suffrages exprimés. Cela constitue surtout une
victoire importante contre le néolibéralisme. Ce sera aussi une victoire
pour la démocratie si, contrairement à ce qui s’est passé en France et en
Irlande récemment, le choix des Islandais est respecté.

Petit pays de 320 000 habitants sans armée, l’Islande a subi de plein
fouet la crise financière actuelle. Des milliers de ménages ont perdu leur
travail ou ont été expulsés de leurs logements. Dans le même temps, l’Etat
a déboursé des centaines de millions d’euros [2] pour nationaliser les
trois principales banques islandaises (Kaupthing, Landbanski et Glitnir),
totalement privatisées en 2003, et les sauver de la faillite. Le peuple
islandais s’est alors senti floué et s’est mobilisé massivement pour
tenter de faire payer le coût de cette crise aux responsables : les
banques et les fonds spéculatifs. Cette pression a donné des résultats :
le gouvernement a démissionné fin 2008 et, en août 2009, le Parlement a
adopté une résolution pour conditionner le remboursement de cette dette
aux « capacités de paiement » du pays [3]. Mais les intérêts en jeu sont
énormes. Le FMI et l’Union européenne ont pesé de tout leur poids pour
renverser cette orientation. Dans la nuit du 30 au 31 décembre 2009, le
Parlement a changé de position et voté la loi « Icesave », qui visait à
confirmer la nationalisation de ces dettes privées et à organiser, via des
mesures d’austérité (gel des salaires, diminution des dépenses
publiques…), le remboursement intégral (3,9 milliards d’euros) des
montants avancés par les Etats britanniques et hollandais pour indemniser
leurs « citoyens lésés » par la faillite de la banque en ligne islandaise
Icesave en octobre 2008 [4], dont l’Etat avait garanti les dépôts.

Dans un contexte de crise sociale, mais surtout de conscientisation
politique élevée, la population islandaise ne l’a pas entendu de cette
oreille : des organisations ont lancé une pétition contre cette loi et, en
quelques semaines, plus de 25% de l’électorat islandais l’avaient signée !
Face à cette protestation populaire, le Président fut contraint
d’appliquer l’article 26 de la Constitution qui stipule qu’en cas de refus
du Président de promulguer une loi, elle doit être soumise à une
consultation populaire.

Malgré différentes pressions et menaces (pression médiatique très forte en
faveur du oui, refus de discuter de l’intégration de l’Islande dans
l’Union européenne, blocage de l’aide internationale), les Islandais ont
donc largement dit non à cette loi néolibérale. Mais il faut être très
vigilant à ce que ce choix soit respecté. Rappelons-nous ce qui s’est
passé à propos du Traité de Lisbonne : alors que les Français avaient dit
Non au Traité constitutionnel européen, le gouvernement français a tout de
même fait approuver le Traité de Lisbonne qui l’a remplacé en passant par
la voie parlementaire, tandis qu’après un premier vote négatif en Irlande,
le gouvernement irlandais a imposé un nouveau référendum afin de parvenir
au Oui. On le voit, dès que le résultat initial n’est pas jugé
satisfaisant, les dirigeants s’arrangent souvent pour contourner la
volonté du peuple, comme ce fut déjà le cas au Danemark en 1992-93 au
moment du Traité de Maastricht où un second référendum avait également été
organisé. Difficile de faire de même en Islande tant le refus est massif.
Pourtant, la question n’est malheureusement pas incongrue : on parle déjà
d’un vote inutile, puisque les Islandais se seraient prononcés sur une loi
obsolète, une autre proposition étant déjà sur la table. Un nouveau vote
sur une nouvelle proposition s’annonce-t-il ? A moins que le Président
accepte cette fois de promulguer la loi… La partie n’est pas encore
gagnée.

Pourtant, si le gouvernement islandais en avait la volonté, il pourrait
refuser la logique néolibérale tout en garantissant la justice sociale.
Toute une série de mesures concrètes et alternatives à la logique
capitaliste pourraient être mises en place rapidement en vue de sauver les
emplois et de faire payer le coût du sauvetage financier aux responsables
 : nationalisation sans indemnisation du secteur bancaire, interdiction de
nationaliser les dettes privées (comme le prévoit l’article 290 de la
Constitution de l’Equateur), moratoire immédiat sur le remboursement de la
dette, mise en place d’un audit intégral de la dette islandaise en vue de
répudier toutes les dettes odieuses ou marquées d’irrégularités (tout
comme l’a fait l’Equateur en 2007), impôt exceptionnel sur le patrimoine
des grosses fortunes afin de développer des emplois publics socialement
utiles et respectueux de la nature… Ces mesures sont parfaitement
réalisables et tout à fait légitimes, afin que le poids de cette crise ne
repose pas en bout de course sur la population islandaise qui en est la
victime. Tant d’autres gouvernements dans le monde devraient d’ailleurs
considérer ces mesures comme une obligation d’un point de vue
international, puisque la majorité d’entre eux ont ratifié la Déclaration
sur le droit au développement de 1986 qui stipule dans son article 2 : « 
Les Etats ont le droit et le devoir de formuler des politiques de
développement national appropriées ayant pour but l’amélioration constante
du bien-être de l’ensemble de la population et de tous les individus,
fondée sur leur participation active, libre et utile au développement et à
la répartition équitable des avantages qui en résultent. »

L’histoire nous a appris que des mesures progressistes allant à l’enconre
des intérêts du grand capital ne se concrétisent que si le peuple se
mobilise largement. Il est donc essentiel de soutenir le peuple islandais
dans la mise en pratique de ses droits démocratiques et dans ce qui n’est
sans doute que le début d’une plus longue bataille.

1 Tous membres du CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du
tiers-monde, www.cadtm.org )

2 A titre d’exemple, l’Etat islandais a déboursé 600 millions d’euros
pour s’adjuger 75 % du capital de Glitnir, le 29 septembre 2009, avant
d’en prendre l’entier contrôle quelques jours plus tard.

3 Cette résolution affirmait que le gouvernement consacrerait au maximum
6% de la croissance de son PIB au titre du remboursement de la dette, et
que si la croissance économique n’est pas au rendez-vous, l’Islande ne
paierait rien. Pour plus d’infos, lire Olivier Bonfond, « Islande - si la
dette ne peut pas être payée elle ne le sera pas »,
www.cadtm.org/Islande-Si-la-dette-ne-peut-pas

4 Voir Jérôme Duval et Olivier Bonfond, « Les Islandais n’ont pas dit
leur dernier mot », www.cadtm.org/Les-Islandais-n-ont-pas-dit-leur


Comite pour l’annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM)
Site Web : http://www.cadtm.org